Tout vient à point à qui sait attendre ...
L'impatience peut-elle alors trouver son alter ego dans le vice ? Celui d'aller plus vite que son ombre ou la musique, de suivre ce rythme infernal d'une course folle, quitte à se précipiter dans la gueule du loup, de se noyer dans les méandres d'un cerveau tourmenté, de se laisser embarquer de force et finalement d'y perdre peut-être son âme ?
Un thriller peut présenter différents visages comme une certaine vengeance le sied fort bien, si l'auteur avait déjà signé un roman d'anticipation en deux parties, après un passage en auto-édition,
Lésions intimes de Royer Christophe bénéficie désormais des ressources d'une belle maison d'édition, une couverture qui met l'eau à la bouche, je remercie Joël Maïssa et les Editions Taurnada (https://www.facebook.com/taurnadaeditions/) pour leur confiance de m'avoir proposé de découvrir une nouvelle voix française dans un registre en pleine expansion et ne manquant pas d'auteurs chevronnés comme des premières mains.
Comme si vous y étiez, dans la peau d'une protagoniste qui n'a rien à envier aux meilleures figures de proue de l'héroïne qui n'a pas froid aux yeux avec ses épisodes de plein doute existentiel, si elle pourrait paraître froide de prime abord, Nathalie Lesage caché bien son jeu et c'est toute l'intrigue qui va s'articuler autour de celle que tout le monde semble craindre et respecter parfois plus que son grade de capitaine le lui permet.
Sauf que cette apparence pourrait justement définir tout le sel psychologique en gestation, celui qui va se déverser comme le fiel dans une vie balisée au possible, cette substance gluante et vicieuse risquant de vous coller à la peau, longtemps j'ai croisé les doigts pour que cette patience servira finalement à goûter à l'extase du thriller dans toute sa dimension dramatique.
Terriblement ancré dans une réalité qui dépasse souvent l'entendement, l'histoire d'une enquête hors du commun des mortels, une lecture à deux vitesses qui n'est pas sans rappeler qu'il faut ménager la chèvre et le chou, des petits clins d'oeil s'invitent pour coller au plus près d'une actualité brûlante, rien ne manque à suivre méthodiquement une investigation comme beaucoup de romans l'ont fait avant, souffler le chaud et le froid, prêcher le faux pour avoir le vrai, plus d'une fois j'ai savouré ce moment de perdition dans les eaux troubles des personnages, qu'ils soient dans la police ou de l'autre côté de la frontière, il existe une porte dérobée qui risquerait de vous brûler la paume des mains si vous osez la franchir, cet avant et après, quand vous essayez d'oublier une image ou une scène morbide à la télé ou au cinéma, le mieux est encore d'y penser jusqu'à la rendre presque banale, le temps et la capacité à surmonter feront le reste. Sauf que, comme souvent, rien n'est jamais aussi simple et c'est pourquoi les vertus et les vices se livrent des batailles incessantes, des pulsions, des envies supplantes des désirs, des passions se transforment en un engrenage redoutable, comme une drogue et ses effets secondaires, être accro ou addictif rime avec menace et dangerosité.
Sans prendre des pinces pour percuter et créer un climat malsain et souvent à la limite du soutenable, l'auteur parvient cependant à garder le lecteur en apnée et surtout à la lisière de la réalité et des fantasmes les plus tordus, quand la fiction dépasse la réalité, il ne faut plus s'étonner plus avant et malgré l'avènement du numérique et l'accès à toutes les infos en continu, force est de constater que le pire peut encore jaillir des cendres fumantes, comme le leader d'un groupe terroriste, la relève est déjà assurée et il pourrait s'avérer encore plus monstrueux ...
Cette dualité dans le psychisme du personnage principal est bien rendu en ce sens que rien ne dérive vers des zones fantastiques ou paranormales, la réalité scientifique n'est pas une exagération devant les prouesses du cerveau dont on est encore loin d'avoir exploré toutes les régions temporales ou occipitales, issue de la créature de la mythologie grecque, cette insaisissable et invisible organisation de l'ombre avec ses tentacules,
Homère en faisait des monstres des enfers, la peur omniprésente de trahir son corps et ses travers, quand la morale devient un serpent dont la moindre morsure pourrait s'avérer fatale,
Lésions intimes ne lésinent pas devant la déviance et la perversité faite homme.
Cette distorsion du temps n'est pas en reste devant l'inconnu et les mystères qui planent, entre une quête personnelle du personnage principal et cet abîme sous-jacent à l'oeuvre, percher sur le fil du rasoir résulte un dilemme à résoudre, le style peut paraître chargé parfois avec un niveau de détails hallucinants mais attention à ce qui pourrait se cacher derrière l'arbre, cette forêt dense ne fait pas de cadeau, à vos risque et périls, les démons de la nuit ne sont jamais aussi puissants lorsqu'ils tirent les ficelles dans l'ombre, les serpents s'adaptent et se fondent dans le décor, la proie n'a plus qu'à bien se tenir, pour une chevauchée sauvage, pour une montée en puissance de la narration qui aiment s'égarer vers des pistes trompeuses, jusqu'au bout du tunnel, j'ai suivi à l'aveugle ce brin de lumière, dans les éclats des pierres traîtres, un véritable voyage au bout de soi-même, un thriller machiavélique à souhait, méfiez-vous des apparences débonnaires, l'ogre n'est jamais repu, il attend juste ...
Sans tomber dans une quelconque surenchère de la violence dans tous ses états possibles et inimaginables, un thriller qui se dévore à pleines dents, il mérite et se mérite, pour peu que la patience devient rapidement votre allié, en toute circonstance, un périple étouffant au coeur des ténèbres, une lecture qui demande des reins solides, parlons-en des thématiques qui fusent telles que la résilience, le poids du passé, les blessures jamais cicatrisées, l'âme est cette chose intangible et dont la psyché ne saurait se dissocier, les ambitions des uns contrastent avec les rebondissements d'une écriture fort prometteuse, pour une première incursion dans le thriller, je salue l'audace de l'auteure à placer le lecteur dans une position inconfortable au possible, quand la proie se transforme en un prédateur et réciproquement, bonjour les étincelles, saisir l'air saturé mais surtout vicié, que l'on veuille ou pas en ressentir les effluves,
Lésions intimes nous fait goûter à l'indicible et la cour de récréation peut alors se transformer en un théâtre des enfers ...