Et, son travail de berger terminé, c’étaient toutes les autres occupations :
« Va chercher l’eau !… Apporte une brassée de bois !… Va au jardin arracher les herbes de l’entrée !… »
Il n’y avait place ni pour un mot d’encouragement, ni pour un geste mais seulement pour le travail du moment… de tous les instants.
Seulement, tout de suite et pour lui était apparue une sorte de révélation. Alors que pour ses voisins, pour ses camarades du même âge, le moment de l’école était arrivé et qu’ils s’y rendaient comme ils se rendaient au pré, lui, il allait se découvrir une facilité d’apprendre qui serait une surprise. Doté par une sorte de bénédiction d’un esprit curieux, ouvert, il effacerait en se jouant les difficultés d’une scolarité tout à fait normale à l’époque.
Dès les premiers jours, dès le moment où dans cette ruche, soit sous la houlette du Maître dont il avait une peur panique soit sous celle de quelque grand, il avait découvert des signes, des traits, des sons, il se les répétait tout au long de ses heures de gardiennage, les retraçait sur la poussière du chemin avec son petit bâton, se remémorait, inscrivait le tout dans une mémoire avide.
Et il en faisait de même pour tout ce qui passait à portée et qu’il entendait expliquer aux moyens et parfois aux grands qui, au delà du poêle, écrasaient la classe.
Francelou racontait, ce que finalement tout le monde savait :
« Chaque année il amenait ses candidats au Certificat d’Études.
Trois… Quatre… Cinq… Tous ceux qui avaient l’âge, Il les a tous présentés
même le Fernand du Merle qui n’arrivait pas à écrire son nom. Il l’a gardé pendant des mois. Tous les soirs après la classe. Il lui aurait fait manger la table !… Il a été reçu !… »
Quand il est revenu, l’examen passé, je l’ai entendu qui racontait :
“Le Directeur m’a dit : Tu avais un candidat qui n’a eu le Certificat qu’en rasant les murs !… Tu aurais pu avoir ton premier échec !…”
Jamais il n’a été aussi heureux d’un succès. Jamais il n’avait autant
appréhendé !… »
Je l'avais perdue de vue dans la foule quand, soudain, elle a été devant moi.
Elle m'a développé d'un regard, s'est assise sans manière. J'avoue avoir été paralysé et il m'a fallu une longue attente et un véritable effort pour oser me retourner, la regarder. J'essayais d'être le plus discret possible mais j'ai vu, avec stupéfaction qu'elle souriait et que ce sourire semblait m'être adressé. J'en ai été tellement étonné que j'ai instinctivement tourné la tête, cherché derrière moi avant de la regarder à nouveau.
Le Premier octobre, il retrouvait sa classe après une année d'interruption.
Cette double expédition militaire pourrait paraître disproportionnée. Elle allait conditionner sa vie, elle serait la seule occasion où il se trouverait hors de son cadre, de son univers, en contact avec l'extérieur, avec ce monde divers, varié, insoupçonné. Elle serait une aventure inquiétante et une terrible école de vie.