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Citations sur Farinet ou la fausse monnaie (7)

la liberté ... Qu'est-ce que ça veut dire? ... "Eh bien, se disait-il, c'est d'être autrement que les autres, en dehors d'eux, au-dessus d'eux. C'est d'être seul... c'est ça la liberté, et c'est mon or qui me la donne..."
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Le père Fontana a continué à dire des choses à voix basse aux deux hommes qui étaient avec lui dans le café Crittin à Mièges :
« Oui... »
Il hochait lentement la tête.
C'étaient les nommés Ardèvaz et Charrat.
« Oui, a continué Fontana, parce que je dis, moi, que son or est meilleur que celui du gouvernement. Et je dis qu'il a le droit de faire de la fausse monnaie, si elle est plus vraie que la vraie. Est-ce que, ce qui fait la valeur des pièces, c'est les images qui sont dessus, ou quoi ? ces demoiselles, ces femmes nues ou pas nues, les couronnes, les écussons ? Ou bien les inscriptions, peut-être ? Ou bien leurs chiffres, disait-il, les chiffres qu'y met le gouvernement ? Les inscriptions, on s'en fout, pas vrai ? Et les chiffres aussi, on s'en fout. Ça ne serait pas la première fois que le gouvernement vous tromperait sur la valeur et sur le poids, tout aussi bien qu'un particulier. Demandez seulement à ceux qui s'y connaissent. [...] »

[C.F. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", éd. Mermod (Lausanne)/éd. Grasset (Paris), 1932 — réédition Plaisir de Lire (Lausanne), 1997 — Chapitre I : incipit]
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Il est descendu si vite qu'il a été tout surpris de voir qu'il était arrivé. La maison de Romailler a été à côté de lui, comme si elle eût été bâtie beaucoup plus haut sur la pente. C'est comme si elle avait couru à sa rencontre.
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Ce fut une semaine après que Romailler, le municipal, avait fait savoir à Farinet qu'il serait content d'avoir sa visite, parce qu'il avait à lui parler.
Et ce n'est pas Joséphine qu'il avait chargée de la commission, mais bien Crittin qui la transmit à Farinet, l'ayant pris à part, un soir que Farinet était venu chez lui.
II dit à Farinet :
- Romailler voudrait te parler ...
- Qu'est-ce qu'il me veut ?
- Je ne sais pas, dit Crittin, mais il t'attend un de ces soirs.
Farinet avait secoué la tête.
- A ta place, moi, j'irais, dit Crittin. On ne sait jamais. Romailler a les bras longs. Et puisqu'il te garantit que tu ne risques rien en allant le voir, c'est qu'il a lui-même des garanties.
Farinet avait secoué de nouveau la tête, mais voilà que le lendemain, comme il attendait Joséphine, tout à coup il s'était rappelé la proposition de Romailler. Et il était sous la terre. Et ça ne pouvait décidément plus durer. Il avait roulé l'échelle de corde et l'avait cachée dans un des renfoncements du passage avec le falot-tempête. Il s'est avancé avec prudence parmi les blocs épars et les buissons de ronces, n'ayant gagné l'espace découvert qu'après avoir été sûr que personne ne l'épiait aux environs. Mais du haut des vignes, en terrain nu, sous l'éclairage des étoiles, la vue portant de tout côté l'avait rassuré tout à fait. Et rien de plus facile alors que de gagner la maison de Romailler à travers prés. On voyait de loin cette maison blanche. Elle était un peu à l'orient et un peu au-dessus du village ; elle était neuve avec un soubassement de pierre peint à la chaux. Les contrevents étaient fermés, aucune lumière ne se voyait aux fenêtres. Il n'en monte pas moins l'escalier de pierre, et allait heurter à la porte, quand elle s'est entrouverte, et Romailler s'est avancé. Il voit Farinet, il dit :
- Ah! c'est toi !
Puis il a dit:
- Entre, je t'attendais.
Ils traversèrent la cuisine, puis sont entrés dans une chambre tout à côté, où il y avait une table et des chaises.
- Assieds-toi, avait dit Romailler, je voudrais causer avec toi tranquillement.
Farinet s'était assis sans rien dire. Romailler avait commencé par lui offrir un cigare que Farinet avait pris, pendant que Romailler frottait une allumette. Ensuite, Romailler a dit:
Eh bien! comment ça va-t-il ?
- Ça va, merci.
- C'est qu'il va y avoir du temps qu'on ne s'est pas vus. Tu te rappelles quand tu travaillais chez moi? Ça va faire combien? (Il a compté.) Bientôt neuf ans, je crois. Et il s'est passé des choses depuis. Lui-même avait allumé un cigare, il tirait sur son cigare. Il en a tiré deux ou trois bouffées; puis tout à coup:
- Et c'est justement, mon garçon ... Parce que tu dois te rendre compte que ta situation ne sera plus tenable bien longtemps. Il suffirait qu'on sache où tu te caches, à supposer d'ailleurs qu'on ne le sache pas déjà... Ecoute: j'ai une proposition à te faire ...
Il secoua la cendre de son cigare, pendant que Farinet écoutait ; Farinet ne disait rien.
- C'est qu'il y a les libéraux, avait repris Romailler... Tu n'as peut-être pas lu leur journal, parce que par ici on ne le lit guère. Tu comprends, ils sont de l'opposition. Eh bien ! ils disent que le gouvernement, s'il voulait, pourrait t'arrêter, mais qu'il fait exprès de ne pas t'arrêter. Parce qu'on est conservateurs par ici comme lui. Et parce qu'on est tous tes amis ... Ils disent que le gouvernement a peur, s'il t'arrêtait, de perdre nos voix aux élections ... As-tu compris? Farinet a fait un signe de tête.
- Et c'est ennuyeux ... c'est ennuyeux pour le gouvernement. Alors voilà, j'ai été chargé de te dire que tu devrais te rendre; c'est la bonne solution ... Le gouvernement t'en tiendrait compte. Tu as déjà fait six mois de galères [prison], ils te seraient décomptés... Dieu sait, tu n'en aurais peut-être plus que pour six mois et six mois d'hiver, c'est vite passé... Tu pourrais rentrer tranquillement dans ta maison; tu ne devrais plus rien à personne... Mais à la condition... Romailler s'arrêta de nouveau :
- A la condition, tu entends bien, que tu t'engagerais à renoncer à fabriquer et à mettre en circulation tes pièces, ça c'est la grande condition ...
Alors Farinet avait dit :
- Ma foi, non!
Romailler ne s'est pas laissé interrompre :
- Je sais bien que tu crois que ton or est bon, et c'est possible. Mais il y a les lois. Est-ce que tu te rends compte de ce qui arriverait si tout le monde se mettait à faire comme toi? Comment est-ce qu'on se débrouillerait ? ... Il y a les lois, il y a un code. On te demanderait seulement de le respecter à l'avenir... Farinet, de nouveau avait dit:
- Ma foi, non !
- Attends, disait Romailler, n'allons pas si vite ... Alors voilà qu'il avait appelé. Il a appelé en levant la tête. Il a crié : « Eh ! Thérèse ! » puis de nouveau : « Eh ! Thérèse ! » On a entendu le bruit d'une chaise qu'on déplaçait sur le plancher dans la chambre au-dessus de nous. Ensuite la porte s'est ouverte.
Farinet ne l'avait pas vue tout de suite, parce qu'il lui tournait le dos.
Mais Romailler avait dit:
- Viens ici, Thérèse.
Et puis, quand elle avait été à côté de lui :
- C'est ma fille, tu ne la reconnais pas? Farinet n'a rien répondu.
- Ah! c'est qu'elle est à l'âge où les filles changent vite, avait dit Romailler en riant. C'est une demoiselle. Te voilà une demoiselle, Thérèse.
Elle était devenue toute rose en haut de son corsage de soie qui était bleu comme le ciel.
Et Farinet ne disait toujours rien ; alors Romailler avait dit à sa fille :
- Ecoute, Thérèse, va nous chercher une bouteille de fendant.
Elle a dit: « Oui, père»; elle sort, elle s'en va; et Romailler ne disait rien, parce qu'il attendait qu'elle est revenue et elle est revenue avec la bouteille, mais Farinet n'osait plus la regarder.
Elle avait posé la bouteille et les verres sur la table; il n'osait pas la regarder, pourtant il continuait de la voir au-dedans de lui.
Il a entendu la voix de Romailler :
- Merci bien, Thérèse ... Je crois qu'on a tout, tu peux aller ...
Il entend qu'elle sort, il entend son pas qui s'éloigne; alors il y a eu un moment de silence pendant que Romailler débouchait la bouteille qu'il tenait serrée entre ses genoux. Puis il a rempli les deux verres; et puis voilà qu'il recommence:
- Il est bon, hein? ou quoi? Et peut-être que tu le reconnais, Farinet. Tu t'étais aidé à le faire... dans le temps.
Prenant une gorgée de vin entre ses lèvres, il l'avait retournée sous son palais deux ou trois fois sans avaler (c'est pour en épuiser le goût) :
- Hein? il n'est pas si mauvais que ça, qu'en penses-tu? a-t-il repris, parce que Farinet n'avait rien répondu; mais le bon vin, vois-tu, il faut pouvoir le boire tranquille ...
Et Farinet avait voulu répondre.
- Non, ne réponds rien. Ecoute, je vais te dire, tu as trois semaines pour te décider. Tu as d'ici à la fin du mois. Réfléchis ! Parce qu'aujourd'hui ... Je sais bien, il y a l'amour-propre ... Aujourd'hui, tu dis non parce que c'est le premier mouvement, et demain tu voudrais dire oui et demain tu ne pourrais plus ... Tu as trois semaines. Et pendant ce temps, je te le dis, tu n'as pas à craindre d'être arrêté ... Bien sûr qu'il vaudra mieux pour toi de ne pas te montrer en plein jour sur la place du village, si les gendarmes étaient aux environs, et de ne pas trop avoir l'air de les narguer. Mais, à cette condition près, on te laissera tranquille, je t'en donne ma parole... Ne réponds rien... Santé!
Ils trinquèrent encore une fois. Farinet s'était levé.
- Encore un verre.
- Non, disait-il, il faut que j'aille.
- Rien qu'un.
Il fit signe que non.
- Alors c'est entendu ; tu m'apporteras la réponse avant la fin du mois.
Mais Farinet était déjà dehors.

[C. F. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", chapitre IX, pages 109-115]
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-- Oui, a continué Fontana, parce que je dis, moi, que son or est meilleur que celui du gouvernement. Et je dis qu'il a le droit de faire de la fausse monnaie, parce qu'elle est plus vraie que la vraie. Est-ce que, ce qui fait la valeur des pièces, c'est les images qui sont dessus, ou quoi? ces demoiselles, ces femmes nues ou pas nues, les couronnes, les écussons? ou bien les inscriptions [...] ou bien [...] les chiffres qu'y met le gouvernement ? Les inscriptions, on s'en fout, pas vrai? et les chiffres aussi, on s'en fout. [...] Le gouvernement vous dit : " Cette pièce valait tant ; eh bien, maintenant, elle vaudra tant... " [...] C'est moins honnête que Farinet, les gouvernements, parce qu'à lui, ce qu'on lui paie, c'est en quoi ses pièces sont faites et, à eux, c'est ce qui est dessus...

(C. R. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", 1932, chap. I)
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-Votre liberté, qu'est-ce que c'est ?
Ah! emprisonnés que vous êtes, ah! numérotés! et il y a la liberté écrite sur vos murs, mais regardez ce qui est dessous...
Ça s'appelle des règlements, des décrets, des lois, des permis, ça s'appelle des autorisations; moi, je suis autorisé à mourir...
Alors, de différents côtés dans la gorge, les pierres se sont mises à tomber en abondance:
-Vous ne savez pas qui je suis! Le roi d'Italie ne le savait pas non plus; il l'a su! Et, vous, vous aviez cru me garder dans vos galères: je n'y suis pas resté longtemps! Maintenant, venez me prendre !...
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Cependant le pays vivait comme toujours et il n'était rien survenu pendant tout le mois suivant.

On vit petit ici, on vit pas gros.

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