AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le parti pris des choses - Douze petits écrits - Proêmes (116)

Ainsi tracent-ils aux hommes leur devoir. Les grandes pensées viennent du cœur. Perfectionne-toi moralement et tu feras de beaux vers. La morale et la rhétorique se rejoignent dans l'ambition et le désir du sage. Mais saints en quoi: en obéissant précisément à leur nature. Connais-toi donc d'abord toi-même. Et accepte-toi tel que tu es. En accord avec tes vices. En proportion avec ta mesure.
Commenter  J’apprécie          110
L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.
Commenter  J’apprécie          110
LE PARTI PRIS DES CHOSES
DE L'EAU


 On pourrait presque dire que l'eau est folle, à cause
de cet hystérique besoin de n'obéir qu'à sa pesanteur,
qui la possède comme une idée fixe.
 Certes, tout au monde connaît ce besoin, qui tou-
jours et en tous lieux doit être satisfait. Cette armoire,
par exemple, se montre fort têtue dans son désir d'adhé-
rer au sol, et si elle se trouve un jour en équilibre ins-
table, elle préférera s'abîmer plutôt que d'y contreve-
nir. Mais enfin, dans une certaine mesure, elle joue avec
la pesanteur, elle la défie : elle ne s'effondre pas dans
toutes ses parties, sa corniche, ses moulures ne s'y
conforment pas. Il existe en elle une résistance au profit
de sa personnalité et de sa forme.
 LIQUIDE est par définition ce qui préfère obéir à la
pesanteur, plutôt que maintenir sa forme, ce qui refuse
toute forme pour obéir à sa pesanteur. Et qui perd
toute tenue à cause de cette idée fixe, de ce scrupule
maladif. De ce vice, qui le rend rapide, précipité ou
stagnant; amorphe ou féroce, amorphe et féroce, féroce
térébrant, par exemple ; rusé, filtrant, contournant ; si
bien que l'on peut faire de lui ce que l'on veut, et con-
duire l'eau dans des tuyaux pour la faire ensuite jaillir
verticalement afin de jouir enfin de sa façon de s'abîmer
en pluie : une véritable esclave.
 ... Cependant le soleil et la lune sont jaloux de cette
influence exclusive, et ils essayent de s'exercer sur elle
lorsqu'elle se trouve offrir la prise de grandes étendues,
surtout si elle y est en état de moindre résistance, dis-
persée en flaques minces. Le soleil alors prélève un plus
grand tribut. Il la force à un cyclisme perpétuel, il la
traite comme un écureuil dans sa roue.

p.61-62
Commenter  J’apprécie          100
"Qu'on s'en persuade : il nous a bien fallu quelques raisons impérieuses pour devenir ou pour rester poètes. Notre premier mobile fut sans doute le dégoût de ce qu'on nous oblige à penser et à dire, de ce à quoi notre nature d'hommes nous force à prendre part. " (Des raisons d'écrire)
Commenter  J’apprécie          100
MON ARBRE

Mon arbre dans un siècle encor malentendu,
Dressé dans la forêt des raisons éternelles
Grandira lentement se pourvoira en feuilles,
A l'égal des plus grands sera tard reconnu.

Mais alors il fera l'orage ou le silence,
Sa voix contre le vent aura cent arguments,
Et s'il semble agité par de nouveaux tourments,
C'est qu'il voudra plutôt se débarrasser de son trop de science.

1926.
p.153
Commenter  J’apprécie          90
Ainsi de l’élasticité à l’esprit des paroles, et de la poésie comme je l’entends.
Commenter  J’apprécie          80
La bougie

La nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées en massifs d'ombre.
Sa feuille d'or tient impassible au creux d'une colonnette d'albâtre par un pédoncule très noir.
Commenter  J’apprécie          80
Le Pain

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.
Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, -- sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.
Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable...
Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.
Commenter  J’apprécie          80
A tout désir d'évasion, opposer la contemplation et ses ressources. Inutile de partir: se transférer aux choses, qui vous semblent d'impressions nouvelles, vous proposent un million de qualités inédites.
Commenter  J’apprécie          70
LE PARTI PRIS DES CHOSES
NOTES POUR UN COQUILLAGE


 Les monuments de l'homme ressemblent aux mor-
ceaux de son squelette ou de n'importe quel squelette,
à de grands os décharnés : ils n'évoquent aucun habi-
tant à leur taille. Les cathédrales les plus énormes ne
laissent sortir qu'une foule informe de fourmis, et même
la villa, le château le plus somptueux faits pour un seul
homme sont encore plutôt comparables à une ruche
ou à une fourmilière à compartiments nombreux, qu'à
un coquillage. Quand le seigneur sort de sa demeure
il fait certes moins d'impression que lorsque le bernard-
l'hermite laisse apercevoir sa monstrueuse pince à l'em-
bouchure du superbe cornet qui l'héberge.
 Je puis me plaire à considérer Rome, ou Nîmes,
comme le squelette épars, ici le tibia, là le crâne d'une
ancienne ville vivante, d'un ancien vivant, mais alors
il me faut imaginer un énorme colosse en chair et en os,
qui ne correspond vraiment à rien de ce qu'on peut
raisonnablement inférer de ce qu'on nous a appris,
même à la faveur d'expressions au singulier, comme le
Peuple Romain, ou la Foule Provençale.
 Que j'aimerais qu'un jour l'on me fasse entrevoir
qu'un tel colosse a réellement existé, qu'on nourrisse
en quelque sorte la vision très fantomatique et unique-
ment abstraite sans aucune conviction que je m'en
forme ! Qu'on me fasse toucher ses joues, la forme de
son bras et comment il le posait le long de son corps.
 Nous avons tout cela avec le coquillage : nous sommes
avec lui en pleine chair, nous ne quittons pas la nature :
le mollusque ou le crustacé sont là présents. D'où, une
sorte d'inquiétude qui décuple notre plaisir.

p.75-76
Commenter  J’apprécie          60






    Lecteurs (2505) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Le parti pris des choses Francis Ponge

    Francis Ponge a écrit "Le pain"

    VRAI
    FAUX

    5 questions
    84 lecteurs ont répondu
    Thème : Le parti pris des choses de Francis PongeCréer un quiz sur ce livre

    {* *}