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EAN : SIE261279_818
Plaisir de lire (01/09/1997)
4.2/5   27 notes
Résumé :
Le grand auteur suisse Charles-Ferdinand Ramuz révèle dans un roman d'aventure le destin d'un Robin des bois du Val d'Aoste.
" L'événement d'une langue inouïe, puissante. " - Alexis Jenni
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des Bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au xixe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Il faut régulièrement revenir aux oeuvres de Ramuz, pour retrouver sa prose poétique qui décrit les montagnes du Valais et ses habitants qui, en ce début du XX ème siècle, ressemblent beaucoup aux Savoyards chers à mon coeur... J'ai découvert ce titre grâce aux belles bande-dessinées A la recherche de Peter Pan de Cosey qui fait référence au personnage éponyme de Farinet.
Comme souvent chez Ramus, à partir d'une histoire simple - un faussaire traqué par la gendarmerie, on peut trouver plusieurs niveaux de lecture. Farinet est, pour la loi, un faussaire, que les gendarmes cherchent à arrêter. le droit est contre lui. Mais dans ce roman d'enquête policière, de course-poursuite, les gendarmes n'apparaissent pas de façon positive : ils ne sont pas bien malins, ils sont trop rouges, trop bien habillés pour marcher dans la montagne, ils aiment trop manger et boire le petit vin local, le Fendant, pour être très efficaces.
On peut aussi lire un conte : alors qu'il marchait dans la montagne à la chasse aux chamois, un vieil homme trouve un filon d'or, guidé par une bonne fée. On trouve donc des souterrains, des grottes, un vieil homme barbu qui un peu sourcier et même un peu sorcier, et qui forme Farinet, un peu comme le mage des contes.
Mais, surtout, c'est un hymne aux montagnes et à la liberté, qui vont ensemble : "où ça se trouve, la liberté ; c'est dans les montagnes, c'est à leur fin bout, plus haut que les plantes". Dans son langage, avec ses mots, Farinet réfléchit beaucoup sur la liberté. Il y a la Liberté qui n'est qu'une image, l'allégorie sur les billets de banque et les papiers officiels. Mais, pour lui, la liberté, c'est faire ce qu'il veut, c'est vivre libre sans contrainte. Ce sont les montagnes qui lui apportent cette liberté, cette vie simple : dormir dans un chalet, boire l'eau d'une source, se nourrir des baies trouvées sur les ronces ou des animaux chassés. Ramuz écrit plus souvent la vie au-bord du lac, le grand lac Léman. Mais, parfois, il monte plus haut. Ici, le récit se passe donc plus en altitude, dans un village agricole, avec ses chalets d'alpage et plus haut les glaciers. Il décrit avec poésie les montagnes, Farinet aime les contempler de sa cachette : il connaît de nombreux noms de sommets, mais les plus proches ont les plus chères à son coeur.
Cependant, Farinet ne se rend pas compte que, pour être libre, il a fallu qu'il soit aidé, et aidé par une femme... Josépha est un beau personnage féminin, en retrait, mal aimée, mais si aimante. Elle est poignante, alors même qu'elle a du mal à exprimer elle-même ce qu'elle ressent.
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Franc comme l’or, il l’est Farinet, tout comme l’est tout ce récit du grand écrivain suisse Ramuz. Quand il s’agit de franc suisse, en l’occurrence, les choses se gâtent comme elles se gâteraient dans bien d’autres pays car la loi punit le contrefacteur (et pas avec le dos de la cuillère, nous révèlent les sources historiques – Farinet a réellement existé au xixe siècle et a fait l’objet d’une bédé). Mais ce bon Farinet Joseph, qui met autant d’or, voire plus que le Gouvernement dans les pièces qu’il confectionne chez lui, dans son petit village perché dans la montagne avec le lit du Rhône tout en bas, ne voit pas où est le mal. Ses congénères non plus et sont même fiers de thésauriser les pièces qu’il distribue généreusement. Mais en attendant l’avènement du bit coin, Farinet va connaître des déboires, malgré ses évasions* et sa parfaite connaissance de la montagne, et se poser des questions sur la nature de la liberté
« Parce qu’il y a la liberté, et vous l’avez sur vos médailles et vos monnaies ; mais, moi, je l’ai là en personne et elle est assise à côté de moi. Une liberté qui est vivante. »
Mais il y a l’amour, les femmes, la solitude…
« Il rallume dans le demi-jour qu’il fait ici un cigare tout neuf, voyant une grande lumière qui se lève sur sa vie. C’est ça, la liberté. Une femme et une maison à soi. Les montagnes, c’est beau, mais ça ne vous aime pas… Ça fait clair devant vous dans l’air et blanc, mais ça ne vous voit, ni ne vous écoute. Ça ne s’occupe pas de vous. »

Un récit simple et poignant (qui n’est en rien une reconstitution historique) mais qui parle au cœur et résonne avec force dans des montagnes alentour qui sont bien plus que des décors de tablettes de chocolat ou des pistes de ski.

* « Et allez demander également au roi d’Italie, le roi Humbert Ier, vous savez bien, quand il voulait me garder chez lui. Il avait des murs, lui aussi, à quoi est-ce que ça lui a servi ? » Le roi Humbert 1er, assassiné par un anarchiste italien, Gaetano Bresci, ouvrier textile, revenu spécialement de la petite ville de Paterson, États-Unis, outré que le souverain ait décoré le général Bava Beccaris pour avoir fait tirer au canon sur une foule d’émeutiers protestant contre l’augmentation du prix du pain en 1898 à Milan – un fait évoqué par Jim Jarmush dans son film « Paterson ».
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C.F. RAMUZ (1878-1947) est un auteur prolifique suisse romand, considéré aujourd'hui comme le plus grand de l'Histoire littéraire de ce petit pays (et accessoirement adoubé par Jacques CHESSEX, autre pointure des lettres suisses). Son prénom est Charles Ferdinand (prénoms de ses deux frères morts avant sa naissance), mais il le rejette par la suite, le trouvant trop archiducal, pour en adopter les initiales de C.F. Auteur vaudois, il restitue dans une partie son oeuvre la vie rurale de son canton ainsi que de ceux proches. Ici l'action se déroule dans le canton du Valais, jouxtant celui de Vaud. Maurice Farinet est un jeune homme de 28 ans (puis de 27 ans ensuite, une erreur de texte). Homme indépendant, il a profité des bons soins et conseils prodigués jadis par un certain monsieur Sage pour savoir où découvrir de l'or dans la région et comment le faire fructifier.

Farinet, fils de contrebandier (décédé) se lance dans la fausse monnaie, alliage d'or et d'argent. Arrêté, il est jugé puis emprisonné mais s'échappe. Dehors, il hume le paysage, la montagne, la liberté. En visite chez son frère, il est mal reçu et s'en retourne sur les chemins. Il part se réfugier dans la montagne, fuyant les gendarmes et le gouvernement qui le recherchent. Il s'organise afin de vivre simplement, avec le minimum. Les villageois qui tout d'abord ont de fréquentes nouvelles s'inquiètent de soudain ne plus en avoir. Farinet est un être respecté par les siens. D'une mentalité libre, il provoque l'envie. de plus, il doit être riche. Aussi, sa disparition suscite bien des échos dans la vallée valaisanne. Mais les autorités semblent avoir relâché leurs recherches, l'espoir demeure…

Écrit en 1932, « Farinet ou la fausse monnaie » est typique du style littéraire de RAMUZ, qui peut rebuter. Peu académique, entre rythme haché, parler rural et poésie, va-et-vient entre récit au présent et au passé dans les mêmes phrases, il déconcerte vivement (« Il riait dans sa barbe, sans trop rire, ni trop le montrer, pendant qu'il se tournait avec sa barbe vers le sergent »). RAMUZ fut sans conteste une influence majeure de GIONO (on peut y déceler aussi quelques pincées de ce qu'écrira PAGNOL plus tard), on y retrouve cet amour pour la description des paysages, de la nature et des gestes du quotidien du monde rural. Roman en partie romantique (avec une double histoire d'amour, de loin les pages les moins réussies du récit), il est surtout un hommage aux paysans, au travail de la terre, ainsi qu'un ode à la simplicité par son personnage central, ce Farinet, un brin anarchiste, débarrassé de toute contrainte matérielle.

Roman haletant, prenant soudainement une tournure politique, « Farinet ou la fausse monnaie » est un texte humaniste autant que tragique. RAMUZ a su doser l'intime dans le général, le politique dans le terroir. Car il ne peut être admis que l'auteur soit placé dans la catégorie d'écrivains du terroir. Une certaine philosophie de vie libertaire plane sur le récit, le style est lui-même en quelque sorte libertaire, s'étant affranchi des règles de la littérature.

Concernant ce Farinet, non seulement il a réellement existé, mais il fut localement connu vers 1880 pour sa création de fausse monnaie. RAMUZ lui rend ici hommage, le reprenant à son compte pour en faire un héros tragique, à la fois individualiste et partageur, une sorte de Robin des bois helvétique. Il peut rappeler par certains aspects « le déserteur » de GIONO par son fond, même si les deux écrivains n'abordaient pas du tout leur travail avec le même style. Similarité dans la structure, dans l'atmosphère, mais pas sur la forme. Ce roman peut être une occasion rêvée de découvrir l'oeuvre de RAMUZ, qui a publié également de nombreux poèmes ainsi que des essais. Il reste une figure majeure de la littérature en Suisse, même si son influence et jusqu'à son souvenir semblent avoir en partie avoir disparu dans les autres pays francophones.

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Ce livre est publié en 1932, par Ramuz écrivain vaudois, célèbre dans nos contrées, mais que je n'ai encore jamais lu.
Il raconte une histoire romancée d’un personnage réel ayant vécu en Valais, et encore actuellement vu comme un héros.
Farinet est un faux-monnayeur, la justice le traque. L'histoire se déroule à la fin du 19ème siècle, mais ce n'est pas précisé dans le texte. J'ai apprécié la mise en lumière romancée de ce personnage épris de liberté, qui connait la montagne, qui est aimé des gens, et qui est toujours perçu en Valais comme un héros. Ramuz, dans ces pages, partage son amour de la montagne et de ce coin de Romandie appelé le Vieux Pays.
Encore de nos jours Farinet est très vivant, une monnaie locale a vu le jour en Valais, (plus en cours actuellement, le Farinet.)
A Saillon il y a un musée de la fausse monnaie, la passerelle à Farinet, avec une colombe, de la paix accrochée aux parois, réalisation Hans Erni.
Et il y a surtout la vigne à Farinet qui accueille chaque automne une personnalité de ce monde, la Dalaï-lama, l'abbé Pierre, pour vendanger la plus petite vigne au monde.
Tout ceci pour dire que ce personnage qui a existé, a l'étoffe d’un héros de roman.
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Ce roman est tiré d'une histoire vraie, le vrai Farinet a vécu en Valais vers 1845 et refusait de se plier aux règles du Gouvernement. Nous suivons ses aventures alors qu'il s'est improvisé frappeur de fausse monnaie.
Nous nous imprégnons des ambiances très "nature" du Valais du milieu du XIXe siècle et le style d'écriture "franche et directe" de Ramuz, surtout dans les dialogues, retranscrit l'atmosphère de l'époque.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Ce fut une semaine après que Romailler, le municipal, avait fait savoir à Farinet qu'il serait content d'avoir sa visite, parce qu'il avait à lui parler.
Et ce n'est pas Joséphine qu'il avait chargée de la commission, mais bien Crittin qui la transmit à Farinet, l'ayant pris à part, un soir que Farinet était venu chez lui.
II dit à Farinet :
- Romailler voudrait te parler ...
- Qu'est-ce qu'il me veut ?
- Je ne sais pas, dit Crittin, mais il t'attend un de ces soirs.
Farinet avait secoué la tête.
- A ta place, moi, j'irais, dit Crittin. On ne sait jamais. Romailler a les bras longs. Et puisqu'il te garantit que tu ne risques rien en allant le voir, c'est qu'il a lui-même des garanties.
Farinet avait secoué de nouveau la tête, mais voilà que le lendemain, comme il attendait Joséphine, tout à coup il s'était rappelé la proposition de Romailler. Et il était sous la terre. Et ça ne pouvait décidément plus durer. Il avait roulé l'échelle de corde et l'avait cachée dans un des renfoncements du passage avec le falot-tempête. Il s'est avancé avec prudence parmi les blocs épars et les buissons de ronces, n'ayant gagné l'espace découvert qu'après avoir été sûr que personne ne l'épiait aux environs. Mais du haut des vignes, en terrain nu, sous l'éclairage des étoiles, la vue portant de tout côté l'avait rassuré tout à fait. Et rien de plus facile alors que de gagner la maison de Romailler à travers prés. On voyait de loin cette maison blanche. Elle était un peu à l'orient et un peu au-dessus du village ; elle était neuve avec un soubassement de pierre peint à la chaux. Les contrevents étaient fermés, aucune lumière ne se voyait aux fenêtres. Il n'en monte pas moins l'escalier de pierre, et allait heurter à la porte, quand elle s'est entrouverte, et Romailler s'est avancé. Il voit Farinet, il dit :
- Ah! c'est toi !
Puis il a dit:
- Entre, je t'attendais.
Ils traversèrent la cuisine, puis sont entrés dans une chambre tout à côté, où il y avait une table et des chaises.
- Assieds-toi, avait dit Romailler, je voudrais causer avec toi tranquillement.
Farinet s'était assis sans rien dire. Romailler avait commencé par lui offrir un cigare que Farinet avait pris, pendant que Romailler frottait une allumette. Ensuite, Romailler a dit:
Eh bien! comment ça va-t-il ?
- Ça va, merci.
- C'est qu'il va y avoir du temps qu'on ne s'est pas vus. Tu te rappelles quand tu travaillais chez moi? Ça va faire combien? (Il a compté.) Bientôt neuf ans, je crois. Et il s'est passé des choses depuis. Lui-même avait allumé un cigare, il tirait sur son cigare. Il en a tiré deux ou trois bouffées; puis tout à coup:
- Et c'est justement, mon garçon ... Parce que tu dois te rendre compte que ta situation ne sera plus tenable bien longtemps. Il suffirait qu'on sache où tu te caches, à supposer d'ailleurs qu'on ne le sache pas déjà... Ecoute: j'ai une proposition à te faire ...
Il secoua la cendre de son cigare, pendant que Farinet écoutait ; Farinet ne disait rien.
- C'est qu'il y a les libéraux, avait repris Romailler... Tu n'as peut-être pas lu leur journal, parce que par ici on ne le lit guère. Tu comprends, ils sont de l'opposition. Eh bien ! ils disent que le gouvernement, s'il voulait, pourrait t'arrêter, mais qu'il fait exprès de ne pas t'arrêter. Parce qu'on est conservateurs par ici comme lui. Et parce qu'on est tous tes amis ... Ils disent que le gouvernement a peur, s'il t'arrêtait, de perdre nos voix aux élections ... As-tu compris? Farinet a fait un signe de tête.
- Et c'est ennuyeux ... c'est ennuyeux pour le gouvernement. Alors voilà, j'ai été chargé de te dire que tu devrais te rendre; c'est la bonne solution ... Le gouvernement t'en tiendrait compte. Tu as déjà fait six mois de galères [prison], ils te seraient décomptés... Dieu sait, tu n'en aurais peut-être plus que pour six mois et six mois d'hiver, c'est vite passé... Tu pourrais rentrer tranquillement dans ta maison; tu ne devrais plus rien à personne... Mais à la condition... Romailler s'arrêta de nouveau :
- A la condition, tu entends bien, que tu t'engagerais à renoncer à fabriquer et à mettre en circulation tes pièces, ça c'est la grande condition ...
Alors Farinet avait dit :
- Ma foi, non!
Romailler ne s'est pas laissé interrompre :
- Je sais bien que tu crois que ton or est bon, et c'est possible. Mais il y a les lois. Est-ce que tu te rends compte de ce qui arriverait si tout le monde se mettait à faire comme toi? Comment est-ce qu'on se débrouillerait ? ... Il y a les lois, il y a un code. On te demanderait seulement de le respecter à l'avenir... Farinet, de nouveau avait dit:
- Ma foi, non !
- Attends, disait Romailler, n'allons pas si vite ... Alors voilà qu'il avait appelé. Il a appelé en levant la tête. Il a crié : « Eh ! Thérèse ! » puis de nouveau : « Eh ! Thérèse ! » On a entendu le bruit d'une chaise qu'on déplaçait sur le plancher dans la chambre au-dessus de nous. Ensuite la porte s'est ouverte.
Farinet ne l'avait pas vue tout de suite, parce qu'il lui tournait le dos.
Mais Romailler avait dit:
- Viens ici, Thérèse.
Et puis, quand elle avait été à côté de lui :
- C'est ma fille, tu ne la reconnais pas? Farinet n'a rien répondu.
- Ah! c'est qu'elle est à l'âge où les filles changent vite, avait dit Romailler en riant. C'est une demoiselle. Te voilà une demoiselle, Thérèse.
Elle était devenue toute rose en haut de son corsage de soie qui était bleu comme le ciel.
Et Farinet ne disait toujours rien ; alors Romailler avait dit à sa fille :
- Ecoute, Thérèse, va nous chercher une bouteille de fendant.
Elle a dit: « Oui, père»; elle sort, elle s'en va; et Romailler ne disait rien, parce qu'il attendait qu'elle est revenue et elle est revenue avec la bouteille, mais Farinet n'osait plus la regarder.
Elle avait posé la bouteille et les verres sur la table; il n'osait pas la regarder, pourtant il continuait de la voir au-dedans de lui.
Il a entendu la voix de Romailler :
- Merci bien, Thérèse ... Je crois qu'on a tout, tu peux aller ...
Il entend qu'elle sort, il entend son pas qui s'éloigne; alors il y a eu un moment de silence pendant que Romailler débouchait la bouteille qu'il tenait serrée entre ses genoux. Puis il a rempli les deux verres; et puis voilà qu'il recommence:
- Il est bon, hein? ou quoi? Et peut-être que tu le reconnais, Farinet. Tu t'étais aidé à le faire... dans le temps.
Prenant une gorgée de vin entre ses lèvres, il l'avait retournée sous son palais deux ou trois fois sans avaler (c'est pour en épuiser le goût) :
- Hein? il n'est pas si mauvais que ça, qu'en penses-tu? a-t-il repris, parce que Farinet n'avait rien répondu; mais le bon vin, vois-tu, il faut pouvoir le boire tranquille ...
Et Farinet avait voulu répondre.
- Non, ne réponds rien. Ecoute, je vais te dire, tu as trois semaines pour te décider. Tu as d'ici à la fin du mois. Réfléchis ! Parce qu'aujourd'hui ... Je sais bien, il y a l'amour-propre ... Aujourd'hui, tu dis non parce que c'est le premier mouvement, et demain tu voudrais dire oui et demain tu ne pourrais plus ... Tu as trois semaines. Et pendant ce temps, je te le dis, tu n'as pas à craindre d'être arrêté ... Bien sûr qu'il vaudra mieux pour toi de ne pas te montrer en plein jour sur la place du village, si les gendarmes étaient aux environs, et de ne pas trop avoir l'air de les narguer. Mais, à cette condition près, on te laissera tranquille, je t'en donne ma parole... Ne réponds rien... Santé!
Ils trinquèrent encore une fois. Farinet s'était levé.
- Encore un verre.
- Non, disait-il, il faut que j'aille.
- Rien qu'un.
Il fit signe que non.
- Alors c'est entendu ; tu m'apporteras la réponse avant la fin du mois.
Mais Farinet était déjà dehors.

[C. F. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", chapitre IX, pages 109-115]
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Le père Fontana a continué à dire des choses à voix basse aux deux hommes qui étaient avec lui dans le café Crittin à Mièges :
« Oui... »
Il hochait lentement la tête.
C'étaient les nommés Ardèvaz et Charrat.
« Oui, a continué Fontana, parce que je dis, moi, que son or est meilleur que celui du gouvernement. Et je dis qu'il a le droit de faire de la fausse monnaie, si elle est plus vraie que la vraie. Est-ce que, ce qui fait la valeur des pièces, c'est les images qui sont dessus, ou quoi ? ces demoiselles, ces femmes nues ou pas nues, les couronnes, les écussons ? Ou bien les inscriptions, peut-être ? Ou bien leurs chiffres, disait-il, les chiffres qu'y met le gouvernement ? Les inscriptions, on s'en fout, pas vrai ? Et les chiffres aussi, on s'en fout. Ça ne serait pas la première fois que le gouvernement vous tromperait sur la valeur et sur le poids, tout aussi bien qu'un particulier. Demandez seulement à ceux qui s'y connaissent. [...] »

[C.F. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", éd. Mermod (Lausanne)/éd. Grasset (Paris), 1932 — réédition Plaisir de Lire (Lausanne), 1997 — Chapitre I : incipit]
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-- Oui, a continué Fontana, parce que je dis, moi, que son or est meilleur que celui du gouvernement. Et je dis qu'il a le droit de faire de la fausse monnaie, parce qu'elle est plus vraie que la vraie. Est-ce que, ce qui fait la valeur des pièces, c'est les images qui sont dessus, ou quoi? ces demoiselles, ces femmes nues ou pas nues, les couronnes, les écussons? ou bien les inscriptions [...] ou bien [...] les chiffres qu'y met le gouvernement ? Les inscriptions, on s'en fout, pas vrai? et les chiffres aussi, on s'en fout. [...] Le gouvernement vous dit : " Cette pièce valait tant ; eh bien, maintenant, elle vaudra tant... " [...] C'est moins honnête que Farinet, les gouvernements, parce qu'à lui, ce qu'on lui paie, c'est en quoi ses pièces sont faites et, à eux, c'est ce qui est dessus...

(C. R. RAMUZ, "Farinet ou la fausse monnaie", 1932, chap. I)
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la liberté ... Qu'est-ce que ça veut dire? ... "Eh bien, se disait-il, c'est d'être autrement que les autres, en dehors d'eux, au-dessus d'eux. C'est d'être seul... c'est ça la liberté, et c'est mon or qui me la donne..."
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Il est descendu si vite qu'il a été tout surpris de voir qu'il était arrivé. La maison de Romailler a été à côté de lui, comme si elle eût été bâtie beaucoup plus haut sur la pente. C'est comme si elle avait couru à sa rencontre.
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Vidéo de Charles-Ferdinand Ramuz
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix autour du livre : Farinet ou la fausse monnaie de Charles Ferdinand Ramuz enregistré le 20 juillet 2023 en présence de Gérard Comby (membre de l'Office tourisme de Saillon & de la Commission du Patrimoine)
Résumé : Un généreux Robin des bois, roi de l'évasion, porté par la plume de C. F. Ramuz.
Farinet, c'est un fameux faux-monnayeur, roi de l'évasion et Robin des bois qui vécut entre Val d'Aoste, Savoie et Valais au XIXe siècle. Arrêté pour avoir fabriqué de fausses pièces qu'il distribuait généreusement dans les villages de montagne, il s'évade à de nombreuses reprises. Ce héros populaire à la vie romanesque et rocambolesque meurt à 35 ans, en 1880. Cinquante ans plus tard, Ramuz s'empare du personnage et en fait le héros d'un récit classique, haletant comme un roman d'aventure, mais porté par son style unique : irruption du présent au milieu d'une phrase, mélange des temps qui rend le présent dense et incandescent, langue vaudoise aux accents paysans transfigurée par une écriture singulière, moderniste, au confluent des révolutions artistiques du XXe siècle (il est passionné par Cézanne et Stravinsky). Farinet se serait caché un temps au fond de la vallée de Chamonix, dans une grotte au-dessus de Vallorcine. Un petit mémorial y est installé. Ce roman est paru pour la première fois en 1932.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.

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