Femme portant un fusilSophie Pointurier
roman
HarperCollins Traversée, 2023 , 262p
Je me demande si je suis prête pour lire des livres féministes.
La narratrice est une femme, Claude, dont le prénom peut être porté par un garçon comme par une fille, prénom épicène, de 44 ans, au mitan de sa vie, qui essuie une crise existentielle, disons, elle ne voit plus de sens à sa vie, et ses cours d'éthique à de futures assistantes sociales, engagées à 100°/° pour sauver le monde de la misère physique et sociale, ne sont plus convaincus. Elle n'est pas contre les hommes mais elle peut très bien vivre sans eux, et même mieux.
Elle est séparée de son mari et elle élève seule leur fils, un adolescent de 16 ans, Lenny, avec qui elle a une vraie complicité. Lenny se met du khôl autour des yeux et se peint les ongles de vernis noirs, ce qui n'est pas du tout du goût de son père. Il est exclu de son lycée pour avoir taggué sur un mur, pour rigoler, ACAB, All cops are bastards, tous les flics sont des salauds. La mère est convoquée par la proviseure et se laisse humilier -parce que chez elle le courage n'est pas constant- par cette dernière qui lui parle de défaillances dans l'éducation qu'elle donne à son fils. C'est bien sûr la mère qu'on incrimine. Elle, comprend le geste de son fils . Elle dit qu'il n'est pas simple pour une mère d'élever un fils, ses réactions devant, dans, son corps de garçon lui étant, question de sexe, inconnues. Lenny se dit non binaire, et Claude sourit devant le vocabulaire des jeunes.
Elle s'intéresse aux béguines qui ne veulent pas être mariées, veulent échapper à l'emprise de la religion, et vivre indépendantes.
Quand elle tombe sur une annonce de vente d'un hameau dans le Tarn, elle est comme aimantée par l'idée d'y établir une communauté de femmes, comme un béguinage. Ce hameau, elle ne peut l'acheter seule, 320.000.000 quand même. Elle rencontre Elie, porteuse elle aussi d'un prénom épicène, âgée d'une soixantaine d'années, qui la prend avec elle pour sauver une sexagénaire sénile et terriblement seule qui saute de son balcon.
Elie est lesbienne. Elle a participé dans les années 80 aux communautés féministes dans l'Oregon, où les femmes, qui subvenaient à tous leurs besoins, créaient presque un état à part, une micro-nation, avec une constitution. La communauté ne sera donc pas seulement féministe, mais aussi écologique. Elie est contre la violence.
Puis toutes deux rencontrent Harriet, une Ecossaise, la soixantaine, qui ne s'embarrasse pas du genre des articles à mettre devant les noms, sauf quand il s'agit de sa chienne. Certaine parlera de grammaire dégenrée. Son mari était violent, elle l'a quitté.
Enfin vient Anna, une thésarde militante. Puis viendront Beatriz, une révoltée qui a connu la prison, et deux jeunes féministes qui parlent d'intersectionnalité et d'inclusivité.
Au début du livre, Claude est avec un flic, plutôt borné, qui pense comme un flic, et la qualifie de terroriste. Elle a tiré sur un homme parce qu'il avait agressé violemment Elie.
La construction du livre devient alors classique : Claude est en garde à vue, et elle revit le passé, ce qui l'a amené à cet endroit. Cette relation du passé est pleine de rebondissements qui me laisse pantoise. Claude se demande quel est le véritable début de l'affaire . Il y a évidemment l'amitié qu'elle porte à Elie, mais Harriet n'avait-elle pas vu en elle un soldat qui sommeillait ? Elle a 44ans, et l'épilogue parle d'une femme du même âge qui est morte des coups de son mari. La communauté de femmes suscite bien des réactions négatives, celle du voisin d'abord qui a un droit de passage sur les terres, celle des réseaux sociaux.
Ce livre, sous ses allures de policier parle de la possibilité d'une utopie féministe : peut-on autoriser les femmes à vivre en autarcie, entre elles ? Elles ont besoin d'être bien baisées, elles ne sont pas compétentes, elles ont besoin de l'aide masculine, qu'est-ce que cela veut dire qu'elles aient du pouvoir ?
Il parle de violence morale. d'acte politique. le meurtre est justifié. Comment punit-on la violence masculine, et celle des femmes ? Claude met en avant a responsabilité qu'on fait porter aux femmes, l'humiliation supportée jusqu'à la fameuse goutte d'eau de trop, le chagrin, le désespoir. Il lui revient même cette main baladeuse et avide qui l'avait agressée quand elle avait douze ans. Les comportements des infirmiers et infirmières montrent que les choses peuvent changer, que les hommes seront enfin punis pour féminicides réels et potentiels, La question d'une soumission à ou d'une incorporation de la pensée masculiniste est aussi posée.
le livre étonne, interroge, dérange. le personnage de Claude, on l'a pour ainsi dire en face de soi et on entend l'accent de Harriet.