Citations sur Frère du précédent (11)
( En parlant de son frère.... )
J'ai songé à te dédier ce livre dont j'écris les premières lignes. Vite, je me reprends: je ne vais quand même pas, maintenant que, mort, tu ne peux plus me nuire, chercher à me réconcilier. Il y a de l'hypocrisie dans cette pratique courante: comme on les aime, nos morts, alors qu'on avait tant à s'en plaindre quand ils étaient vivants!
Comme il est tenace le désir d'être le préféré, l'élu! Comme il resurgit au moment du partage! Que de brouilles familiales il provoque! Il arrive qu'elles se répètent de génération en génération.
À l'origine du conflit: une mère ne se partage pas.
La mémoire est trompeuse, il le sait, elle invente alors même qu'elle est convaincue de reproduire; la frontière entre l'imagination et la réalité est si ténue qu'elle en devient imperceptible et que lui, le romancier, se doit de l'ignorer.
La plupart des oppositions canoniques, je les récuse. Folie/ Raison - il existe des folies raisonnantes et un noyau de vérité au coeur de tout délire. Civilisation/ Barbarie, comme si le XXème siècle et sans doute celui qui commence ne nous donnaient pas suffisament de preuves que la barbarie est dans la civilisation.
Je ressemblais à ces touristes qui vont de site en site, d’un portail d’église à un château-fort sans quitter de leurs yeux leur guide bleu ou vert, cherchant à vérifier si ce qui est devant eux correspond bien à ce qui est inscrit dans le guide. Ils ne voient rien. Ils refusent de se laisser absorber, ne fût-ce que quelques instants, par ce qui est là, à portée de leur regard, offert. Ils font plus confiance au guide qu’à eux-mêmes, ils ne savent pas percevoir.
Bien avant que la Terreur et sa paranoïa ne s'installent, la conviction que mon voisin était suspect, qu'il pourrait bien être mon ennemi, que mon "frère" complotait contre moi, derrière mon dos, cette conviction-là, avec les ravages qu'elle entraîne, serait-elle en germe dans toute société qui proclame, haut et fort n'avoir pour idéal que la fraternité?
L'énigme, à commencer par celle que propose le Sphinx à Oedipe, puis, des siècles plus tard, celle que le rêve offrit à Freud, s'adresse à une intelligence capable de trouver la solution, de déceler son sens caché. Le mystère, lui, n'est pas déchiffrable, il échappe au langage, il va de pair avec la révélation, avec le dévoilement.
Tout premier est jaloux du second, l'intrus. Le second est jaloux du premier arrivé. L'enfant unique pâtit d'être l'unique de sa mère. Dans une famille nombreuse, pas facile de trouver sa place. Il n'existe pas de bonne solution. Mais il y a pire encore: avoir été volé de son enfance.
Depuis, il se méfie des faux-jetons comme de la peste. Un de ses amis, d'origine étrangère, maniant la langue française à sa manière, dit "doubles jetons". Le cadet se méfie de ces êtres doubles qui changent de jeu, mais aucun n'est vrai.
J'ai eu, tout au long de mon adolescence, à résoudre cette contradiction: êtr, j'y tenais par-dessus tout, le fils de mon père et n'être à aucun prix le descendant de sa famille. Sans doute pour garder toujours vivante en moi, et en moi seul, l'image - non, pas l'image: la présence - de ce père aimé-aimant, mort très jeune, me fallait-il fuir tous les membres d'une famille qui avait commis la faute impardonnable de n'être pas lui.