Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=jp2bQe6IYJ8
J'avais apprécié la voix narrative du Démon de la colline aux loups, la voix du personnage qui déroule sa vie, et ici, est-ce que c'est parce que c'est un récit à la troisième personne… je n'ai pas retrouvé la même force. J'ai l'impression que l'auteur a passé moins de temps à le peaufiner, parce qu'il est plus superficiel, les scènes sont très rapides, chaque chapitre n'a le temps que de cadrer une seule action. Il y a le défaut que je vois dans certains livres, lors justement des scènes d'action, on a qu'un enchainement de verbes « Isaac soulève la redingote et montre un gourdin court […] Isaac jette le gourdin loin, dans l'eau. Gio se tourne vers Isaac. », ça manque de relief ; et comme le roman de Chris Offut, Nuits Appalaches, dont je parlais en janvier dernier, lors des scènes descriptives, on a une impression d'artificialité, que Rouchon-Borie a juste ouvert un almanach pour nous faire le bingo des plantes sauvages, mais sans jamais vraiment s'attarder sur elles pour nous montrer leurs couleurs, leur toucher, leur odeur. On reste sur la surface des choses, les scènes terminent avant d'avoir réellement commencé.
Les situations sont assez prévisibles, et je trouve assez curieux le fait de s'intéresser toujours aux classes les plus pauvres pour en faire un tableau sale, sombre, la fange quoi. Il faut qu'il y ait de l'inceste ou des attouchements, que les gens soient illettrés. Berceau de la violence. Je me demande si c'est pas son boulot qui lui donne ce regard sur les gens, parce que comme Robert-Diard, il travaille dans la chronique judiciaire, donc il voit l'exceptionnel de l'humanité, et souvent, j'ai envie de dire, c'est les prolétaires qui se font choper là où les bourgeois font la même chose impunément. Et que donc, il donne une image à la fois éculée et mensongère du gitan. Mais bon, le contexte historique est flou, on peut se dire qu'après tout, ça se passe au début 20ème, . qu'il y a pas de message social, ou alors pas de manière délibérée. (même si au bout de deux bouquins, on peut quand même se poser des questions sur la vision qu'il a des pauvres, le côté cour des miracles). Les classes populaires sont toujours sur la même note, à friser l'animalité. En plus, le souci, c'est que même si on fait abstraction de ça, du fait qu'ils savent pas bien parler, c'est même pas vraiment bien mis en scène, parce que les dialogues sont un peu pompeux, trop recherchés pour sonner justes, on voltige d'un parler très folklorique à des gens qui s'expriment par aphorismes. Je comprends pas comment il a pu ne pas savoir doser, ce qu'il avait réussi à faire dans le précédent. Puisqu'on était dans le regard de Duke, on se disait qu'il y avait forcément reconstruction, et que si les scènes ne paraissaient pas tout à fait tangibles, c'était parce qu'on nous les restituait.
Comme pour Chris Offut, c'est pour moi une littérature assez infantile, où les mecs font la bagarre et les nanas ne servent que de monnaie d'échange entre eux. Dolores n'a aucun désir propre, tout ce qu'elle fait, c'est se réserver pour Gio. C'est le trope de la demoiselle en détresse, je trouve ça assez fou de trouver encore ce genre de personnages féminins en 2023. Elle est essentialisée, tout le temps ramenée à ses « pêches », et rien que ce terme, ça manque de réalisme, parce que tous les hommes vont dire ah les bonnes vieilles pêches de Dolores (d'ailleurs, il aurait dû appeler le livre comme ça), mais dans la vraie vie, y a un millier de mots pour décrire les seins d'une femme, pourquoi ils emploient tous le même, et ce sans s'être concertés ? le gamin est monolithique, il s'exprime avec la même palette gestuelle (se passe le doigt sur la gorge). Les deux servent qu'à investir Gio d'une mission protectrice, d'asseoir son autorité virile face aux menaces viriles elles aussi. Donc c'est bim boum bagarre, oh Gio, mon sauveur, un rôle de ravissante idiote qui ne sait même pas ce qu'est le coton, l'hésitation, ou d'autres mots simples et accessibles. Surtout que quelques pages plus tôt, elle nous fait une envolée lyrique, c'est pas cohérent.
Les dialogues sont ratés, ils s'appellent tous par leur prénom, parlent tous pareil, par exemple, il leur fait répéter la même phrase en fin de dialogue « Je vais y veiller, au môme, je vais y veiller » (Miçek) « Je sais pas, mais j'imagine, Suzy, j'imagine » (Henrique) et même Gio fait pareil. Ce qui est assez ridicule au bout d'un moment, ça fait mauvais dialogue de western.
De plus, ce qui empêche de se projeter, c'est que le livre souffre du white room syndrome, c'est-à-dire que le décor, l'endroit où ils vivent n'est jamais décrit longuement, qu'il y a pas d'adéquation ou d'inadéquation entre ce que le héros ressent et l'endroit où il se trouve, et souvent dans ce genre de roman d'aventures, c'est important pour laisser un peu reposer l'action, c'est pour ça qu'il y a un gros manque d'équilibre dans la tension dramatique.
La fin est abracadabrantesque, je veux pas spoiler, mais il nous fait presque du fan service là, Rouchon Bourie, ou un Marvel universe à sa sauce. Les scènes sont déjà vues mille fois (on a le droit aux villageois avec les fourches et les torches contre Frankenstein). À part quelques passages poétiques, le style est anémique, ce qui donne l'impression de lire un long synopsis pour un film — et j'ai peur que ce soit ce genre de livre qui serve de modèle à la littérature de demain. Qu'on abandonne le roman, et sa particularité : celle de distendre le temps, de l'arrêter, pour avoir à la place un enchainement d'actions, de plus en plus prévisibles, de moins en moins bien dosées. Qu'est-ce qui s'est passé entre
le démon de la colline aux loups et ça ? du côté auteur et du côté éditeur ? On a que le plan là, un plan avec des ellipses et des scènes paresseuses (à la fin, le héros parle avec son chien et lui raconte tout de but en blanc, parce que mettre en scène, on dirait que Rouchon-Borie il en a soupé, même si Gio, c'était un taiseux tout le long du livre, on s'en fout de la cohérence — et le chien, en plus, va avoir tout le temps la même réaction de chien. En gros Gio sort un bloc du récit — le chien fait un truc de chien, Gio boit une gorgée de rhum, et c'est reparti pour un tour, et ça sur toute la scène. D'ailleurs, le chien me parait être sorti de son chapeau au dernier moment pour justifier le titre.
Je sais pas si je continue. Bon encore quelques remarques pour terminer.
L'histoire de l'espèce de voyage astral que fait le héros n'est jamais clairement mise en scène, encore une fois, on survole trop, ce qui fait qu'il n'y a aucun engagement. En fait, c'est l'un des plus gros défauts du livre, on se sent pas engagé, on s'en fout de ce qu'il peut arriver aux personnages, parce que leur relation n'est jamais mise en relief, à travers des scènes qui calmeraient un peu la tension dramatique. Comme l'auteur s'en fout de nous montrer le côté humain des personnages, leur amitié, qu'il veut juste s'amuser avec ses action man, comme Chris Offut, on prend pas de plaisir. En plus, un moment, il décide de couper la narration pour nous faire aller quelques années plus tard, et je me suis dit, ouah, s'il décide de rien nous raconter là, s'il décide de laisser le destin de Papillon et de Dolores en suspens, ce serait vachement audacieux, de nous faire juste pressentir, mais rester dans le non-dit, qu'on comprenne sans que ce soit formulé. Mais non, il vient avec ses gros sabots avec la discussion du chien, et ruine la seule audace scénaristique du livre.
Et pour finir, comme les chapitres sont hyper courts, chaque chapitre, c'est une action très schématique, j'ai eu l'impression de passer des petits niveaux de jeux vidéos avec des mini boss, même, au cas où on serait perdus, on nous rappelle souvent les enjeux du livre, comme un « previosly in the dog in the stars » de série.
Donc voilà, j'aurais aimé apprécier ce livre, malheureusement, c'est l'un des plus ratés que j'ai lus cette année. J'espère que Rouchon-Borie va se reprendre et nous proposer quelque chose de plus abouti pour la prochaine fois.
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