Extrait :
La vieille gare
La vieille gare - J’ai vu tant de trains passer dans mes entrailles, j’ai vu tant de trains. Certains venaient de loin, avec encore les lambeaux de la nuit, avec sur les vitres la pluie et le sang des arbres. Leurs roues crissaient dans mon intestin, et je digérais aventuriers, travailleurs et vacanciers. J’ai vu tant de trains, les yeux givrés, ou le dos cuit par le soleil des étés.
Le quai de la gare - J’ai vu tant de passagers sur mon tapis bétonné, j’ai vu tant de passagers, et j’étais le serviteur de leurs jambes animées. Certains étaient pressés, conditionnés par les ficelles du gagne-pain et des affaires. D’autres, heureux de prendre un repos mérité.
Le café de la gare - J’ai vu tant de fessiers sur mes chaises, j’ai vu tant de fessiers. De toutes les rondeurs, de tout acabit. J'ai vu l'angoisse comme un masque quand la fatigue des ouvriers venait se rincer le gosier. J'ai vu la colère montrer son poing avec des musiques de verres brisés. J’ai vu des ongles rongés d’impatience, et la joie danser, quand descendait du compartiment l’être désiré. J’ai entendu des halètements et des cris enfiévrés qui venaient des toilettes.
La vieille gare - Mes pauvres amis, mon pauvre tapis et mon cher café. Bientôt, je vais fermer mes portes pour toujours. Nous ne serons plus qu’une impasse, des rails absurdes mangés par les herbes. Il n’y aura plus de vélos posés contre nos murs, plus d’amoureux à se bécoter dans les coins, plus d’attentes de convois. Mes pauvres amis, nous ne serons plus que des pierres fissurées, imbibées par les intempéries. Les enfants viendront crever nos yeux, et nous abriterons le grand bal du désespoir. Enfin, nous serons certainement la proie d’un promoteur et d’un maire assoiffé de pouvoir.