Les larmes

La lumière n'accueille pas l'ombre, puisqu'elle l'éclaire.

Plus encore, en émettant sa clarté, la lumière extermine l'ombre

De la même façon, ceux qui parlent n'accueillent jamais le silence, puisqu'ils le rompent.
(p.191)

- Nous autres, femmes, notre vie n'est pas heureuse. Le temps où nous sommes des femmes est trop bref. Nous sommes beaucoup trop longtemps des petites filles, nous restons si peu de saisons des femmes, nous sommes trop vite des mères, nous perdons une durée interminable à faire les vieillardes et à rester, un pied en l'air, toutes poudrées, à hésiter à naufrager dans l'océan de la mort. De plus, le cycle de notre fécondité est désagréablement mesuré si nous le comparons à l'étendue de notre existence. Les soins que requièrent les petits qui sortent de notre sexe sont répétitifs et grossiers. Voilà pourquoi je pense : Le temps des mères et des aïeules est beaucoup trop étiré au point qu'il en devient fastidieux et presque dégoûtant.

Il n'y a pas d'âge dans les forêts. Il n'y a pas de pauvreté chez les tigres. Il n'y a pas de luxe chez les loups. Il n'y a pas d'ostentation chez les bêtes sauvages.

Tous les oiseaux répondent - et même leur surprenant silence répond quand ils en viennent à se taire.
Tous les oiseaux modulent selon l'accompagnement que le lieu offre aux mouvements et à la résonnance particulière qu'organisent leurs étranges mandements.
Presque pas d'arpège ne tintinnabule quand le site est dans la brume.
Aucun égrènement d'appels ne se relance deux fois sous le couvert.
Les graves se diffusent plus loin dans le monde des oiseaux - comme la douleur dans le nôtre.
Les lents se distinguent plus aisément que les rapides.

Le français sort du monde antique comme un oiseau de la coquille qu'il brise, dans son gazouillis, à la fin de l'hiver, sur la rive du temps.

Il n'est pas de moments plus beaux à vivre dans ce monde que de surprendre ceux que l'on aime, un éblouissement inespéré s'ajoutant à leur apparition.

La faim, le sommeil, le désir tournent dans nos vies comme la boule du soleil décrit un cercle et revient chaque jour, et que chaque chair humaine ou animale parcourt à sa poursuite. Tel est le temps systématique qui affecte notre bouche, notre tête, notre ventre.

"Le cœur de tous les hommes est dépravé. Il est inscrutable. Qui pourrait le connaître ?"
Jérémie - prophéties XVII,9
(p. 37)

La première couleur qui se forme sur la rétine de tous les hommes, dans l’œil du nouveau-né, est bleue.
Cette couleur est bleue comme la mer qui précède la Terre.
Bleue comme le ciel lui-même, qui les précède toutes les deux.
(P.32)

Ce qu'il y a de plus affreux, dans l'existence que mènent les femmes, c'est que nous aimons les hommes alors qu'ils nous désirent...
(p.24)