L'auteur n'a pas choisi la facilité : sujet explosif, délicat, dans l'air du temps, violent , qui pose question et regarde la réalité en face , sans mâcher ses mots :
L'endoctrinement mortifère d'adolescentes aux théories djihadistes et tout ce qui tourne autour, port du hidjab... conversion, martyr, lecture du Dar Al- Islam , mensuel francophone de l'Etat Islamique, sans y comprendre grand- chose ....
Qu'est ce qui conduit une adolescente de quinze ans , transparente , entourée de parents aimants, de la classe moyenne ——-qu'elle ne comprend pas—-—élevée à Sucy- en Loire, fréquentant le lycée Henri Matisse , à commettre un attentat terroriste ?
Jenny Marchand alias Chafia , revêche, mal dans sa peau, adepte et lectrice assidue de Harry Poter , silencieuse et empruntée, traînant son désespoir, aigrie, souffrant d'une haine tenace contre elle - même et la terre entière , se laisse berner par Dounia l'ensorceleuse, roublarde, illusionniste , petite voleuse aguerrie sans passer par la case prison .....
Par le biais des réseaux sociaux ces apprentis terroristes tel Dounia ont trouvé un outil extrêmement efficace.
Dounia la perverse , l'accoucheuse, la chaperonne, la Lionçonne du Califat , l'initiatrice , la maîtresse de cérémonie , l'ensorceleuse distille à petit feu différents arguments pour convaincre Jenny, alias Chafia, pétrie de haine...
Elle l'assomme de révélations , gagnant à l'usure la psalmodie mahométane , tournant au radotage sacré, variant à l'infini sur la « Grandeur de Dieu », les invitations au meurtre jetées de ci de là, un message délivré jusqu'au tournis ...et la prédication de la Mecque .
Jenny avale les versets dans le désordre : l'enfer c'est les autres , il faut à tout prix détruire le SYSTÈME .
Dounia la persuade en jouant sur son orgueil , sur l'orgueil puéril de ne pas avoir flanché ,Chafia la fielleuse récite la Chahada , seule dans sa chambre où son écran d'ordinateur jette un halo bleuté ...
Chafia : c'est l'ombre qui l'intéresse , en s'initiant à la haine absolue , se rêvant martyr , tandis qu'à l'Élysée le Président Saint Maxence , vieux lion épuisé laisse sa place à un autre ( on reconnaît deux anciennes grandes figures politiques au sein du récit , ainsi que Michel Onfray et quelques autres ) ....
C'est un ouvrage très bien construit , grinçant, ironique , sans compromis , politique , entre portrait d'un président vieillissant , à bout de souffle, bassesses et compromissions , et l'engrenage fatal du djihadisme qui tient en haleine jusqu'à la dernière phrase .....
Une violence insoupçonnée déclenchée par les plus petites existences !
A méditer ! A lire !
L'auteur est avocat, Soeur est son premier roman .: aux Éditions de l'Observatoire .
« Il y a quelque chose d'effroyablement pur dans leur violence , dans leur soif de se transformer. Elles renoncent à leurs racines, elles prennent pour modèles les révolutionnaires dont les convictions sont appliquées le plus impitoyablement . Machines impossibles à enrayer , elles fabriquent la haine qui est le moteur de leur idéalisme d'airain » .
Philippe Roth, Pastorale américaine ...
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A une centaine de mètres devant elle, une géante de bronze lui indique qu'elle est arrivée au port. C'est elle, la grasse femelle satisfaite, toisant depuis son socle les idolâtres qui viennent sacrifier à son culte asséchant, bardée d'attributs kitsch, les hauts-reliefs de la République en toc, les colifichets, les gris-gris, les lions de cirque, l'épée de parade, le bonnet phrygien, tout l'attirail frelaté de la putain insubmersible hissée sur un pavois d'hérésies, portée depuis deux siècles par tous les proviseurs à bouc et les papa Marchand, fraudant le droit divin avec son abominable désinvolture de resquilleuse voltairienne, le fameux esprit français, cette éloquence de petits marquis foireux qui lui a tant manqué et peut-être est-elle la cible véritable, Chafia ne sait plus, elle a surtout envie de mourir.
Radicalisation. Les journalistes répéteront ce mot à l’envi, ravis d’avoir trouvé un concept-talisman que ses six syllabes paraient d’une vague aura scientifique, sans se rendre compte qu’ils commettent ainsi une erreur manifeste d’appréciation. La «radicalisation» de Jenny aurait supposé une phase transitoire de croyance apaisée qu’elle n’avait jamais traversée. Elle s’était convertie, voilà tout. Sans connaissance préalable de la religion, elle n’avait eu qu’une conscience diffuse d’en rejoindre une section dissidente. Bien sûr, elle avait écouté Dounia lui expliquer les subtilités de l’apostasie et du chiisme, elle avait écouté ses harangues contre ces millions de musulmans qui trahissaient leur foi en s’accommodant de la modernité, mais tout cela était un peu chinois pour une néophyte. p. 215
INCIPIT
Chafia racle le sol du bout de ses baskets, et la gomme imprime des traces noirâtres sur le linoléum.
Elle a demandé l’heure.
Elle est assise sur un tabouret en plastique moulé, entre les deux bureaux en vis-à-vis qui mangent l’essentiel de la pièce, avec la grande armoire métallique. Ils sont trois, elle et les deux flics, un homme et une femme, piégés entre les cloisons en placoplâtre qu’on devine ajoutées au gré de l’évolution du service, découpant en bureaux étroits ce qui a dû être un vaste open space.
Ils ne l’ont pas menottée.
L’homme est court, charpenté, centre de gravité bas, il porte un pantalon de treillis et un T-shirt à manches longues. La femme s’en tire avec un cul haut perché et une queue de cheval. Des ombres passent, furtives, derrière la porte en verre dépoli.
Le bureau sans apprêt ne raconte rien que de très sobre et très fonctionnel. Un panneau de liège trahit, seul, ses occupants et leurs secrètes passions : entre un fascicule de prévention (SÉCURITÉ ROUTIÈRE, TOUS RESPONSABLES) et un planning d’astreinte se balance un fanion frangé d’or aux couleurs du Real Madrid. Il y a aussi, posée à côté du clavier de l’homme, une figurine en résine du guerrier Thorgal.
La porte s’ouvre. Un grand type roux passe une tête ennuyée pour savoir où en est l’audition, parce qu’il voudrait bien récupérer son bureau, hein, et la porte ouverte un instant charrie l’ambiance du commissariat, sonneries de portable, grésillements de talkies-walkies, conversations et raclements de chaise, rugissement lointain d’une disqueuse. L’homme en treillis répond qu’il est désolé, ils ont pris du retard à cause d’un « souci avec la caméra », l’autre dit « qu’est ce qu’on en a à battre de la caméra t’es pas en procédure criminelle » et l’homme en treillis répond qu’elle est mineure, « donc les auditions doivent être filmées », pas mécontent de rabattre le caquet du grand roux qui ne bouge pas, la bouche entrouverte, les yeux plissés, fouillant à l’intérieur de lui-même pour trouver une réplique qui lui permettrait de s’en tirer sans déshonneur, mais rien ne vient. Il opte pour la moue circonspecte de celui qui n’est pas totalement convaincu de la vérité qu’on lui assène mais qui ne se battra pas pour faire valoir la sienne, et il part en bougonnant, il a besoin de son bureau, merde.
L’homme en treillis décoche un rictus méprisant en triturant la figurine de Thorgal, pièce maîtresse d’une petite collection conservée à domicile où se côtoient Spirou, Buck Danny et Natacha-hôtesse-de-l’air. Puis il l’envoie valdinguer d’une pichenette sans appel, histoire de signifier au monde ce qu’il pense de leur rouquin propriétaire qui les traque sans doute au fond des boîtes de céréales, avec la joie pure d’un enfant de six ans.
Chafia bâille.
Le ciel plombé, à travers les stores vénitiens, ne lui apprend pas grand-chose alors elle a demandé l’heure. L’homme en treillis lui a dit sèchement qu’il n’était pas là pour répondre à ses questions, son sourire découvrant sa gencive supérieure tandis qu’il ajoute : « Pourquoi, t’as un rencart, t’es pressée, t’as peur de louper Koh Lanta ? » Il lui demande ce qui urge tant, on a vingt-quatre heures à passer ensemble, peut-être plus si le procureur veut jouer les prolongations, donc franchement.
Il dit cela en se malaxant le coude comme s’il était douloureux, il en fait un peu des caisses, sans doute a-t-il envie que sa collègue le plaigne mais elle est absorbée par sa frappe monotone, Chafia l’entend taper dans son dos, une frappe lente et concentrée, peut-être les ultimes retouches au procès-verbal de notification des droits. Elle a parlé d’une grosse coquille, il faudra le signer de nouveau.
Chafia sent monter la haine, doucement. Ce matin déjà elle s’était retenue de ne pas lui casser l’arête du nez, lorsqu’il avait échangé sa chaise contre un tabouret au prétexte qu’elle était avachie.
Elle répond qu’elle veut connaître l’heure pour faire sa prière, c’est tout, et elle ajoute cette phrase qui pue le bluff à trois sous : « Vas-y, je connais mes droits, vous allez pas me la faire à l’envers », avec un petit air crâne qu’elle aurait voulu être celui de Pablo Escobar face aux policiers de Medellín, mais elle a manqué son effet et l’homme en treillis la considère en penchant la tête sur le côté, comme on regarde un chiot malade. Il y a un silence, la collègue suspend sa frappe et rétorque que non, elle ne connaît pas ses droits, elle ne connaît rien à rien d’ailleurs, mais qu’elle aura bientôt l’occasion d’acquérir une solide connaissance de la procédure pénale, une fois mise en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Elle dit ça comme ça, pour ce que ça vaut, et elle reprend ses gammes de dactylo.
Okay, dit Chafia.
Très bien, elle ne répondra pas aux questions.
Elle s’avance au bord du tabouret, se penche en avant, la tête entre ses mains, coudes plantés dans le gras des cuisses, elle regarde ses pompes, et elle prie. Elle récite la prière d’ouverture, enfin les premiers mots qui lui viennent de tête car rapidement elle bute, tâtonne, une syllabe manquante lui faisant perdre le fil de sa mélopée, elle continue à bouger les lèvres pour ne pas perdre la face, au cas où ils regarderaient, elle essaie de faire le vide, se transporte dans un espace neutre et laiteux, ça y est, ça vient, elle raccroche les wagons de la sourate Al-Fatiha, « Au nom d’Allah, celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux, Louange à Allah, Seigneur des mondes, celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux, le Roi du Jour du Jugement » et puis de nouveau le trou noir, alors elle se contente de répéter Allahu akbar, Allahu akbar, Allahu akbar, allez bien niquer vos mères.
L’homme soupire, jette un regard à sa collègue qui lui fait un signe de tête. Il saisit la petite webcam qu’il décale de quelques centimètres, s’assurant qu’elle cadre bien la gardée à vue. Puis il frappe un grand coup sur le bureau. Chafia sursaute.
— Allez, on va arrêter les conneries. Parle-moi un peu de Dounia. Dis-nous où elle est en ce moment.
— Je la connais pas.
— Ça, tu vois, ça me va pas du tout comme réponse. Dans une demi-heure, je dois appeler le proc pour lui rendre compte de ta garde à vue. Tu veux que je lui dise que tu lui proposes d’aller se faire foutre ? T’es dans la merde, ma pauvre. T’es dans la merde mais tu peux encore limiter la casse. Alors arrête de faire la belle.
— T’inquiète pas pour moi, j’arrangerai ça avec le procureur, j’le connais, c’est mon pote.
— Ta gueule.
— Oui, réfléchis un peu, dit doucement la femme, depuis son bureau.
Leur numéro était bien rodé : il beuglait, elle jouait la meuf arrangeante.
Chafia se retourne vers elle, ouvre la bouche pour parler mais l’homme frappe de nouveau, du plat de la main. Un stabilo décapuchonné va rejoindre Thorgal sur le lino.
— C’est à moi que tu parles. C’est moi que tu regardes.
— C’est bon elle m’a parlé donc je…
— C’est moi qui te pose des questions, c’est moi que tu regardes.
— Va-z-y c’est bon.
— Une dernière fois : Dounia Bousaïd.
Bonne fille, elle écoute les slogans qui dessinent un monde simple, où les adversaires sont clairement identifiés les étrangers, les juifs, les homosexuels, les mécréants et les musulmans apostats. A peu près tout le monde, en fait. Jenny comprend qu'ils forment un tout cohérent, une masse grouillante, engagée dans une lutte à mort contre les moudjahidines. Unis entre eux dans une conjuration invisible. Les juifs, surtout. Elle n'avait jamais compris qui ils étaient vraiment, avant. Elle avait bien entendu parler de feujs, fais pas ton feuj, putain quel feuj, mais n'y voyait qu'un des innombrables missiles de l'arsenal adolescent pour chambrer un camarade qui refuse de prêter son fidget spinner. L'idée qu'il y avait là autre chose qu'un synonyme de radinerie pathologique lui avait échappé. Les juifs sont-ils tous feujs ? a-t-elle demandé à Dounia. Maintenant elle sait. Leur agenda cache, leurs desseins millénaires et surtout leur art consommé de la dissimulation, la foule des Moldus imbéciles incapables de détecter les fils de Sion derrière leurs apparences multiples, du banquier rutilant à l'instituteur paisible. (p.164-165)
« Chaque chanson est un cri de rage pure, décapé jusqu’à l’os , chaque pulsation de basse vient résonner en bas, dans les tripes, là où naissent les révoltes .Elle aime l’idée d’un organe qui sécrète la haine, comme une glande. La violence est une libération .... »
En 2020, le festival Oh les beaux jours ! a répondu à la proposition du Barreau de Marseille de créer un
prix littéraire récompensant un auteur dont le livre (fiction ou non-fiction) traite d'un sujet en lien avec les
préoccupations professionnelles ou éthiques des avocats : sujet de société, famille, travail, environnement…
Chaque année, un comité de sélection composé d'avocats du Barreau de Marseille et de l'équipe du festival
fait une première sélection de six livres, romans et récits, où la fiction côtoie le réel.
Le jury, composé d'avocats, se réunit ensuite pour désigner le lauréat ou la lauréate. Cette année, c'est
l'écrivain Abel Quentin, lauréat du prix l'an dernier, qui présidera ce jury.
Sélection 2023
– Ceci n'est pas un fait divers, Philippe Besson, Julliard, 2023.
– le Coeur ne cède pas, Grégoire Bouillier, Flammarion, 2022.
– Les Contemplées, Pauline Hillier, La Manufacture de livres, 2023.
– Sa préférée, Sarah Jollien-Fardel, Sabine Wespieser, 2022.
– Un homme sans titre, Xavier le Clerc, Gallimard, 2022.
– le Colonel ne dort pas, Émilienne Malfato, Éditions du sous-sol, 2022.
Le
Le prix, doté de 3 000 €, sera décerné le 24 mai 2023 au théâtre de la Criée, en présence du ou de la lauréate.
Contact
presse :
Alina Gurdiel
alinagurdiel@gmail.com
Le Prix littéraire du Barreau de Marseille est soutenu financièrement par la Société de Courtage des Barreaux.
http://ohlesbeauxjours.fr
#OhLesBeauxJours #OLBJ2023 #prixlitteraire @barreaudemarseille527
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