Etoiles Notabénistes : *****
Clover No Kuni No Alice - Cheschaneko To Waltz
Traduction :
Tony Sanchez
Adaptation graphique : Clair Obscur
ISBN : 9782355925900
ATTENTION : NOMBREUX SPOILERS ET VOUS ÊTES PREVENUS, NA !
Un troisième tome auquel on ne saurait rendre justice que lors de sa relecture. En effet, quand une série nous absorbe, nous désirons tous arriver au final, qui ne pourra, nous le savons en dépit de certaines déceptions rencontrées çà et là , que nous satisfaire. de ce fait, une première lecture, pour enthousiaste qu'elle soit, est susceptible de laisser dans l'ombre bien des détails importants. En outre, elle ne permet pas le recul suffisant pour une analyse qui s'avère nécessaire quand le manga reprend une création originale elle-même aussi cryptique que l'"Alice" de
Lewis Carroll.
Une fois n'est pas coutume, commençons par ce qui agace souvent le lecteur adulte dans ce volume : les perpétuelles hésitations d'Alice face au Chat du Chester. C'est l'attitude typique d'une toute jeune fille qu'attire la sexualité mais qui voit celle-ci comme un monstre prêt à la dévorer. (Notons d'ailleurs que, dans ce shôjo, l'héroïne a bien de la chance de tomber sur des partenaires compréhensifs et, dans les limites de leur nature masculine, des plus gentlemen - à commencer par le Chapelier.) C'est là un jeu, que nous avons nous-mêmes pratiqué en notre temps (que les jeunes qui me lisent cessent de ricaner bêtement et de rougir tout aussi sottement derrière leur clavier ! Merci ! ;o) ) mais qui ne nous émeut plus autant. Une pointe de nostalgie, peut-être pourtant et puis des pensées du genre : "Etais-je aussi nunuche, moi aussi, dans le temps ? Etais-je aussi capricieuse, aussi lunatique même ? Un coup : "Je-veux-bien !", un coup : "Je-ne-veux-pas-et-je-ne-voudrai-jamais" ?" (Enfin, ça, ce sont des pensées féminines : nous laisserons aux messieurs l'intimité des leurs ... )
Qui sait ? N'est-ce pas le souvenir que nous pouvons avoir conservé de nous-mêmes qui nous agacerait en réalité bien plus que les interrogations, après tout parfaitement normales à son âge, de notre héroïne ?
Si l'on met ce point de côté, ainsi d'ailleurs que les scènes un tantinet coquines dispensées çà et là, on récapitulera divers éléments fort intéressants pour la suite de l'intrigue :
1) le premier, qui se place dans les pages-couleur du début du livre, nous confirme ce que nous soupçonnions : Nightmare est bien le Meneur de Jeu de la partie en cours. Mais lui-même s'interroge beaucoup sur les agissements du Chevalier de Coeur. Non seulement il ne les comprend pas, mais en outre il ne parvient pas, malgré ses dons télépathiques, à percer ce qu'ils dissimulent. Il ne lui reste donc qu'à supputer, cogiter et se poser mille questions, ce qui, pour une cervelle aussi douée, en entraîne aussitôt un nouveau bon millier d'autres. En plus, c'est sans doute le point le plus important, Nightmare sait déjà ce qu'Alice ignore encore : c'est qu'elle a décidé de rester à Wonderland ;
2) en seconde position, nous tombons sur le fait que le Chat du Chester a réellement pour mission de protéger Alice tout au long de la partie. La protéger de qui, cela reste encore plutôt nébuleux. D'Ace probablement même si, selon l'avis de Nightmare, le Chevalier de Coeur avait voulu tuer Alice et Boris, il l'eût fait depuis longtemps. Mais, si Ace n'est pas vraiment un agresseur désigné - encore que ... il est si imprévisible, n'est-ce pas, depuis le déménagement ? - alors, quels sont-ils ?
Eh bien, on commence à le soupçonner dans ce tome III. Et, chose curieuse, ils sembleraient liés aux "Sans-Visages."
Elément crucial (que nous reprendrons sans doute dans nos extraits) : la scène onirique dans laquelle Nightmare explique à Boris des choses relatives au passé d'Alice mais qui ne nous sont pas révélées. Avant de lui demander, tentateur comme tout démon, s'il aimerait devenir leur complice, à lui-même comme à Peter White, pour faciliter la décision de la jeune fille, décision pour l'instant encore insconsciente chez elle, de demeurer à Wonderland. Sur le moment, le lecteur ne comprend pas ce qu'il veut dire (il lui faudra attendre le tome suivant) mais, là aussi, il peut émettre quelques hypothèses.
3) en troisième lieu, réapparaissent Lorina et le trio qu'elle a pu former jadis, dans le monde dit "réel", avec le Lapin Blanc (mais quelle apparence avait alors celui-ci ? C'est une question que l'on ne saurait éviter de se poser) et sa jeune soeur. Toutes les fois qu'elle pense à Lorina, Alice se sent mal, très mal. C'était déjà flagrant dans le tome II, ici, la sensation se renforce considérablement. Quelque chose - et quelque chose de grave ou qu'Alice considère comme tel - s'est passé entre les deux soeurs mais l'on n'en saura pas plus.
4) quatrième point à notre sens essentiel, le rôle véritable de Peter White dans l'histoire. C'est-à-dire pas seulement dans cette partie au Royaume de Trèfle mais depuis le début, dès ces dimanches après-midi qu'il évoque, avec tant de regret, comme l'époque la plus heureuse de son existence. En outre, tout comme Alice n'a pas manqué de le faire, il est impossible de ne pas remarquer son changement d'attitude en présence de la jeune fille. de ses anciens débordements à la limite de la caricature amoureuse, ne subsiste qu'une jalousie farouche - il continue à dégainer son pistolet dès qu'il soupçonne Un Tel ou Un Tel, Acteur ou Sans-Visage, de vouloir conter fleurette à Alice. Mais, devant cette dernière, il se fait plus discret, prétextant cette énième Assemblée qui lui donne beaucoup de travail, mais en fait, comme le lui dit de plus en plus souvent le Démon des Rêves et des Cauchemars d'un ton mi-compatissant, mi-sarcastique, parce que persister dans son attitude trop expansive est susceptible premièrement de réveiller la mémoire d'Alice - ce qui, menace Nightmare, lui révèlerait le rôle joué par le Lapin Blanc dans son passé - et, deuxièmement, de l'inciter à reprendre illico le chemin de "son" monde à elle ;
5) enfin, last but not least, la révélation de ce que contient réellement le fameux flacon qu'Alice avait abandonné dans le tiroir d'une commode de sa chambre, au Parc d'Attractions, et que, au cours de ses vagabondages habituels, le Chat du Cheshire a récupéré après avoir relié, par l'entremise du pouvoir spécial qu'il est le seul Acteur à détenir sur les portes, parlantes ou non, du Royaume de Trèfle, sa propre chambre et celle, désormais vide et toujours au Royaume de Coeur, de la jeune fille. Boris n'en a rien dit à Alice sur le moment et a même cherché à fracasser le flacon d'une balle d'automatique. En vain, bien sûr. Précisons que Boris, avant même d'avoir demandé des explications à Nightmare, savait parfaitement ce que contient ce flacon, lequel se remplit désormais, nous l'avons déjà dit, de façon bien plus lente - presque poussive, serait-on tenté d'écrire - que dans la partie précédente et auquel Alice ne porte plus le même intérêt qu'auparavant, cette indifférence presque totale constituant la manifestation visible de son désir inconscient de demeurer à Wonderland.
A part cela, le côté "mauvais malade" de Nightmare, lorsque le dirigeant du Royaume de Trèfle ne réussit pas à échapper à la sollicitude plutôt "musclée" de son secrétaire et homme de confiance, est de plus en plus marqué. A vrai dire, il ne sait quoi inventer pour ne pas prendre ses médicaments et ne pas aller faire ses injections à l'Hôpital. Plus étonnant - et plus significatif également - lorsqu'il se retrouve seul avec Alice dans le domaine des Rêves et des Cauchemars, Nightmare paraît bien souvent sur le point, lui aussi, d'avouer pour elle un sentiment disons plus proche de l'affection (très poussée) que de la simple sympathie.
On aurait garde de passer sous silence la brutale attaque d'Alice, en pleine assemblée, par un Ace que les Jumeaux, sous leur forme adulte, laquelle les rend redoutablement plus rapides, contrent immédiatement. Pour Ace le Désinvolte qui, une fois encore, a contrevenu aux règles ("Pas de combats en pleine Assemblée !" lui hurle un Gray Ringmarc exaspéré), il ne s'agirait que d'une plaisanterie. Est-ce bien le cas ? La jalousie, finalement, ne fait-elle pas entendre également sa voix chez lui même si, de tous les personnages, il est sans conteste celui qui sait la mieux dissimuler ?
Attention aussi à l'impression, très légère mais qui commence à poindre dans certaines cases, de "rêve dans le rêve" et même de "rêve dans le rêve dans le rêve ...
Quant à l'histoire-bonus, mieux vaut la lire. Ne la négligez donc pas. Bonne lecture ! ;o)