«
Au Tribunal » de
Dimitri Rouchon-Borie (2018,
La Manufacture de Livres, 308 p.) relate différents épisodes de la vie quotidienne d'un tribunal. L'auteur est bien placé pour savoir de quoi il retourne, ayant été le chroniqueur judiciaire et journaliste en faits divers pour « le Télégramme » de Brest.
Tribunal, cela veut dire tout d'abord différentes étapes entre le simple voleur de poules et le tueur en séries dont la lame du couteau n'a pas le temps de sécher entre deux crimes. Il y a les tribunaux judiciaires qui regroupent maintenant les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance. Les premiers ont été transformés en chambres de proximité et les seconds gèrent la juridiction de droit commun. Pour les cas plus graves (crime, viol, enlèvement), on passe directement en Cour d'Assises. La cour d'appel est la juridiction du second degré, et la
Cour de Cassation juge le droit.
Donc, au cours de sa carrière, notre journaliste a eu des expériences multiples qui vont de la simple affaire de « bêtise ordinaire » à la monstruosité des grands fauves. Il y a eu longtemps une telle chronique tout d'abord dans « Libération » depuis 1991, puis dans « le Canard Enchainé », brillamment rédigée par
Dominique Simonnot qui vient d'être nommée « contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ». Elle a tiré de ces chroniques un livre autant dérangeant que parfois drôle « Coup de Barre. Justice et Injustices en France » (2019, le Seuil, 304 p.).
Chronique judiciaire au jour le jour avec ses drames, mais surtout entrée et lever du voile sur un monde que l'on pourrait qualifier d'à part. « C'est un lieu qu'on ne comprend pas, au départ, parce qu'il y a trop de choses, trop de gens qui passent ». Et toute une série de mondes qui se superposent, avec leurs rites et leurs coutumes. Une étiquette quasi immuable qui voudrait rappeler la solennité de la Justice, mais qui en fait isole celle-ci. Un public qui est souvent partagé en deux, ceux du côté des « prévenus » ou des victimes d'ailleurs, qui sont souvent en opposition par principe, mais qui sont ignorants des rites. A côté un autre type de public, souvent habitué des séances, qui sont là comme au cirque, pour attendre que le dompteur se fasse dévorer, avides de faits divers et prêts à couper le cou à tout voleur de poules (et à assister à la pendaison qui s'ensuit, (si jamais…). Et puis il y a le monde policier, qui est là pour faire régner un peu d'ordre. Professionnels, souvent au-delà des états d'âmes, ils sont là, et c'est nécessaire, pour leur effectuer leur métier. de l'autre côté, le monde judiciaire. Avec ses rites à lui aussi. On se lève à l'entrée du président, on porte, parfois des habits distinctifs, ou ses médailles apparentes. Il faut bien distribuer des hochets qui règlementent la hiérarchie judiciaire, à défaut de leur donner un avancement à l'ancienneté. Il est évident que le monde dans lequel évolue cette société, notables de province, est totalement étrangère aux moeurs de la société qu'ils jugent.
La mise en scène peut commencer « La première image que j'ai, c'est celle d'une salle entièrement vide. Il n'y a pas de public, presque personne. Face à moi : le mur que constituent les jurés, la Présidente et les assesseurs, très solennels. L'avocat général, à ma droite. Dans le box : un jeune homme au crâne rasé ». A ce moment, rien ne filtre de ce qui est finalement reproché au « prévenu ». Combien de poules volées, de mineures dévoyées, de sommes dérobées, allant de quelques centimes à des milliards de monnaie digitale. L'auteur « tombe en plein dans ce huis-clos familial, étonnant et d'une tristesse absolue ». C'est plus
Zola que les Thénardier. Qu'importe alors la cérémonie qui va suivre. Emaillée parfois de mots qui veulent être bons du président qui ne comprend pas toujours la logique de celui qui lui répond, qui lui-même n'a pas saisi la finesse de la question. « La solitude des gens finit par rencontrer la nôtre. On voit bien, par moments, qu'on a affaire à des gens qui sont comme nous. Ils sont très différents de nous, ils ont commis des choses qui sont extrêmement difficiles, mais, quelque part, ces gens-là, c'est quand même nous ».
Incompréhension des uns face à des moeurs qui ont changé dans les cas d'inceste. Ou de plans de vengeance qui réchauffent lentement. Voire même d'excuses souvent risibles « Mais, expliquez-moi, puisqu'il était mourant à l'hôpital comme vous nous le répétez, comment a-t-il pu signer les chèques ? Ben c'est qu'il était pas mourant tout le temps, monsieur le président ».
« On écoute et, pour bien écouter, il faut éponger. Il faut donc ramasser car si l'on ne ramasse pas, on ne peut pas écrire. [...] On éponge de la sueur, des histoires d'amour tristes et beaucoup de silence, des questions. Des questions sans réponses ». le problème est que ces histoires ce sont aussi les nôtres, quelquefois.
Des histoires plus que banales. Comme celle d'Hélèna, 80 ans passés. Entrée au service de « André » ou « Monsieur le Talc », spécialiste du jouet en bois, puis commerçant, avec des affaires qui périclitent un peu car monsieur se fait vieux. Puis la retraite, et elle devient la personne « pour m'assister à la maison ». Oh, rien de bien compliqué, ni de sous-entendu. « Ils avaient passé leur vie ensemble ». « Et le 26 de chaque mois, jour anniversaire de la mort de Monsieur le Talc, elle se glissait discrètement dans la cour de la demeure, pour dire une prière ». Donc, à 80 ans sonnés, la voilà
au tribunal pour une histoire de voiture rayée « elle a balafré l'aile d'une berline germanique ». La voiture du fils. Comme quoi « Les histoires d'amour finissent mal ».
Au tribunal.