Le journal de
Ma Yan est le récit, par
Ma Yan elle-même, de sa vie quotidienne de jeune écolière chinoise dans son petit village du Ningxia. Nous sommes en 2000 et 2001. Dans le Ningxia, région autonome proche de l'Asie Centrale et de la Mongolie, la culture du blé et du sarrasin est l'activité principale mais la terre est ingrate : alors les paysans s'épuisent dans un labeur éprouvant et les enfants constituent une force de travail précieuse car substantielle et gratuite. Nombre de ces enfants sont scolarisés (en Chine, l'école est obligatoire pendant 9 ans) alors pour éviter la double peine, qui consiste à avoir des enfants qui ne travaillent pas aux champs et qui en plus coûtent de l'argent dès lors qu'on les envoie à l'école, les parents d'enfants scolarisés n'hésitent pas à prendre les grands moyens : soit l'enfant est retiré de l'école en cours d'année scolaire, soit l'enfant ne reçoit pas l'argent de poche qui lui serait nécessaire pour s'acheter son matériel scolaire ou pour se nourrir (l'école ne fournit ni cahiers, ni stylos, ni repas scolaires).
Ma Yan et sa famille vivent dans la faim, la misère, le froid et la pauvreté.
Ma Yan a continuellement faim. Elle ne mange rien le matin, le midi elle ne mange qu'un bol de riz (125 gr), parfois accompagné de chou salé et le soir elle n'absorbe qu'un petit pain cuit à la vapeur. Elle ne mange à sa faim que le week-end, le moment où elle quitte l'internat pour rentrer à la maison. La faim est quotidienne et se ressent parfois violemment : ainsi (page 95),
Ma Yan donnera un peu de pain à son petit frère qui n'a pas mangé et bu depuis 2 jours, pain qu'elle va acheter avec les 10 yuans que lui donne exceptionnellement son père. Les bêtes ont également faim : le veau puis l'âne achetés par la famille ne reçoivent qu'une poignée de fourrage et une fois par jour, et (page 73) il n'est pas rare de trouver des souris dans les sacs de riz entreposés dans la maison familiale.
Ma Yan vit dans la misère. Pour que la famille puisse survivre, le père de
Ma Yan loue ses propres bras sur des chantiers souvent éloignés et toujours pénibles, mais les patrons ne paient que très rarement les ouvriers migrants, lesquels sont dépourvus de droits, ce qui fait que le père ne rentre pas toujours avec un argent pourtant durement gagné. Quant à la mère de
Ma Yan, bien qu'étant souffrante (elle a un ulcère à l'estomac), elle s'en va à plusieurs jours de marche de la maison pour récolter le « fa cai », herbe sauvage que les chinois fortunés mangent en salade ou en potage. L'argent est donc rare dans la famille : les vêtements ne sont pas renouvelés (
Ma Yan lave les siens tous les week-end afin de pouvoir les enfiler dès le dimanche soir, avant de retourner à l'internat), l'entretien de la maison est réduit au strict minimum, et (page 135), le père n'achète les denrées qu'à la fermeture du marché, au moment où les prix baissent car les commerçants préfèrent liquider la marchandise plutôt que de la remporter.
Ma Yan vit dans des températures extrêmes : dans le Ningxia, il peut faire + 40°C à l'ombre l'été (mais il n'y a pas d'arbres pour faire de l'ombre car les arbres ont servi à alimenter les aciéries lors du Grand Bond en Avant), et – 40°
C l'hiver. le climat est continental. En juillet (page 151), il fait si chaud qu'on dort à la belle étoile, étendu sur une toile, dehors. En novembre (page 229), il fait très froid et, malgré la veste ouatée, le vent est si fort qu'il est difficile de garder les yeux ouverts : les larmes coulent sur le visage et forment des gouttes de glace.
Ma Yan vit dans la pauvreté. Dans le Ningxia, après 5 années de sécheresse, le revenu moyen (essentiellement tiré de la culture) ne dépasse pas 15 % du revenu moyen Chinois.
Ma Yan, comme tous les enfants, aimerait mâchonner un chewing-gum (comme on le voit à la TV).
Ma Yan, comme tous les enfants, aimerait que sa mère, malade, puisse s'acheter les médicaments dont elle a besoin plutôt que de devoir s'en remettre à des charlatans qui prodiguent des soins traditionnels sur 2 ou 3 séances après avoir exigé d'être payé d'avance pour 5 séances de soins.
Ma Yan, comme toutes les filles, est destinée à être fiancée à 16 ans, ce qui permettra à ses parents de recevoir une dot avec laquelle ils pourront marier leurs 2 fils. Dans une région où la terre est la seule richesse, le partage des terres est une épreuve et quand la fille se marie, c'est l'investissement fait dans son éducation qui est perdu !
Plus qu'un documentaire sur le Ningxia et sur la vie de ses habitants (le lecteur découvrira au fil des pages les habitudes alimentaires et vestimentaires régionales, les déplacements effectués à pied ou plus rarement en tracteur ou en moto, l'usage des citernes à eau et à neige, l'habitat éparpillé, les écoles distantes de plus de 20 km des villages, l'influence des chefs de village et des secrétaires du PC local, l'absence de routes et l'état de délabrement des pistes, l'entraide mise en oeuvre entre paysans, la violence exercée par les professeurs envers les enfants, le mépris des citadins envers les paysans, la moquerie exercée envers les minorités, etc. le journal de
Ma Yan est le récit d'un drame personnel et un manifeste contre l'illettrisme dans la Chine rurale des années 2000.
Sur un ton parfois intimiste, qui prend alors la forme d'une confession,
Ma Yan témoigne de sa difficulté à vivre une vie normale d'enfant scolarisé parce qu'elle appartient à la minorité musulmane Hui et qu'elle vit dans une région déshéritée : l'avenir de
Ma Yan était dès la naissance anéanti par un environnement hostile mais grâce au sacrifice de sa mère qui envoie
Ma Yan à l'école,
Ma Yan échappera à la condition qui l'attendait. L'éducation apparaît bien comme un facteur de progrès : grâce à elle, grâce aux professeurs qui pousseront
Ma Yan à étudier sans cesse, notre jeune écolière pourra s'en sortir et affronter ainsi, à force de persévérance, la fatalité dans laquelle la plongeait la tradition. Les mots de
Ma Yan sont simples et sonnent vrai (page 61 « dans les grandes villes, même pour aller aux toilettes il faut savoir lire »). Parfois, un brin de malice, de fierté ou de poésie se glisse entre les pages (page 87, quand mon petit frère chante, mon coeur est plein de joie comme une fleur dont les pétales s'ouvrent). Dotée d'une grande lucidité et d'une forte joie de vivre,
Ma Yan désire ardemment se construire un avenir meilleur (page 55,
Ma Yan songe à devenir policière pour faire respecter l'ordre et être au service de son pays) au sein d'une région que le gouvernement Chinois avait pourtant décrétée impropre à la vie humaine : belle aventure, même si elle est un tantinet idéalisée.
Ma Yan redorera ainsi le blason de sa branche paternelle et elle ne sera pas (page 100) comme ses grands-parents qui travaillent encore à 80 ans passés !
Une faiblesse dans ce récit ? Oui, la litanie communiste des témoignages de reconnaissance envers la famille de
Ma Yan et surtout envers sa mère, mais aussi la répétition intarissable des slogans maoïstes : je dois bien étudier pour apporter ma contribution au pays (page 45), je dois continuer à tout faire pour remporter la victoire finale (page 51), sur le chemin de la vie future nous devons nous engager sur la bonne voie et non sur une voie erronée (page 56), etc. L'innocence de
Ma Yan (page 35, nous chantons fièrement tous à tour de rôle la chanson de la marche à pied) ne pèse pas lourd dans une Chine en grande transformation, une Chine à deux vitesses, avec sa corruption (page 156, un bon travail dans une entreprise s'achète par la corruption) et ses laissés-pour-compte de la croissance, sur fond de petit Livre Rouge !