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Citations sur La République (118)

Le juste se révèle donc à nous bon et sage, l'injuste ignorant et méchant.
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SOCRATE. - Tu as encore oublié, mon ami, que la loi ne se soucie pas de garantir le bonheur d'une classe privilégiée de citoyens, mais qu'elle tente de le réaliser pour l'ensemble de la cité, en unissant ses membres par la persuasion ou par la contrainte, et en amenant les uns à faire part aux autres des avantages que chaque classe peut apporter à la communauté.
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Le plus grand bien pour l'homme est la vérité, et le plus grand mal, le mensonge
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Tel est donc, mon ami, repris-je, l'amorce belle et juvénile, à partir de laquelle se développe selon moi la tyrannie.
- Juvénile, pour sûr, dit-il, mais que se produit-il ensuite ?
- La même maladie, répondis-je, qui s'est manifestée dans l'oligarchie et qui a conduit à sa perte, se développe ici en raison de la permissivité qui se répand avec une ampleur et une force plus consédirables, au point d'asservir la démocratie. Car de fait une action démesurée dans un sens a tendance à provoquer une transformation en sens contraire, que ce soit dans les saisons, dans la végétation ou dans les organismes, et cela ne vaut pas moins pour les constitutions politiques.
- Vraisemblablement, dit-il.
- Une liberté excessive ne peut donc apparemment se muer qu'en une servitude excessive, et cela aussi bien pour l'individu que pour la cité.
- C'est en effet probable.
- Il est dès lors vraisemblable, repris-je, que la tyrannie ne puisse prendre forme à partir d'aucune autre constitution politique que la démocratie, la servitude la plus étendue et la plus brutale se développant, à mon avis, à partir de la liberté portée à son point le plus extrême.
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Considère à présent ce caractère dans un individu, ou plutôt, pour garder toujours le même ordre, ne verrons-nous pas auparavant comment il se forme ?
[...]
L’homme avare et oligarchique a un fils qu’il élève dans ses sentimens. Ce fils maîtrise par la force, ainsi que son père, les désirs qui le portent à la dépense, mais qui sont ennemis du gain, désirs qu’on appelle superflus. Lorsqu’un jeune homme, mal élevé, ainsi que nous l’avons dit, et nourri dans des principes sordides, a goûté une fois du miel des frelons, qu’il s’est trouvé dans la compagnie de ces insectes ardens, et habiles à irriter en lui des désirs et des caprices sans nombre et de toute espèce, n’est-ce pas alors que son gouvernement intérieur, d’oligarchique qu’il était, devient démocratique ? Et comme l’État a changé de forme, quand l’une des deux factions a été assistée du dehors par des forces du même ordre qu’elle, ainsi ce jeune homme ne changera-t-il pas de mœurs, quand certaines de ses passions recevront le secours de passions analogues et de même nature. Et si son père ou ses proches envoyaient de leur côté du secours à la faction des désirs oligarchiques, et employaient pour la soutenir les avis salutaires et les réprimandes, son cœur ne serait-il pas en proie à tous les troubles d’une guerre intestine ? Quelquefois la faction oligarchique l’emportera sur la faction démocratique : alors, une honte généreuse se réveillant en lui, les mauvais désirs sont en partie détruits, en partie mis en fuite, et tous ses sentimens se remettent en bon ordre.Mais bientôt à la place des désirs mis en fuite surviennent de nouveaux désirs de la même famille, qu’a laissé croître inaperçus, grandir et se multiplier la mauvaise éducation que le jeune homme a reçue de son père. Ils l’entraînent de nouveau dans les mêmes compagnies, et par suite de ce commerce clandestin, ils vont se multipliant sans cesse. Enfin, ils s’emparent de la citadelle de l’ame de ce jeune homme, après s’être aperçus quelle est vide de science, de nobles exercices et de maximes vraies, garde la plus sûre de la raison des mortels, amis des dieux.Au lieu de ces nobles milices, ce sont les maximes et les opinions fausses et présomptueuses qui accourent en foule et se jettent dans la place. N’est-ce point alors qu’il retourne dans la première compagnie où on s’enivre de lotos, et ne rougit plus de son commerce intime avec elle ? S’il vient de la part de ses amis et de ses proches quelque renfort au parti de l’économie et des épargnes, les maximes présomptueuses fermant promptement les portes du château royal, refusent l’entrée au secours qu’on envoie, et n’admettent pas même la députation bienveillante des sages conseils des vieillards. Secondées d’une multitude de désirs pernicieux, elles s’assurent l’empire par la force ouverte ; et traitant la honte d’imbécillité, la proscrivent ignominieusement, chassent la tempérance avec outrage en lui donnant le nom de lâcheté, et exterminent la modération et la frugalité, qu’elles appellent rusticité et bassesse. Après avoir fait place nette, et purifié à leur manière l’ame du jeune homme qu’elles obsèdent, comme si elles l’initiaient aux grands mystères, elles ne tardent pas à y introduire avec un nombreux cortège, richement parés et la couronne sur la tète, l’insolence, l’anarchie, le libertinage et l’effronterie, chantant leurs louanges et les décorant de beaux noms : appelant l’insolence belles manières, l’anarchie liberté, le libertinage magnificence, l’effronterie courage. N’est-ce pas ainsi qu’un jeune homme accoutumé dès l’enfance à n’écouter que les désirs nécessaires, en vient à émanciper ou plutôt à laisser dominer en lui les désirs superflus et pernicieux ?Comment vit-il après cela ? Sans distinguer les désirs superflus des désirs nécessaires, il prodigue aux uns et aux autres son argent, ses soins et son temps. S’il est assez heureux pour ne pas porter trop loin ses désordres, et si, l’âge ayant un peu apaisé le tumulte de ses passions, il rappelle le parti qui a succombé et ne s’abandonne pas tout entier au parti vainqueur, il établit alors entre ses désirs une espèce d’égalité, et livre tour à tour son ame au premier à qui le sort est favorable, jusqu’à ce que ce désir soit satisfait ; puis il passe sous l’empire d’un autre, et ainsi de suite, n’en repoussant aucun, et les traitant tous également bien. Que quelqu’un vienne lui dire qu’il y a des plaisirs de deux sortes : les uns, qui vont à la suite des désirs innocens et légitimes, les autres qui sont le fruit de désirs coupables ; qu’il faut s’attacher aux uns et les honorer, châtier et dompter les autres ; il ferme toutes les avenues de la citadelle à ce sage discours, et n’y répond qu’en branlant la tête, soutenant que tous les plaisirs sont de même nature, et méritent d’être également recherchés. Il vit donc au jour la journée dans cette complaisance pour le premier caprice qui se présente. Aujourd’hui il s’enivre et il lui faut des joueuses de flûte : demain il jeûne et ne boit que de l’eau ; tantôt il s’exerce au gymnase, tantôt il est oisif et n’a souci de rien ; quelquefois il est philosophe ; le plus souvent il est homme d’État, il se lance dans la politique, parle et agit à tort et à travers. Un jour, des gens de guerre lui font envie, et le voilà devenu guerrier : un autre jour ce sont des hommes de finances : le voilà qui se jette dans les affaires. En un mot, aucun ordre, aucune loi ne préside à sa conduite, et il ne cesse de mener cette vie qu’il appelle libre, agréable et fortunée. Cet homme offrant en lui toutes sortes de contrastes et la réunion de presque tous les caractères, a, selon moi, tout l’agrément et toute la variété de l’État populaire ; et il n’est pas étonnant que tant de personnes de l’un et de l’autre sexe trouvent si beau un genre de vie où sont rassemblées toutes les espèces de gouvernemens et de caractères.
[...]
Mettons cet homme en regard de la démocratie, comme pouvant à bon droit être nommé démocratique.
[...]
Il nous reste désormais à considérer la plus belle forme de gouvernement et le plus beau caractère ; je veux dire la tyrannie et le tyran.Voyons donc, mon cher ami, comment se forme le gouvernement tyrannique ; et d’abord il est à peu près évident qu’il provient de la démocratie. La manière dont la démocratie se forme de l’oligarchie, n’est-elle pas à peu près la même que celle dont la démocratie engendre la tyrannie ?
[...]
Ce qu’on regarde dans l’oligarchie comme le plus grand bien, ce qui même donne naissance à cette forme de gouvernement, ce sont les richesses excessives des particuliers : n’est-ce pas ? Et ce qui cause sa ruine, c’est le désir insatiable de ces richesses, et l’indifférence que la passion de s’enrichir inspire pour tout le reste ? Maintenant ce qui fait la ruine de l’État démocratique, n’est-ce pas aussi le désir insatiable de ce qu’il regarde comme son bien suprême ?

Quel bien ?

La liberté. En effet, dans un État démocratique, vous entendrez dire de toutes parts que la liberté est le plus précieux des biens ; et que pour cette raison, quiconque est né de condition libre ne saurait vivre convenablement dans un autre État.
[...]
Or, et c’est où j’en voulais venir, l’amour de la liberté porté à l’excès, et accompagné d’une indifférence extrême pour tout le reste, ne change-t-il pas enfin ce gouvernement et ne rend-il pas la tyrannie nécessaire ?
[...]
Lorsqu’un État démocratique, dévoré de la soif de la liberté, trouve à sa tête de mauvais échansons qui lui versent la liberté toute pure, outre mesure et jusqu’à l’enivrer ; alors si ceux qui gouvernent ne sont pas tout-à-fait complaisans et ne donnent pas au peuple de la liberté tant qu’il en veut, celui-ci les accuse et les châtie comme des traîtres et des partisans de l’oligarchie.
[...]
Ceux qui sont encore dociles à la voix des magistrats, il les outrage et les traite d’hommes serviles et sans caractère. Il loue et honore en particulier et en public les gouvernans qui ont L’air de gouvernés, et les gouvernés qui prennent l’air de gouvernans. N’est-il pas inévitable que dans un pareil État l’esprit de liberté s’étende à tout ? Qu’il pénètre, mon cher ami, dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin la contagion de l’anarchie gagne jusqu’aux animaux ?
[...]
Je veux dire que le père s’accoutume à traiter son enfant comme son égal, à le craindre même ; que celui-ci s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour les auteurs de ses jours, parce qu’autrement sa liberté en souffrirait ; que les citoyens et les simples habitans et les étrangers même aspirent aux mêmes droits. Oui, et il arrive aussi d’autres misères telles que celles-ci. Sous un pareil gouvernement, le maître craint et ménage ses disciples ; ceux-ci se moquent de leurs maîtres et de leurs surveillans. En général les jeunes gens veulent aller de pair avec les vieillards, et lutter avec eux en propos et en actions. Les vieillards, de leur côté, descendent aux manières des jeunes gens, en affectent le ton léger et l’esprit badin, et imitent la jeunesse de peur d’avoir l’air fâcheux et despotique. Il n’est pas jusqu’aux animaux à l’usage des hommes qui en vérité ne soient là plus libres que partout ailleurs ; c’est à ne pas le croire, si on ne l’a pas vu. Des petites chiennes y sont tout comme leurs maîtresses, suivant le proverbe ; les chevaux et les ânes, accoutumés à une allure fière et libre, s’en vont heurter ceux qu’ils rencontrent, si on ne leur cède le passage. Et ainsi du reste ; tout y respire la liberté.
[...]
Or, vois-tu le résultat de tout ceci, combien les citoyens en deviennent ombrageux, au point de s’indigner et de se soulever à la moindre apparence de contrainte ? Ils en viennent à la fin, comme tu sais, jusqu’à ne tenir aucun compte des lois écrites ou non écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître.
[...]
Eh bien, mon cher ami, c’est de ce jeune et beau gouvernement que naît la tyrannie, du moins à ce que je pense. 2/2
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C’est maintenant, je crois, le tour de la démocratie ; il faut en examiner l’origine et les mœurs, et observer ensuite la même chose dans l’homme démocratique, afin de les comparer ensemble et de les juger.
[...]
Eh bien, voici à peu près comment l’insatiable désir de ce bien suprême, que tous ont devant les yeux, c’est-à-dire la plus grande richesse possible, fait passer un gouvernement de l’oligarchie à la démocratie.
[...]
Les chefs ne devant leur autorité qu’aux grands biens qu’ils possèdent, se gardent de faire des lois pour réprimer le libertinage des jeunes gens et les empêcher de se ruiner en dépenses excessives ; car ils ont dessein d’acheter leurs biens, de se les approprier par voie usuraire, et d’accroître par ce moyen leurs propres richesses et leur crédit.
[...]
Or, il est bien évident déjà que dans un État les citoyens ne peuvent estimer les richesses et acquérir en même temps la tempérance convenable, mais que c’est une nécessité qu’ils sacrifient une de ces deux choses à l’autre.
[...]
Ainsi dans les oligarchies, les chefs, par leur négligence et les facilités qu’ils accordent au libertinage, réduisent quelquefois à l’indigence des hommes bien nés.
[...]
Et voilà, ce me semble, établis dans l’État des gens pourvus d’aiguillons et bien armés, les uns accablés de dettes, les autres notés d’infamie, d’autres tout cela ensemble, en état d’hostilité et de conspiration contre ceux qui se sont enrichis des débris de leur fortune, et contre le reste des citoyens, imbus enfin de l’esprit de révolution.
[...]
Cependant ces usuriers avides, tout attachés à leur affaire, et sans paraître voir ceux qu’ils ont ruinés, à mesure que d’autres se présentent, leur font de larges blessures au moyen de leur or, et tout en multipliant les revenus de leur patrimoine, travaillent à multiplier dans l’État l’engeance du frelon et du mendiant.
[...]
Et le fléau a beau s’étendre, ils ne veulent recourir pour l’arrêter ni à l’expédient dont il a été question, en empêchant les particuliers de disposer de leurs biens à leur fantaisie, ni à cet autre expédient de faire une loi qui détruise tous ces abus.
[...]
Une loi qui vienne après celle contre les dissipateurs, et qui obligerait bien les citoyens à être honnêtes ; car, si les transactions privées de ce genre avaient lieu aux risques et périls des préteurs, le scandale de ces grandes fortunes usurairement amassées, diminuerait dans l’État, et il s’y formerait bien moins de tous ces maux dont nous avons parlé.
[...]
C’est par une conduite pareille que ceux qui gouvernent réduisent les gouvernés à cette triste situation : ils se corrompent eux et leurs enfans ; ceux-ci gâtés par le luxe et l’inexpérience des fatigues du corps et de l’ame, deviennent indolens et trop faibles pour résister, soit au plaisir, soit à la douleur.
[...]
Eux-mêmes, uniquement occupés à s’enrichir, ils négligent tout le reste, et ne se mettent pas plus en peine de la vertu que les pauvres.
[...]
Or, en de telles dispositions, lorsque les gouvernans et les gouvernés se trouvent ensemble en voyage, ou dans quelque autre rencontre, dans une théorie, à l’armée, sur mer ou sur terre, et qu’ils s’observent mutuellement dans les occasions périlleuses, les riches n’ont certes nul sujet de mépriser les pauvres ; au contraire, souvent un pauvre maigre et hâlé, posté dans la mêlée à côté d’un riche élevé à l’ombre et surchargé d’embonpoint, en le voyant tout hors d’haleine et embarrassé de sa personne, ne penses-tu pas qu’il se dit à lui-même que ces gens-là ne doivent leurs richesses qu’à la lâcheté des pauvres ; et quand ils seront entre eux, ne se diront-ils pas les uns les autres ? En vérité, nos hommes d’importance c’est bien peu de chose !
[...]
Et comme un corps infirme n’a besoin, pour tomber à bas, que du plus léger accident, et que souvent même il se dérange, sans aucune cause extérieure ; ainsi un État, dans une situation analogue, tombe dans une crise dangereuse et se déchire lui-même, à la moindre occasion, soit que les riches et les pauvres appellent à leur secours, ceux-ci les citoyens d’un État démocratique, ceux-là les chefs d’un État oligarchique ; quelquefois même, sans que les étrangers s’en mêlent, la discorde n’éclate pas moins.
[...]
Eh bien, à mon avis, la démocratie arrive, lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, chassent les autres, et partagent également avec ceux qui restent, l’administration des affaires et les charges publiques, lesquelles, dans ce gouvernement, sont données par le sort pour la plupart.
[...]
Voyons donc quelles seront les mœurs, quel sera le caractère de ce gouvernement. Tout à l’heure nous rencontrerons un homme d’un caractère analogue à celui-là, que nous pourrons appeler l’homme démocratique.
[...]
D’abord, tout le monde est libre dans cet État ; on y respire la liberté et l’affranchissement de toute gêne ; chacun y est maître de faire ce qu’il lui plaît.
[...]
Mais partout où l’on a ce pouvoir, il est clair que chaque citoyen choisit le genre de vie qui lui agrée davantage.
[...]
Par conséquent, un pareil gouvernement doit offrir plus qu’aucun autre un mélange d’hommes de toute sorte.
[...]
Vraiment, cette forme de gouvernement a bien l’air d’être la plus belle de toutes ; et comme un habit où l’on aurait brodé toutes sortes de fleurs, ce gouvernement bigarré de mille et mille caractères pourrait bien paraître admirable.
[...]
bien des gens du moins le jugeront merveilleux, comme les enfans et les femmes quand ils voient des objets bigarrés.
[...]
C’est là, mon cher, qu’on a beau jeu pour trouver un gouvernement.
[...]
Parce que, grâce à cette grande liberté, celui-là renferme tous les gouvernemens possibles. Il semble en effet que si quelqu’un voulait former le plan d’un État, comme nous faisions tout à l’heure, il n’aurait qu’à se transporter dans un État démocratique comme dans un marché de gouvernemens de toute espèce ; et il pourrait y choisir celui qu’il voudrait et exécuter ensuite son projet d’après le modèle qu’il aurait choisi.
[...]
A juger sur le premier coup d’œil, n’est-ce pas une condition merveilleuse et bien commode, de ne pouvoir être contraint d’accepter aucune charge administrative, quelque mérite que vous ayez pour la remplir ; de n’être pas tenu non plus de vous laisser administrer, si vous ne le voulez point ; de ne pas aller à la guerre quand les autres y vont ; et tandis que les autres vivent en paix, de n’y point vivre vous-même, si cela ne vous plaît pas ; et en dépit de la loi qui vous interdirait toute fonction dans l’administration ou dans la judicature, d’être juge ou magistrat, s’il vous en prend la fantaisie ?
[...]
N’est-ce pas encore quelque chose d’admirable que la douceur avec laquelle on y traite certains condamnés ? N’as-tu pas vu dans quelque État de ce genre, des hommes, condamnés à la mort ou à l’exil, rester et se promener en public, et, comme s’il n’y avait là personne pour s’en inquiéter ou même pour s’en apercevoir, un pareil personnage marcher comme un héros ?
[...]
Et cette indulgence de l’État, ce dégagement de tout scrupule mesquin qui lui fait dédaigner ces maximes que nous avions la simplicité de traiter avec tant de respect, en traçant le plan de notre État, quand nous disions qu’à moins d’être doué d’une nature extraordinaire nul ne saurait devenir vertueux, si dès l’enfance le beau et l’honnête n’ont occupé ses jeux, et si ensuite il n’en a pas fait une étude sérieuse… Oh ! avec quelle grandeur d’ame on y foule aux pieds toutes ces maximes ! Sans se mettre en peine d’examiner quelle éducation a formé celui qui se mêle des affaires publiques, on l’accueille avec honneur, pourvu seulement qu’il se dise plein de zèle pour les intérêts du peuple.
[...]
Tels sont, avec d’autres semblables, les avantages de la démocratie. C’est, comme tu vois, un gouvernement charmant, où personne ne commande, d’une bigarrure piquante, et qui a trouvé le moyen d’établir l’égalité entre les choses inégales comme entre les choses égales.
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Ô mon ami, n’accuse pas trop la multitude. Elle changera bientôt d’opinion si, au lieu de lui faire querelle, tu te contentes de la ramener doucement et de défendre la philosophie contre d’injustes préjugés, en lui montrant ce que sont les philosophes dont tu veux parler, et en définissant, comme nous venons de faire, leur caractère et celui de leur profession, de peur qu’elle ne s’imagine que tu lui parles des philosophes tels qu’elle se les représente. Quand elle sera placée dans ce point de vue, ne penses-tu pas qu’elle prendra une autre opinion et répondra tout autrement ? Ou crois-tu qu’il soit naturel de se fâcher contre qui ne se fâche pas, et de vouloir du mal à qui ne nous en veut pas, lorsqu’on est soi-même sans envie et sans malice ? Je préviens ton objection et je te déclare qu’un caractère aussi intraitable peut bien être celui de quelques personnes, mais non pas du grand nombre.

J’en conviens.

Conviens aussi que ce qui indispose le public contre la philosophie, ce sont ces étrangers qui, ayant fait mal à propos invasion dans la philosophie, se complaisent dans la haine et les insultes, et se déchaînent sans cesse contre les gens, conduite très peu séante à la philosophie.

Tu as bien raison.

En effet, mon cher Adimante, celui dont la pensée est réellement occupée de la contemplation de l’être, n’a pas le loisir d’abaisser ses regards sur la conduite des hommes, de leur faire la guerre et de se remplir contre eux de haine et d’aigreur ; mais, la vue sans cesse fixée sur des objets qui gardent entre eux le même arrangement et les mêmes rapports, et qui, sans jamais se nuire les uns aux autres, sont tous sous la loi de l’ordre et de la raison, il s’applique à imiter et à exprimer en lui-même, autant qu’il lui est possible, leur belle harmonie. Car comment s’approcher sans cesse d’un objet avec amour et admiration, sans s’efforcer de lui ressembler ?

Cela ne peut être.

Ainsi le philosophe, par le commerce qu’il a avec ce qui est divin et sous la loi de l’ordre, devient lui-même soumis à l’ordre et divin, autant que le comporte l’humanité : car il y a toujours beaucoup à reprendre dans l’homme.

Assurément.

Et maintenant, si quelque motif puissant l’obligeait à entreprendre de faire passer l’ordre qu’il contemple là-haut, dans les mœurs publiques et privées de ses semblables, au lieu de se borner à former son caractère personnel, crois-tu que ce fût un mauvais maître pour la tempérance, la justice et les autres vertus civiles ?
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Après tout, il n’est pas surprenant que de pareils discours ne trouvent point de croyance dans la plupart des esprits. On n’a point encore vu s’exécuter ce que nous disons : loin de là, on n’a entendu sur ces matières que des phrases d’une symétrie recherchée, au lieu de propos naturels et sans art comme les nôtres. Mais ce qu’on n’a jamais vu, c’est un homme parfaitement conforme dans ses actions comme dans ses principes au modèle de la vertu, autant que le permet la faiblesse humaine, et à la tête d’un État semblable à lui. Qu’en penses-tu ?

Je ne le crois pas.

On n’a guère assisté non plus, mon cher ami, à de beaux et nobles entretiens consacrés à la recherche assidue de la vérité par tous les moyens possibles et dans la seule vue de la connaître ; où l’on rejette bien loin tout vain ornement et toute subtilité ; où l’on ne parle ni pour la gloire ni par esprit de contradiction, comme on fait au barreau et dans les conversations particulières.

Cela est encore vrai.

Voilà les réflexions qui me préoccupaient et me faisaient craindre de parler : cependant la vérité l’a emporté, et j’ai dit qu’il ne fallait point s’attendre à voir d’État, de gouvernement, ni même d’homme parfait, à moins que des circonstances extraordinaires ne mettent les philosophes, j’entends le petit nombre de ceux qu’on n’accuse pas d’être méchans, mais d’être inutiles, dans la nécessité de prendre bon gré mal gré le gouvernement de l’État, et l’État lui-même dans la nécessité de les écouter ; ou bien à moins que quelque inspiration divine ne donne un vrai amour de la vraie philosophie à ceux qui gouvernent aujourd’hui les monarchies et les autres États, ou à leurs héritiers. Prétendre que l’une ou l’autre de ces deux choses, ou toutes les deux soient impossibles, n’est pas raisonnable ; autrement nous serions bien ridicules de nous amuser ici à former de vains souhaits. N’est-ce pas ?

Tout-à-fait.

Si donc il est jamais arrivé, dans toute l’étendue des siècles écoulés, que des philosophes éminens se soient trouvés dans la nécessité de se mettre à la tête du gouvernement ; ou si la chose arrive à présent dans quelque contrée barbare, placée à une distance qui la dérobe à nos regards, ou si elle doit arriver un jour, nous sommes prêts à soutenir qu’il y a eu, qu’il y a ou qu’il y aura un État semblable au nôtre, lorsque la même muse y possédera la suprême autorité. Un tel État n’est pas impossible en effet ; et nous ne supposons pas des choses impossibles ; mais qu’elles soient difficiles, nous en convenons nous-mêmes.

>utopie réalisable
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Le nombre de ceux qui peuvent dignement avoir commerce avec la philosophie, reste donc bien petit, mon cher Adimante ; ou quelque noble esprit perfectionné par l’éducation, et qui, relégué dans l’exil, demeure fidèle à la philosophie, comme il convient à sa nature, et loin des causes qui auraient pu le corrompre ; ou bien quelque grande ame qui, née dans un petit État, méprise et dédaigne les charges publiques ; ou, à grand’peine encore, quelque esprit heureusement doué qui déserte, avec raison, toute autre profession, pour se livrer à la philosophie. D’autres enfin peuvent être arrêtés par le même frein qui retient auprès d’elle notre ami Théagès[5]. Tout conspire à l’éloigner de la philosophie : mais ses maladies continuelles l’y tiennent constamment attaché, l’empêchant de se mêler des affaires publiques. Pour ce qui me regarde, il ne convient guère de parler de cette voix divine qui m’avertit intérieurement[6] : car on en trouverait à peine un autre exemple dans le passé. Or, parmi ce petit nombre d’hommes, celui qui goûte et qui a goûté la douceur et la félicité que donne la sagesse, lorsqu’en même temps il voit en plein la folie de la multitude et l’extravagance de tous les gouvernemens, lorsqu’il n’aperçoit autour de lui personne avec qui il pût, sans se perdre, marcher au secours de la justice, et que, semblable à un homme qui se trouve au milieu de bêtes féroces, incapable de partager les injustices d’autrui et trop faible pour s’y opposer à lui seul, il reconnaît qu’avant d’avoir pu rendre quelque service à l’État ou à ses amis, il lui faudrait périr inutile à lui-même et aux autres, alors ayant bien fait toutes ces réflexions, il se tient en repos, uniquement occupé de ses propres affaires, et comme le voyageur pendant l’orage, abrité derrière quelque petit mur contre les tourbillons de poussière et de pluie, voyant de sa retraite l’injustice envelopper les autres hommes, il se trouve heureux s’il peut couler ici-bas des jours purs et irréprochables, et quitter cette vie avec une ame calme et sereine, et une belle espérance.

Sortir ainsi de la vie ce n’est pas l’avoir mal employée.

Mais c’est aussi n’avoir pas rempli sa plus haute destinée, faute d’avoir vécu sous une forme convenable de gouvernement. Suppose un gouvernement pareil, le philosophe va grandir encore et devenir le sauveur de l’État et des particuliers. Je crois avoir suffisamment montré la cause et l’injustice des reproches qu’on fait à la philosophie : aurais-tu quelque autre chose à dire ?
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Maintenant quel asile vois-tu où le philosophe puisse se retirer pour y persévérer dans sa profession et y atteindre à tout son développement ? Rappelle-toi ce que nous avons dit, et réfléchis. Nous sommes convenus que les qualités naturelles du philosophe sont la facilité à apprendre, la mémoire, le courage et la grandeur d’ame.

Oui.

Dès l’enfance, surtout si les qualités du corps répondent à celles de l’ame, il sera le premier entre tous ses égaux.

Sans doute.

Lorsqu’il sera parvenu à l’âge mûr, ses parens et ses concitoyens s’empresseront de faire servir ses talens à leurs intérêts.

Oui.

Ils seront à ses pieds, l’accablant de prières et d’hommages ; car prévoyant qu’il sera puissant un jour, ils voudront s’assurer de lui par avance et lui adresseront des flatteries anticipées.

C’est assez l’ordinaire.

Que veux-tu qu’il fasse au milieu de cette foule adulatrice, surtout s’il est né dans un état puissant, s’il est riche, de haute naissance, beau de visage et d’une taille avantageuse ? Ne se laissera-t-il pas aller aux plus folles espérances, jusqu’à s’imaginer qu’il sera capable de gouverner les Grecs et les barbares ? Son cœur ne s’enflera-t-il pas, rempli par le faste et le vain orgueil qui chassent la raison ?

Oui.

Si tandis qu’il est dans cet état d’exaltation, quelqu’un s’approchant doucement de lui, lui faisait entendre le langage de la vérité, en disant que la raison lui manque, et qu’il en a besoin, mais qu’elle ne s’acquiert qu’au prix des plus grands efforts, crois-tu qu’au milieu de tant d’illusions funestes, il prêtât volontiers l’oreille à de pareils discours ?

Il s’en faut bien.

Si pourtant à cause de son heureuse nature et de la sympathie naturelle que ces discours trouvent dans son ame, il les écoutait, se laissait fléchir et entraîner vers la philosophie, que pensons-nous que fassent alors tous ses flatteurs, persuadés qu’ils vont perdre son appui et son amitié ? Discours, actions, ne mettront-ils pas tout en œuvre, et auprès de lui pour le dissuader, et auprès de l’homme qui s’efforce de le ramener pour lui en ôter le pouvoir, soit en l’environnant de piéges secrets, soit en le provoquant par des accusations publiques ?

Cela est fort vraisemblable.

Hé bien, se peut-il encore que notre jeune homme devienne philosophe ?

Je ne vois pas trop comment.

Tu vois que j’avais raison de dire que les qualités qui constituent le philosophe, quand elles se développent sous l’influence d’une mauvaise éducation, le détournent en quelque manière de sa destinée naturelle, aussi bien que les richesses et les autres prétendus avantages de cette espèce.

Oui : je reconnais que tu avais raison.

Telle est, mon cher, la manière dont se corrompt et se perd une nature si bien faite pour la meilleure des professions, et en même temps si rare, comme nous l’avons remarqué. C’est de pareils hommes que sortent et ceux qui causent les plus grands maux aux États et aux particuliers, et ceux qui leur font le plus de bien lorsqu’ils ont pris une heureuse direction ; mais jamais homme d’un naturel médiocre n’a rien fait de grand, soit en bien soit en mal, ni comme particulier ni comme homme public.

Rien n’est plus vrai.

Ces hommes, nés pour la philosophie, s’en éloignant ainsi, et la laissant solitaire et négligée, mènent une vie contraire à leur nature et à la vérité ; tandis qu’elle, privée de ses protecteurs naturels, demeure exposée à l’invasion d’indignes étrangers qui la déshonorent et lui attirent tous ces reproches dont tu parlais : que de ses adhérens, les uns ne sont bons à rien, et les autres, qui forment le grand nombre, sont des misérables.
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    10 questions
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    Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

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