La vigne vierge couvrait sa nudité hivernale d’une parure émeraude qui réchauffait la maison. Ses feuilles se donnaient au soleil d'avril et s'étalaient avec nonchalance sur la roche. Les cerisiers érubescents par tant d'audace se trémoussaient au moindre zéphyr. De part et d'autre des sentes bordées de chênes centenaires, le jardin exposait ses premiers bouquets de coloris en peintre impressionniste. Aidée de Bastien, Madame Marsaillac avait pensé l’emplacement de chaque fleur, chaque plante, chaque arbrisseau afin d'aimanter le printemps. Les fragrances du chèvrefeuille et du lilas embaumaient la propriété d'une haleine fraîche et sensuelle tandis que la brise redonnait aux arbres leur gonflant naturel. Jean-Baptiste Marsaillac, maître des lieux, contemplait depuis le perron cette poussée de vie qui chassait les derniers relents de l’hiver. Son regard passait en revue chaque détail du domaine, avec un mot de remerciement pour chacun. Cette terre et tous les biens dont il avait hérité subvenaient généreusement aux besoins de sa famille et il n'était en aucune façon un ingrat. Homme de belle allure, il n'affichait pas sa cinquantaine comme il n'affichait pas sa richesse ; il recevait ces bienfaits avec humilité et les bonifiait du mieux qu'il pouvait. Dans le ruisseau, les ablettes virevoltaient et l'eau diaphane distillait son nectar. Sertie dans cette nature bienveillante, la Malicorne était un havre de paix et d'indolence. Décidément, les Marsaillac avaient bien de la chance d'habiter cette demeure douceur pétale qui attendait les saisons chaudes avec une ferveur de vestale.