Moi j’ai rien fait de mal moi j’y suis pour rien moi je suis pas né tout seul dans son ventre à elle… d’ailleurs c’est pas vrai j’y suis pas né… le froid qu’il doit faire là-dedans... j’aurais pas pu m’y cacher dans son niglou.
"_La photo est toute fripée, tu sais ! et puis, même si c'est ta mère, quelle importance ? J'espère aussi que tu l'as dans le cœur, son image, et c'est la seule chose qui compte."
Maxence était fils unique, orphelin. Aussi fut-il heureux d'échanger avec Ludo des souvenirs d'enfance que ni l'un ni l'autre n'avait jamais vécus.
Il eût fait n'importe quoi ce soir pour que ce trésor sans valeur, sa vie, lui fût laissé.
Dans ses mains caleuses il contemplait cette évidence : on l’abandonnait. Dans ses yeux il voyait sa mère absente, il fuyait les miroirs, il fuyait sa mémoire, et vaincu fuyait ce dont il était sûr depuis sa naissance : on l’abandonnait.
Le psychiatre se mit à pontifier d'un ton grognon.
« Ludovic est un cas médicalement... peu répandu. Un arriéré de type asilaire, aucun doute là-dessus, mais difficile à catégoriser. Chez lui, c'est l'oblitération des processus cognitifs qui est caractéristique. Pour l'adolescent ce manque est généralement catalyseur d'une dégradation des mécanismes adaptatifs, lexie, latéralité, ce qui est bien sûr très amputant. Ludovic a mécanisé tous ses complexes à contretemps. Il n'a pas eu le pénis paternel ni le sein maternel à mentaliser pour l'élaboration d'une sexualité homogène...
- Et pour le rapport, docteur, intervint le Maire avec nervosité, vous n'auriez pas une formule en deux, trois mots ? »
Le docteur Waille le fusilla du regard.
« Ecrivez donc "dysfonctionnalité paranoïde" et ça suffira. »
"Le sapin décoré par Micho clignotait bleu-vert comme l'harmonium, ce qui tapait sur les nerfs de Nicole et sur les souvenirs : les phares aussi clignotaient sur la mer, ils clignotaient dans sa tête à longueur de mémoire, elle détestait les phares, les sapins, les souvenirs."
Deux vieilles dames apparurent, l'une tenant par une ficelle un carton à pâtisserie. Ludo les vit s'installer confortablement sur une banquette, échancrer leurs fourrures, et faire un sort à d'énormes choux à la crème. Le jeu des mâchoires, étrangement latéral et tournant comme chez les bovins, s'accompagnait de coups de langue, d'infimes tremblements du menton, de brèves mimiques sourcilières et de fléchissements du cou faisant frémir les plumes de leurs chapeaux.
Il se coucha par terre en boule et ferma les yeux. Tout le monde s’aimait, les parents aimaient les enfants, Fine aimait Doudou et Gratien, Mademoiselle Rakoff écrivait des lettres d’amour, lui seul n’était pas aimé, jamais, lui seul restait toujours seul.
Quelle délivrance dans le verbe "aimer".