Dites pourquoi vous auriez envie de rencontrer Ron rash un soir de mars deux mille dix-neuf ?
J'ai vérifié plusieurs fois sur mon écran d'ordinateur si je ne rêvais pas…
Avoir la chance de découvrir l'homme qui se cache derrière la plume d'«
Un pied au paradis » ou d' «
Une terre d'ombre» ne se présente pas deux fois dans sa vie…
Je me fends alors de mes plus beaux compliments pour ne pas manquer ce poète américain converti à 55 ans en romancier noir et atypique qui daigne quitter son coin des Appalaches pour aller à la rencontre de lecteurs français avides d'anecdotes à son sujet.
Dans un salon ancien des éditions Gallimard, l'homme nous fait face à côté de son éditrice, traductrice de sens plus que de mots pour l'occasion, pendant toute l'heure qui suivra.
Pour ma part, jamais une rencontre avec un auteur n'aura été aussi passionnante. Des questions pointues et pertinentes réclamant des réponses subtiles et argumentées.
Que ce soient sur les personnages ou les paysages, sa technique d'écriture ou bien sa perception du monde actuel qui l'entoure, les trois protagonistes du roman «
Un silence brutal » servant de fil directeur tout au long de la rencontre…
Les, le Shérif à trois de semaines de la retraite, flirtant entre gris clair et gris foncé, à la fois un bon flic traquant jusqu'à la fin de sa carrière les trafiquants de meth au péril de sa vie mais également un ripoux usant de son pouvoir pour soutirer les milliers de dollars lui permettant d'acheter la maison de ses rêves.
Becky la poétesse, la voix incarnée de la nature, le rayon de soleil du roman alternant après chaque chapitre de la narration pour tenter d'adoucir ce monde trop noir et sans espoir, reflet de la société actuelle américaine meurtrie par les armes et la drogue.
Gérald le vieil homme, à la santé fragile et têtu comme une mule, accusé d'avoir empoisonné les truites mouchetées d'un riche propriétaire, comme un symbole du fléau de la pollution de l'eau impropre à la consommation actuellement dans les Appalaches.
Mais finalement, la technique d'écriture de
Ron Rash est-elle à la base même de son roman ou l'adapte-t-il à l'histoire qu'il souhaite développer ?
Son premier roman «
Un pied au paradis » était parfaitement distillé durant les cinq chapitres à cinq voix différentes. Dans «
Un silence brutal », l'alternance pondérée entre longue narration et courte poésie ne pouvait pas être un simple hasard.
L'auteur concédant qu'il partait toujours d'une photo dans sa tête pour donner une ligne directrice à ses romans, j'ai réussi à obtenir la réponse de la bouche de
Ron Rash sur sa manière d'écrire ce nouveau roman.
L'auteur américain rédige son premier jet d'instinct puis adapte son écriture si nécessaire. Dans ce roman, les courts chapitres ayant trait à Becky ont été couchés sur le papier après l'écriture narrative complète, comblant ainsi le manque de lumière et d'espoir qu'inspirait le récit de Les et l'envie irrésistible de l'auteur de distiller par petites touches des instants poétiques.
Plus qu'un « silence brutal », qui malgré tout le talent de
Ron Rash n'atteint pas les sommets du remarquable « Pied au paradis », je me souviendrai très longtemps de ce moment unique et rare dans ce vieil immeuble parisien. Une rencontre improbable avec un auteur américain dont j'ai adoré son premier roman noir et son éditrice qui a su transformer le simple jeu de questions réponses en une discussion littéraire.
Merci à Babélio et aux éditions Gallimard (collection La Noire).