Citations sur Dernier Royaume, tome 11 : L'homme aux trois lettres (52)
Une vie totalement dévouée à la lecture des livres entraîne des conséquences redoutables.
Des exils. Des silences. Des retraits. Des démissions. Des divorces. Des suicides. Des esseulements sans cesse renouvelés. Non seulement des jours mais toutes les nuits, tous les rêves, même la sexualité de celui qui écrit, sa mort même, sont impliqués.
Je ne suis pas sûr qu'au-delà de telle ou telle forme que prend l'écrit, qu'il prit jadis, qu'il pourrait prendre, il n'y ait pas, il ne pourrait pas y avoir une autre forme possible qui serait plus extraordinaire qu'elles.
Une autre ascèse possible pourrait se révéler plus radicale encore, plus étourdissante, plus vertigineuse, plus profonde, plus inouïe, plus indomesticable, plus esseulante, plus solitaire.
Un autre silence, capable de faire taire davantage la langue parlée, sourdrait.
Legere est lié à lectus. Car écrire lit le lu intérieur.
Il range sa bêche dans l’abri. Il semble qu’il s’en aille seul dans le sentier, sur la lande, dans la neige. Ils s’en vont tous les deux dans la nuit et la neige.
Ô langage qui divises tout par deux dans la perte et la souffrance, tu es aussi un langage qui s’est multiplié par deux dans le silence et la lecture !
L’archæoptéryx a cent cinquante millions d’années. / Son bec contient encore des dents. / Son dos porte déjà des plumes. / Oiseau qui ne picore ni ne vole. / C’est un être sans nom qui avance à quatre pattes comme un crocodile devenu fou.
Je me cramponnais à l’épaisse aiguille à broder. / Il s’agissait, seconde par seconde, de faire passer, minute par minute, le temps insupportable.
Tous les dépressifs cherchent à tenir. / Dans écrire une main absolue s’agrippe.
Sauter l’heure des repas, oublier le rendez-vous, ne plus savoir si c’est le jour ou la nuit, sont des évènements plus importants qu’avoir un avenir.
Là encore un rêveur, l’enfant, le joueur, le musicien, l’amateur de fantasmes, de perversions, de fétiches, le mystique, le lecteur, l’érudit, le savant, tous sont des affranchis du temps.
La liste de l’aube contient d’abord les merles qui chantent si bien, si clairement, si nettement, et qui volent tous leurs chants à tous leurs congénères,
même au rossignol au cœur de la nuit,
même au rouge-gorge à la fin de la nuit,
ils volent et ils volent,
ils améliorent,
ils jouent,
ils ôtent la mousse,
ils becquettent la terre,
puis les moineaux,
puis les tourterelles grises et longues et blanches et leur incroyable tourtour qui est comme un ronronnement d’oiseau,
puis les grosses pies qui viennent à leur tour du cimetière du Père-Lachaise jacasser les cris et l’agressivité et la douleur.