AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,84

sur 129 notes
5
10 avis
4
11 avis
3
5 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le titre évoquait pour moi, une guimauve sentimentale et ce n'est pas ce que j'avais vraiment envie de lire mais valider la Dominique dans le cadre du challenge Globe trotteurs n'est pas chose aisée...

Surprise ! Nous sommes très loin de la romance, le texte est fin, l'histoire subtile, l'environnement sombre et lourd et l'ensemble donne une lecture sensible, touchante et dérangeante.

En fond de décor on a les Caraïbes sans les plages, sans le tourisme mais avec les révoltes d'esclaves, l'abolition de l'esclavage, les conflits larvés ou non entre blancs et noirs. C'est dans ce cadre que grandit l'héroïne qui a vu sa maison brûlée par d'anciens esclaves et sa mère sombrer dans la folie . Une fois adulte elle se retrouve mariée à un Anglais qui ne l'a épousée que pour son argent . Cet Anglais nous rappelle bien quelqu'un, un certain Rochester que l'on a croisé dans Jane Eyre...

C'est un roman auquel je ne m'attendais pas, une vraie découverte et une lecture qui m'a totalement séduite ...un livre que j'offrirai .
Lien : http://theetlivres.eklablog...
Commenter  J’apprécie          234
Ce roman est véritablement surprenant. Je ne m'attendais pas à être tellement emportée par ce récit et à le lire quasiment d'une traite. J'ai eu un peu de mal avec les premières pages mais très vite, je me suis retrouvée aux côtés d'Antoinette pour suivre sa triste vie. C'est une vraie tragédie et on comprend dès les premières pages que ceci ne peut pas bien finir. D'autant plus quand on sait que ce livre veut offrir au lecteur un autre point de vue sur la première femme de Rochester dans Jane Eyre, dont on sait qu'elle vit enfermée car devenue folle.

Le lecteur suit donc la vie tragique d'Antoinette, créole blanche descendante de propriétaires d'esclaves qui grandit à la Jamaïque. C'est une jeune personne qui n'a pas été préparée à la dureté du monde et qui n'a jamais su trouver sa place dans la société. Rejetée et méprisée de partout, elle n'est ni vraiment de la Jamaïque, ni vraiment Anglaise. Grandissant dans l'insécurité et un état de quasi abandon, elle n'a pas pu surmonter les traumatismes de l'enfance : un père alcoolique décédé rapidement, une mère devenue folle suite à l'incendie de leur domaine lors de la révolte des esclaves et qui a entraîné la mort de son petit frère.

Devenue un poids dont on cherche à se débarrasser, elle est mariée à dix-sept ans avec un Anglais venu spécialement aux Antilles pour ce mariage. Antoinette croit trouver un temps le bonheur dans cette union mais celle-ci va très vite tourner au cauchemar et précipiter sa descente en enfer. Car cet homme se révèle froid, vaniteux, égoïste et il a juste réalisé une affaire financière avec ce mariage dont la dot était généreuse. Mais on lui a caché le passé et les scandales de la famille d'Antoinette et il ne supporte pas de faire pitié à des gens qu'il méprise, lui qui considère les Noirs comme les Blancs des Antilles comme inférieurs. Se sentant trahi et bloqué dans cette union, il retourne sa colère contre sa femme.

C'est cette haine qui est au coeur du roman. L'auteure maîtrise parfaitement la narration à deux voix qui alterne celle d'Antoinette et celle de son mari et qui permet de comprendre comment leur haine mutuelle grandit à chaque jour. C'est une incroyable montée en puissance de ce sentiment qui se voit nourri par les commérages, les rumeurs, les vieilles rancoeurs, et est encore renforcé par le poids des convenances et des apparences à sauvegarder. Un gouffre s'installe entre eux et c'est à qui haïra le mieux mais pour Antoinette, plus fragile et torturée, ce sera le point de non-retour. Tout ça est vécu dans une ambiance pesante où la nature omniprésente et luxuriante peut aussi se faire étouffante. Cela donne l'impression d'un monde en vase clos où des gens qui se détestent continuent de vivre côte à côte et se vengent par la société en utilisant les ragots. Sans oublier la sorcellerie, les superstitions et les peurs qui y sont liées qui ajoutent au sentiment de suffocation. L'auteure connait les Antilles de cette époque pour y avoir aussi vécu et est influencée par la langue et la culture de ces îles dont elle sait montrer la beauté et la tragédie. Elle a créé avec une grande justesse des personnages complexes et ambigus. Son écriture est à la fois puissante et subtile. Au final, c'est un roman envoutant, violent, cruel à la construction splendide qu'elle nous offre sur la destinée de cette femme qui n'aura jamais eu les commandes de sa vie.
Commenter  J’apprécie          123
Quelle claque! Quelle beauté! Quel malaise aussi doublé d'une violente sensation d'étouffement...
J'ai adoré "La Prisonnière des Sargasses".
J'ai tout aimé dans ce roman étrange et singulier, aux parfums moites et capiteux. Dans ce roman triste et sombre, à la lisière du désespoir et de la folie qui emprunte autant à la tradition des romans gothiques et victoriens qu'aux tourments de son autrice dont j'ai lu ça et là qu'elle avait mis dans sa prisonnière beaucoup d'elle-même et de sa vie, de son enfance antillaise à ses souffrances et ses déboires.

L'héroïne tragique de cette histoire est une "créole blanche", Antoinette Cosway, qui grandit à la Jamaïque dans les années 1830, peu de temps après l'abolition de l'esclavage, dans un climat aussi fiévreux que survolté. Son père, marchand d'esclaves ruiné, n'est plus, et la petite fille est élevée en compagnie de son petit frère dans le luxuriant domaine familial par sa mère, seule, indifférente et désoeuvrée. Après l'abolition, seuls quelques domestiques sont restés dans cette famille solitaire,décimée et détestée. Antoinette grandit en fleur sauvage entre un frère handicapé et une mère absente, angoissée et malheureuse. Une mère dont on sent qu'elle danse sans cesse au bord du précipice. Dehors, il y a la haine et la colère. le sang et le feu. le désir de vengeance des anciens esclaves.
Le mariage de sa mère avec le riche Mr.Mason apporte cependant un regain de sérénité chez les Cosway jusqu'à l'incendie volontaire et meurtrier de leur demeure. C'est là que la mère d'Antoinette perd pied. C'est là que son frère disparaît et pour la petite fille, tout devient encore plus noir, encore plus sombre, qu'elle s'enfonce dans une mélancolie tenace et tragique. Son beau-père l'envoie au couvent dont elle ne ressortira qu'à l'âge de dix-sept ans pour être mariée par son beau frère, Richard Mason, au fils cadet et désargenté d'une noble famille anglaise, un certain Mr. Rochester... Celui-là même qui, des années plus tard, tombera amoureux d'une certaine Jane Eyre...
Car en effet, ce roman aussi sombre que mélancolique et publié en 1966 se propose d'imaginer et de raconter la vie de Bertha, personnage secondaire mais non moins marquant du roman de Charlotte Brontë, première épouse de Rochester. C'est un choix curieux, singulier mais également très ingénieux, passionnant et qui donne lieu à un ouvrage extrêmement prenant, d'une puissance assez folle. Un roman qui m'a complètement happée, hypnotisée, renversée.

"La Prisonnière des Sargasses", c'est d'abord un roman d'atmosphère et cette dernière est oppressante, un peu comme si le parfum capiteux des fleurs qui peuplent l'île nous prenait à la gorge, qu'il se muait en poison... Les personnages, tragiques et englués dans un mariage de convention, se confrontent dans une lune de miel devenue un huis-clos angoissant qui vire au cauchemar, à la haine. L'écriture, volontairement heurtée et presque hallucinatoire, alterne les points de vue, donnant ainsi à voir au lecteur l'incompréhension mutuelle des deux époux, leurs souffrances respectives, leurs colères, leurs frustrations jusqu'à ce que la tension décrite et accumulé atteigne son paroxysme, de déploie et éclate...
D'un côté, l'épouse en proie à de violentes crises de mélancolie, pleine des langueurs du climat, affamée d'amour et d'attentions qui ne se sait choisi que pour un argent qu'on lui prend.
De l'autre un époux frustré, effrayé, à la vanité blessée. Un époux qui se persuade d'avoir été dupé, qui croit en la rumeur comme d'autre croient en dieu.
Un époux de plus en plus cruel poussant chaque jour un peu plus sa femme au bord du précipice, vers la folie.
Et puis, le soleil et son implacable chaleur et le bruit entêtant des vagues.
Et puis les serviteurs plus ou moins bien intentionnés (moins plus souvent que bien).
Et puis l'obi, ses croyances, ses rituels.
Et puis la rumeur, les mensonges, la manipulation...
Tout cela concourt à la création d'un cadre inquiétant, violent...
On ne peut que se prendre de pitié et d'affection pour Antoinette. On ne peut que détester Rochester... On en peut que s'attacher à Christophine, qui m'a parfois rappelée Tituba.
On ne peut qu'adhérer à cette écriture magnifique bien que tourmentée. A cette écriture poétique malgré sa crudité, sa cruauté. Cette écriture blessée mais opulente et soyeuse, lourde se couleurs, de parfums, de texture.

Et en creux de ce récit, un tableau saisissant du monde post-colonial jamaïquain. Et une autre, plus saisissant encore, de la folie et de la place des femmes aliénées aux hommes, de ces femmes qu'on coupait de leurs racines, qu'on n'écoutait pas et qu'on traitait si mal. de ces femmes qui sombraient parce que le sort qui leu était fait était bien trop cruel. J'ai d'ailleurs trouvé un peu de l'"Adèle H."de Confiant et de Truffaut dans Antoinette, que dans un dernier élan de férocité son mari rebaptisera Bertha, jusqu'à la fin que l'on sait.



Commenter  J’apprécie          101
Jean Rhys, qui a vécu son enfance aux Caraïbes avec une mère créole et un père gallois, nous raconte le destin d'Antoinette Cosway de la Jamaïque étouffante à l'Angleterre froide, sa mère tombée dans la folie, son éducation confiée aux domestiques puis au couvent, son mariage et sa propre descente dans la folie.
Avec les deux voix d'Anroinette Cosway et de Rochester, Jean Rhys nous entraine dans cette histoire avec talent et une écriture sensible.
Nous sommes en Jamaïque, pays de sortilèges, nous sommes dans la tête de ces deux personnages en proie à l'incompréhension de leur union.
Et coup de maitre Jean Rhys a écrit également avec ce livre la "préquelle" du très célébre "jane Eyre" publié plus de 100 ans auparavant par Charlotte Brontë.
Elle éclaire le drame de Rochester et de sa première épouse, dont les hurlements hantent les nuits de Jane. Rochester n'y apparait plus comme la seule victime de ce mariage d'argent.
Commenter  J’apprécie          70
Quand la violence de l'écriture fait écho à celle d'une humanité perdue.
Jean Rhys déploie un univers fait de désespoir et d'une cruauté inéluctable, où la violence de l'écriture fait écho à celle d'une humanité perdue.
De son enfance antillaise et d'une vie de fêlures et d'excès, Jean Rhys fait la trame d'une oeuvre sombre et cruelle, jamais très loin de l'autobiographie, puisant sans cesse dans sa tragédie intime pour mettre en scène des destins brisés. Née en 1890, la romancière publie dans les années 30 des nouvelles et quatre romans. Suivront des années de silence, jusqu'en 1966 où La prisonnière des Sargasses, qu'elle met neuf ans à écrire, rendra justice à son talent singulier.
L'histoire, c'est celle d'une descente aux enfers aux allures de malédiction. Celle d'une famille créole de planteurs mise à mal par l'abolition de l'esclavage. Antoinette Cosway, l'héroïne et narratrice, grandit dans cette société stigmatisée par la violence de son histoire. Elle sera mariée contre son gré à un anglais ruiné, et menée peu à peu à la folie.
On retrouve les thèmes chers à Jean Rhys, marqués par une vision sans concessions du monde dans lequel elle évolue. On n'échappe pas à la violence d'une société où la cruauté et l'injustice font loi. Antoinette joue de cette ambiguïté sociale des créoles, négriers, riches, méprisants, mais ployant sous le même mépris de la part d'une société anglaise qui ne les reconnaît pas. C'est peut-être ce désir d'être ce qu'elle n'est pas qui mène Antoinette à sa perte, qui lui fait accepter l'inacceptable dans l'espoir insensé de se glisser dans un moule de bien-pensance britannique, refusant de voir qu'elle n'est pas de ce bord et qu'elle ne le sera jamais.
L'écriture est violente, dure. L'histoire, racontée à deux voix puisqu'à celle d'Antoinette se joindra bientôt celle de l'homme qui fera son malheur, est aussi implacable que l'incompréhension qui s'installe entre les personnages, l'impossibilité de communiquer qui ouvre à toutes les extrémités. Les vapeurs de rhum estompent la réalité pour laisser jaillir la fureur de la frustration, la noirceur de l'âme et la rédemption impossible. Souhaitons que la réédition de la prisonnière des Sargasses marque le retour en grâce de Jean Rhys, et lui rende la place qui est la sienne parmi les plus grandes romancières anglaises du siècle dernier.
Lien : https://www.avoir-alire.com/..
Commenter  J’apprécie          70
Ce livre m'a bousculée ! Anglophile et passionnée par Jane Eyre, il m'a été difficile d'admettre qu'il puisse y avoir une autre vérité que celle de la vieille Europe. Bertha est une héroïne fragile et forte (il faudra lire le roman pour comprendre cette contradiction!) qui sombre dans la folie à cause de son héritage certes mais surtout parce qu'elle ne trouve pas sa place dans ce monde qui ne lui en laisse aucune. Non noire, ni blanche, et pourtant les deux à la fois, son identité est diluée, elle ne se reconnaît plus. On serait presque aux frontières du fantastique avec la magie indigène et les hallucinations alcoolisées. J'ai été particulièrement sensible aux descriptions de la nature exubérante et étouffante, on sentirait presque la chaleur des Antilles émaner des pages. Pour moi c'est un chef d'oeuvre et je vais relire Jane Eyre avec un nouvel oeil sur ce personnage !
Commenter  J’apprécie          50
Devise de la Jamaïque : « de nombreuses personnes, un peuple »
Une île peuplée de Noirs, de Blancs, d'esclaves venus d'Afrique, d'Espagnols premiers colonisateurs, d'Anglais qui se sont emparés de l'île ensuite, de Français, de main d'oeuvre chinoise et indienne, autant de couleurs et de cultures différentes qui pourraient être un paradis mais les hommes étant ce qu'ils sont, c'est le plus souvent un enfer.

Dans cette fiction, la créole Antoinette Cosway raconte son enfance au domaine Coulibri, à la Jamaïque, où elle est née en 1839, soit sept ans après l'abolition de l'esclavage. Entre l'indifférence de sa mère et les révoltes des esclaves, son destin bascule : elle est envoyée dans un couvent qu'elle quittera à l'âge de dix-sept ans, pour se marier, mais mariage n'est pas toujours synonyme de bonheur, loin de là…

Après une enfance sans éducation, où elle a vécu aussi abandonnée, pauvre et sauvage que le domaine en perdition qu'elle aimait pourtant, au couvent, Antoinette découvre un autre monde :
« … il y a tant de choses qui sont des péchés, pourquoi ? Autre péché de penser ça. Mais les péchés ne sont pas des péchés si on les chasse aussitôt. Vous n'avez qu'à dire : Sauve-moi, Seigneur, je péris. Je trouve très réconfortant de savoir exactement ce qu'il faut faire. Tout de même, je ne priai plus aussi souvent après cela, et bientôt, je ne priai plus guère. Je me sentis plus hardie, plus heureuse, plus libre. Mais moins en sécurité. »
C'est une chose dont je parle dans mon roman L'Alibi :
La liberté a un prix, et ce prix et la sécurité.

Quand des événements traumatisants arrivent, Antoinette réagit à sa façon :
« Ne rien dire et peut-être qu'alors ce ne serait pas vrai. »
Dès que j'ai lu cette phrase, par deux fois dans le début du livre, j'ai su que l'histoire d'Antoinette ne pourrait que mal tourner. D'expérience, je sais que les années de silence que l'on s'impose, pour quelque raison que ce soit, dans son enfance ou son adolescence, sont autant ou plus d'années de souffrance qu'on impose à l'adulte qu'on deviendra.

Une prière est sensée monter au ciel, toucher Dieu ou ses anges, et retomber sur vous en grâce, en force ou en espoir. Mais parfois elle échoue, et cela donne cette belle phrase :
« J'ai prié, mais les mots tombaient par terre, sans rien signifier. »

L'écriture de Jean Rhys ne décrit pas une île, n'en raconte pas précisément l'histoire, n'explique pas ce que font ou pensent les personnages ; non, l'auteur suggère. Elle suggère un pays par ses couleurs : les montagnes violettes, la végétation verte, la mer bleu profond, le ciel plombé, chargé, menaçant de pluie. Elle suggère les parfums entêtants des fleurs fraîches, mortes ou pourries. Elle suggère les intentions des personnages et leur caractère par quelques images. Et rien n'est clair, tout est mouvant comme dans un rêve ou plutôt comme dans un cauchemar :
Antoinette « flottait dans l'indécision, n'avait aucune certitude quand il s'agissait de faits — de n'importe quels fait. »

Un homme noir déclare avoir quatorze ans, et un autre le raille parce qu'il ne sait pas son âge. Il est vrai qu'avec ses cheveux gris, il semble plus près de la cinquantaine.

Une des pièces de la maison semble être un havre de paix, un refuge. Mais un domestique noir surgissant on ne sait d'où et en silence, déclare que l'ancien maître n'aimait pas l'endroit, et le sentiment de sécurité vous quitte, on regarde tout autour de soi avec méfiance.

La pluie tombe, ajoutant à l'impression de malaise et de vague tristesse, et l'on parle un patois mâtiné de français. Dans ces conditions, un jeune anglais fraîchement débarqué a bien du mal à s'adapter aux coutumes, aux habitants de l'île, et même à sa propre femme :
« Elle a beau être une créole de pure descendance anglaise, ces gens-là ne sont pas anglais ni non plus européens. »

Dans ce monde mouvant aux contours flous, Antoinette elle-même ne sait pas qui elle est :
« le cancrelat blanc, c'est moi. C'est comme ça qu'ils nous appellent, nous tous qui étions ici avant que les gens de leur propre race, en Afrique, les vendent aux marchands d'esclaves. Et j'ai entendu des Anglaises nous appeler des nègres blancs. Je me demande souvent qui je suis, où est mon pays et à quelle race j'appartiens et pourquoi donc je suis née ! »
Puis finalement, si, elle sait :
« C'est ici que je suis chez moi, c'est le pays auquel j'appartiens, c'est ici que je veux rester. »

Par touches légères, Jean Rhys nous dépeint des personnages chargés chacun de leur propre et pesante histoire, chargés chacun de l'histoire de leur pays d'origine ; et chaque histoire se mêle, se heurte à celle des autres personnages dans un pays construit sur la violence : destruction des indigènes par les Espagnols au 16ème siècle, reprise du pouvoir par les Anglais, esclavage, main d'ouvre asiatique importée sous son prix bas, vaudou, croyances diverses, et le dernier maillon non respecté de cette chaîne : la femme.

Et nous, lecteurs, haletant dans la chaleur moite, nous sommes oppressés par la forêt dense, indécis quant à classer les personnages chez les « bons » ou chez les « méchants », certainement parce que tout n'est pas totalement noir ou blanc. Alors on continue à lire, bien que le cauchemar devienne de plus en plus sombre, en se demandant bien comment tout cela va finir.

« Désir, Haine, Vie, Mort, étaient très rapprochés dans l'obscurité. »
Désir, Haine, Vie, Mort, sont intimement et pudiquement mêlés dans ce roman.
La haine rend fou.
Si vous êtes fragile, sensible, ou en recherche d'un peu de bonheur ou de joie, ne lisez pas ce livre.
Ce n'est pas mon genre de livre préféré, mais c'est excellent.
Lien : https://www.gabrielle-dubois..
Commenter  J’apprécie          20
A la Jamaïque, après l'abolition de l'esclavage, la jeune Antoinette Cosway, créole blanche, est délaissée par sa mère, veuve et déprimée. Elle est élevée par sa nourrice noire. L'ambiance est tendue entre les anciens esclaves et les anciens maîtres. L'isolement de la famille Cosway permet au ressentiment de s'exercer avec violence contre elle. Quand la propriété est incendiée il faut partir et la mère sombre bientôt dans la folie. Antoinette est placée dans un couvent dont elle ne sort que pour un mariage arrangé avec un Anglais intéressé par sa dot.

Ce roman paru en 1966 nous fait entrer dans une société coloniale très hiérarchisée. En bas les Noirs, au dessus les créoles, colons d'origine européenne, anciens propriétaires d'esclaves; et en haut les Anglais. le mariage auquel il a dû consentir pour des raisons financières répugne au mari d'Antoinette, très imbu de sa supériorité. Quand il apprend que la mère de sa femme est morte folle il a le sentiment d'avoir été floué et en fait porter la responsabilité à Antoinette. Sa haine et son mépris la conduisent à l'alcoolisme puis à la folie.

La narration passe alternativement d'Antoinette à son mari -il n'est jamais nommé- ce qui permet de comprendre l'incompréhension qui s'installe entre les protagonistes de ce drame. Installé dans une propriété rurale, le couple vit sans voir grand monde à part les domestiques noirs et sans beaucoup d'activités. Une ambiance propice pour ressasser son mécontentement.

J'ai beaucoup apprécié cette lecture. L'autrice montre bien le ressentiment qui résulte de l'esclavage dans cette société coloniale où un certain nombre de Noirs sont à la fois fils d'esclaves et fils de maîtres. Cette situation explique aussi le sentiment de supériorité des Anglais : eux ne sont pas métissés. En effet, puisqu'untel n'est pas totalement noir, comment être sûr qu'unetelle est totalement blanche?

L'analyse psychologique est fine et il y a aussi de belles descriptions de la végétation des Antilles.

Ceux qui connaissent Jane Eyre découvriront peu à peu qu'Antoinette est en fait la femme folle de Rochester, recluse dans une tour dans le roman de Charlotte Brontë. C'est peu de dire que chez Jean Rhys Rochester est un personnage peu sympathique. On est loin du héros romantique de Charlotte Brontë.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
Commenter  J’apprécie          00
Je l'ai lu en VO pour les cours, et ce fut une véritable claque.
N'ayant pas lu Jane Eyre (puisque Jean Rhys a écrit Wide Sargasso Sea pour redonner une voix, un background et une identité à Bertha Mason), je n'ai pas les références ou comparaisons avec le livre de Charlotte Brontë. Mais cela tombe bien, elles ne sont pas nécessaire, et ce livre fonctionne très bien par lui-même.

Le personnage d'Antoinette est terriblement attachant : névrosée, la jeune fille passe sa vie au coeur d'un tourbillon de trahison, de désillusion et de désenchantement. En ce qui concerne le mari (M. Rochester, qui n'est jamais nommé ici), si ce roman ne justifie pas son comportement, il a au moins le mérite de l'expliquer dans une certaine mesure - il n'en reste pas moins légèrement détestable.

Quand au reste, l'écriture est incroyablement fluide, la VO est très abordable et Rhys nous embarque totalement dans son récit, éveillant en nous compassion et empathie pour ces personnages trahis, abandonnés, abusés et détruits.

Je le recommande grandement : comme pièce complémentaire à la lecture de Jane Eyre, ou comme pièce unique et indépendante. Vous ne le regretterez pas !
Commenter  J’apprécie          00
Au départ, je voulais donner 4 étoiles à ce livre, mais plus j'y pense (il reste dans ma tête après l'avoir terminé), je lui en ai donné 5. Ce n'est pas un livre que je relirais... Je crois ? Qui sait après tout ? Mais il m'a laissé une impression durable et je m'en rappellerai, ce qui n'est pas le cas pour la majorité des bouquins que je lis.

La prisonnière des Sargasses m'a été suggéré par une autre lectrice de Babelio après que j'aie publié ma critique sur les Hauts de Hurlevent. Il s'agit d'une histoire se passant avant Jane Eyre, à la Jamaïque, le premier mariage de M. Rochester, la folie de Bertha, tout ça.

L'atmosphère est oppressante, le mot clef : la sécurité, au moins pour Antoinette/Bertha. La chaleur, le poison sous la beauté, la colère justifiée de la population contre leurs exploiteurs, l'obi (vaudou), la peur des femmes esseulées, le sens d'appartenance à un endroit qui vous rejette, être élevée comme une indigène alors qu'Antoinette est une fille blanche, ou être un métis dans le cas de son frère...

C'était violent. Pas seulement l'atmosphère, mais aussi la violence qui conduit la mère d'Antoinette à la folie et, ne l'oublions pas, la violence d'Edward Rochester qui mène sa femme à la folie. Il y avait certes un état latent, mais la violence les fait basculer totalement. Même si Edward a été marié sans amour, s'il n'avait pas toutes les informations, il a participé volontairement. Il faut dire que les "héros" Brontëiens ne sont pas de gentils garçons tout sages (voire Heathcliff) et Rochester ne fait pas exception, dans la lignée de son père et de son frère. S'il avait essayé d'aimer sa femme, de la comprendre, de l'écouter, tout cela ne serait pas arrivé.

Un roman court mais puissant !
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (329) Voir plus



Quiz Voir plus

Londres et la littérature

Dans quelle rue de Londres vit Sherlock Holmes, le célèbre détective ?

Oxford Street
Baker Street
Margaret Street
Glasshouse Street

10 questions
1053 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature anglaise , londresCréer un quiz sur ce livre

{* *}