IPHIGENIE
C'est mon père, seigneur, je vous le dis encore,
Mais un père que j'aime, un père que j'adore,
Qui me chérit lui-même, et dont jusqu'à ce jour
Je n'ai jamais reçu que des marques d'amour.
Mon cœur, dans ce respect élevé dès l'enfance,
Ne peut que s'affliger de tout ce qui l'offense.
Et loin d'oser ici, par un prompt changement,
Approuver la fureur de votre emportement,
Loin que par mes discours je l'attise moi-même,
Croyez qu'il faut aimer autant que je vous aime,
Pour avoir pu souffrir tous les noms odieux
Dont votre amour le vient d'outrager à mes yeux.
Et pourquoi voulez-vous qu'inhumain et barbare
Il ne gémisse pas du coup qu'on me prépare ?
Quel père de son sang se plaît à se priver ?
Pourquoi me perdrait-il s'il pouvait me sauver ?
J'ai vu, n'en doutez point, ses larmes se répandre.
Faut-il le condamner avant que de l'entendre ?
Hélas ! De tant d'horreurs son cœur déjà troublé
Doit-il de votre haine être encore accablé ?
Mais que pouvez-vous faire en l'état où nous sommes ?
Vous avez à combattre et les Dieux et les Hommes.
..J'ignore pour quel crime
La colère des dieux demande une victime.
Mais ils vous ont nommée. Un oracle cruel
Veut qu'ici votre sang coule sur un autel
ACHILLE
Ah ! si je vous suis cher, ma princesse, vivez.
Car enfin ce cruel, que vous allez braver,
Cet ennemi barbare, injuste, sanguinaire,
Songez, quoiqu'il ait fait, songez qu'il est mon Père.
Une mère m'attend, une mère intrépide,
Qui défendra son sang contre un père homicide.
ULYSSE
À peine son sang coule et fait rougir la terre,
Les dieux font sur l’autel entendre le tonnerre,
Les vents agitent l’air d’heureux frémissements,
Et la mer leur répond par ses mugissements.
La rive au loin gémit, blanchissante d’écume.
La flamme du bûcher d’elle-même s’allume.
Le ciel brille d’éclairs, s’entr’ouvre, et parmi nous
Jette une sainte horreur qui nous rassure tous.
Les Dieux ont à Calchas amené leur victime.
Achille
(...)
Je puis choisir, dit-on, ou beaucoup d'ans sans gloire,
Ou peu de jours suivis d'une longue mémoire.
Mais puisqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrais-je, de la terre inutile fardeau,
Trop avare d'un sang reçu d'une déesse,
Attendre chez mon père une obscure vieillesse,
Et toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laisser aucun nom, et mourir tout entier ?
ACHILLE
(...)
Les Parques à ma mère, il est vrai, l'ont prédit
Lorsqu'un époux mortel fut reçu dans son lit.
Je puis choisir, dit-on, ou beaucoup d'ans, sans gloire,
Ou peu de jours suivis d'une longue mémoire.
Mais puisqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrais-je, de la terre inutile fardeau,
Trop avare d'un sang reçu d'une déesse,
Attendre chez mon père une obscure vieillesse,
Et toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laisser aucun nom, et mourir tout entier ?
Ah ! Ne nous formons point ces indignes obstacles.
L'honneur parle, il suffit, ce sont là nos oracles.
Les dieux sont de nos jours les maîtres souverains.
Mais, Seigneur, notre gloire est dans nos propres mains.
Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres suprêmes ?
Ne songeons qu'à nous rendre immortels comme eux-mêmes,
Et laissant faire au sort, courons où la valeur
Nous promet un destin aussi grand que le leur.
(...)