Déjà autrice de nombreux romans en langue anglaise,
Monique Roffey reste pourtant complètement inconnue sous nos latitudes.
Cette année,
Mémoire d'Encrier et
Gerty Dambury nous offrent enfin son oeuvre la plus récente et la plus primée.
Tout droit venue de Trinidad, voici une nouvelle voix qui devrait faire beaucoup parler d'elle.
La sirène de Black Conch est bien davantage qu'une énième variation sur un mythe archi-connu…
Attiré par ton chant
David Baptiste se souvient. Des évènements de l'année 1976, cette année où l'ouragan Rosamund a balayé le village de Black Conch dans les petites Antilles. L'un des plus terribles de l'histoire.
Pourtant, ce n'est pas tant la brutalité de la tempête qui l'a marqué que la personne qu'il a perdu avec elle.
Aycayia. Une femme à la peau rouge, innocente et magnifique, l'amour de toute une vie.
Aycayia. Une femme inoubliable…et une sirène !
David Baptiste n'était qu'un pêcheur comme un autre avant de voir émerger en pleine mer le visage d'Aycayia, comme une fantastique découverte, comme un rêve impossible. Attirée par la guitare et le chant de David, la voici qui le retrouve régulièrement pour l'écouter.
Jusqu'au jour où des Américains viennent la pêcher et l'entraînent sur la terre ferme comme un trophée, une curiosité, un objet.
Pendant la nuit, David la libère et l'emmène chez lui. Il ne sait pas encore son nom mais il sait que c'est la bonne chose à faire.
Il sait qu'Aycayia est une merveille que l'on n'enferme pas.
Et puis, Aycayia se met à changer… pour redevenir la jeune femme qu'elle était bien des années auparavant.
Monique Roffey s'empare du mythe de la sirène, le malaxe, le triture et en extrait quelque chose de neuf, quelque chose d'infiniment humain et touchant. Elle inverse d'abord la rencontre, fait en sorte que la sirène soit attirée par le chant d'un pêcheur…puis elle redevient femme et découvre ce qu'on lui a toujours caché : l'amour.
L'Histoire s'en mêle
Le roman de
Monique Roffey s'articule en trois temps : 1976 aux côtés d'un narrateur omniscient qui nous raconte cette rencontre incroyable, 2015–2016 par le journal intime d'un David Baptiste devenu vieux et quelque part entre les deux, par la poésie d'Aycayia elle-même, prise à jamais dans les flots. L'entrelacement de ces trois angles narratifs offre une densité remarquable à ce qui aurait pu rester un conte fantastique un peu naïf sur fond de romance improbable. Mais non seulement
Monique Roffey a plus d'un tour dans son sac, mais c'est sans compter le poids de l'Histoire qui accompagne le tout. Nous sommes à Black Conch, un territoire Antillais marqué par la colonisation et l'esclavage. Un village possédé en grande partie par une femme blanche, Arcadia Rain, qui vit avec son fils métis, Reggie, sourd de naissance et dont le père Noir, un surnommé Life, s'est fait la malle il y a bien longtemps. Tout est plus compliqué sur ce territoire confisqué à des peuples amérindiens exterminés et repeuplé par des populations sous le joug de l'esclavage des Blancs.
Et si l'Histoire ne suffit pas, c'est aussi la place de la femme qui viendra jouer les trouble-fête dans cette aventure bien plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. On y suit des femmes meurtries, blessées jusque dans leur chair, des femmes manipulées…mais aussi des femmes fortes et redoutables.
Ne croyez pas cependant que
Monique Roffey choisit la simplicité en séparant tout ce beau monde entre bons et méchants.
Noirs et Blancs. Femmes et Hommes. Humains et Sirène.
Non, tout est plus complexe que ça. Aycayia a été maudite par des femmes jalouses et se retrouve en danger de nouveau à cause d'une femme mesquine et banalement méchante. Arcadia n'a jamais voulu ce domaine hérité de ses parents morts depuis longtemps, et elle aime un Noir qui l'aime en retour. Et qui n'est pas tant un salaud que ça, juste une personne qui a eu peur et qui n'était pas prête alors à aimer un enfant.
La sirène de Black Conch est un roman de nuances et de changement, c'est un roman qui croit que les évènements changent les hommes, et que la course du temps nous transforme, inéluctablement.
Retrouve-moi, là-bas, comme avant
Ainsi,
Monique Roffey offre à son lecteur une certaine vision du colonialisme et de ses conséquences, avec les fractures sociales et raciales qui en découlent, mais aussi une certaine vision de la femme, de la supposée sororité qui se laisse parfois corrompre par le venin insidieux de la méchanceté et de la jalousie.
La sirène de Black Conch accorde une importance égale à tous ses personnages, des plus tragiques aux plus impardonnables.
Monique Roffey cherche au coeur, refusant les compromis, toujours subjuguée par la poésie de sa créature à la fois si fantastique et si humaine. Si touchante.
Aycayia, qui découvre ce qui effraie tant les femmes et les hommes, le fait d'aimer, le fait de plaire, le fait de se donner entièrement.
Le sexe. La liberté.
Au fond,
La sirène de Black Conch n'est pas autre chose qu'une histoire sur la liberté et sur ce qu'on y laisse, sur l'amour faillible et sur le temps.
Le tout porté par la plume précise, limpide et poétique d'une
Monique Roffey qui impressionne et s'interroge toujours et encore.
La sirène de Black Conch fait mal, elle triture les blessures du passé et les malédictions, elle pèse les âmes et se demande ce que nous deviendrons. Mais surtout,
La sirène de Black Conch détricote un mythe pour en faire une histoire d'amour fugace et inoubliable, condamnée à l'ouragan et à demain.
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