Je suis Paul Gauguin, comédien et martyr, et voleur, dit Emile Bernard, le petit Bernard qui a léché les souliers de Cézanne avant de lécher les miens, qui se croyait prophète à mener la peinture en terre promise. “La synthèse“ disait-il, le truc qu’il avait trouvé, que nous avions trouvé pour sortir la peinture de l’impressionnisme, lui donner non la légèreté de l’image mais le poids de la peinture, non la vibration de la peinture mais la vérité de la peinture, comme disait Cézanne, mais autrement que Cézanne. Mais qu’est-ce qu’il a fait, Bernard ? Qu’est-ce qu’il a peint, Bernard ? Et Sérusier avec son “Talisman“. Comme si le nabi faisait le moine avec ses roses, avec ses croix !
Je suis un sauvage, le frère des maoris, des nègres, des indiens. Je suis un sauvage. Je suis un insurgé. Je suis un incendiaire. J’ai mis le feu à la peinture, le feu à l’Europe, le feu à l’Occident. J’ai renié votre civilisation pour vivre loin, sous les Tropiques, vêtu d’un paréo, faisant l’amour avec des vahinés dans la Maison du Jouir, peignant, surtout peignant ; à la peinture acharné, obstiné, pour la sauver de l’académisme, de la perspective, des joliesses de l’impressionnisme et des brumes du symbolisme ; vivant de la peinture, mourant de la peinture – et moi, Paul Gauguin, le sauvage, mort à Atuona, dans l’île des Marquises, Hivaoa, je vous crache au visage.
Paris galère, Paris bohème, Paris misère, Paris des arts qui meurent, des hommes qui meurent et des dieux morts depuis longtemps, Paris de l’argent-roi, de l’Institut et des Beaux-Arts, Paris des marchands qui marchandent, qui tondent la laine sur le dos des peintres, Paris des critiques qui ne voient rien de ce qu’il y a à voir,...
Vincent est mort, mort dans les blés, dans un vol de corbeau, mort au soleil, mort de soleil, mort de peinture, mort de solitude. Vincent brûlé d’une folie, de tournesols, mort de trop d’amour en lui, n’a pas fini de tourner autour du soleil.
Vous ne pouvez pas comprendre, vous, les tièdes, les complaisants, les êtres mous des cités moisies.
Gilles Plazy lit son texte "Danse avec les chiens", montage réalisé à partir de citations d'Antonin Artaud, André Breton, René Char, Lautréamont et Arthur Rimbaud. La poésie comme parole vie, parole de chair et d'espace hors des limites de l'académisme, du conformisme, du "raisonnable".