Pietra Rautiainen emporte son lecteur vers le Grand Nord de la Scandinavie là où on ne sait plus trop les frontières….
Là où ce territoire, mal défini ou non défini, méconnu, ignoré, malmené, oublié, et bientôt déculturé.
Les Etats constitués autour, la Suède, la Norvège, la Finlande, l'ex-URSS, qui se prétendent civilisés, exècrent ces peuples nomades, leurs cultures (langues, dialectes, modes de vie, croyances,…) et ancrées dans un espace-temps incontrôlable.
Les Samis ou Lapons ( mais oublions ce terme utilisé en son temps par les colonisateurs) sont de ces peuples nomades, éleveurs de rennes, millénaires, et négligeant au passage, à leur passage dans les transhumances, les frontières et la géopolitique, toutes contemporaines.
Le roman
Un pays de neige et de cendres nous transporte près d'eux. Sur une période précise et limitée. En effet, l'auteure nous propose deux temps et deux narrations.
L'année 1944 (soit le début de la fin de la seconde guerre mondiale) et les années 1947-1950, soit l'après-guerre, la reconstruction et surtout le temps des comptes : châtiments pour les fautifs, oublis des crimes commis, recherches de la vérité, nécessité de mémoire.
Pour ces deux temps, deux modes narratifs. le passé revit à travers le journal de Vaïno, finlandais interprète, missionné dans un camp de prisonniers organisé et dirigé par les Allemands nazis (qui occupent la Finlande) et installé au nord extrême de la Finlande, sur ces terres où les Samis vivent et errent sans tenir compte des frontières dessinées par un colonisateur lointain et inconnu : Norvège, Suède, Finlande et ex-URSS (la presqu'ile de Kola).
Vaïno, finlandais, travaille, sur le front entre l'Allemagne (côté Finlande) et l'URSS (juste à la frontière de la Finlande) sous les ordres des Allemands, dans un camp qui « accueille » des prisonniers en provenance d'Allemagne, de Pologne, etc…
Le présent (1947-1950) met en scène Inkeri, journaliste, quinquagénaire, qui a bourlingué en
Afrique, mariée à Kaarlo, Kalle, prisonnier disparu dans ce camp, où Vaïno était employé.
Inkéri part à la recherche d'une vérité, cette vérité signifiant la lutte contre l'oubli, car tout ce qui touche à ce camp a été effacé et devant Inkeri, est niée.
- Effacé des cartes
- Enfoui au fond des archives – et ce qu'il en reste
- Tu dans les mémoires
Ainsi, le journal de VaÎno incarne la trace et Inkeri journaliste incarne l'impérieuse nécessité de retrouver la trace afin de garder en mémoire, ou LA mémoire.
Si l'histoire et l'objectif de l'auteure, le travail prodigieux qu'elle a entrepris, ont toute mon admiration, ainsi que l'écriture propre, nette, tout aussi descriptive qu'expressive, je dirai que l'intrigue – dont je ne peux pas parler ici – n'a pas été, pour moi, une surprise. Très tôt, j'ai subodoré puis compris le subterfuge et rapidement ma lecture a été simplement une confirmation de ce que j'avais senti.
La violence des récits de la vie dans les camps, l'auteure a sans nul doute eu le besoin de la rapporter ici. Mais encore, encore et encore. Est-ce que le récit ramené dans ses pires cruels détails aura un impact ? sur les générations ignorantes ? j'en doute. Je me pose toujours la question : quelle est la fin de rapporter toutes ces cruautés ?
Enfin, qui ignore la triste fin des camps de travail, de prisonniers ? Ils ont été détruits, brûlés, incendiés, les occupants parfois ont pu fuir, dans quelles conditions ?, mais bien souvent si faibles qu'ils sont morts sur place. Dans ce roman, on a l'air de découvrir cette horreur. Alors en effet, le travail de mémoire, ben… il y a un gros travail.
Un beau roman, une facture plutôt classique.
Le besoin de vérité et la nécessité de la mémoire sont magnifiquement mis en abimes.
La lutte contre l'acculturation des samis, qui devait je pense, être au premier plan du projet de l'auteure, est noyée dans les péripéties du roman.
Toutefois, une froide et lumineuse lecture, grâce à Masse Critique et aux éditions du Seuil.