Dans
Ma sombre Vanessa, le pédophile s'autoproclame éphébophile, mot rare dont la construction hellénique lui donne une connotation absconse, voire romantique et rend le personnage aussi inoffensif qu'un colombophile. Pourtant il est bien question dans ce roman de prédation, de manipulation, d'agression sexuelle, de viol perpétrés par un professeur de littérature quasi cinquantenaire et impuissant si on ne l'appelle pas « mon petit papa », sur l'une de ses élèves âgée de 15 ans. C'est Vanessa qui raconte son histoire à deux époques distinctes éloignées de 17 ans : celle de l'origine du mâle en 2000, puis celle en 2017, où une nouvelle proie a décidé de parler.
En 2000 donc, dans une école, le chasseur a reniflé dans le troupeau scolaire la chair fraîche de l'animal fragile, celui qui serait le plus facile à isoler pour le tuer. Auréolé de son âge, de sa prestance et de son autorité, équipé de sa culture, c'est pour lui un jeu d'enfants – ou plus exactement un jeu avec des enfants - de faire croire à cette adolescente qu'elle est "spéciale", d'une beauté à couper le souffle, un génie de l'écriture, et de mettre entre ses mains quelques romans ou poésies orientés pour masquer sa déviance sexuelle.
En 2017, la vie de Vanessa n'est en rien conforme aux prophéties menteuses faites par le pédophile pour atténuer ses crimes : non, il n'a pas été un homme rapidement oublié parmi beaucoup d'autres ; non, elle n'est ni mariée ni mère de famille ; non, elle n'est pas devenue un écrivain célèbre. Elle est vaguement concierge dans un hôtel, fume de l'herbe, boit beaucoup, couche avec des inconnus quand elle est bourrée, et son apparte ressemble à une déchetterie.
Vanessa est broyée, détruite à jamais, elle porte en elle une culpabilité que lui a savamment et pour toujours inoculé son agresseur, l'ayant persuadée grâce à un habile lavage de cerveau que jamais il « n'aurait osé » si elle n'avait été consentante, qu'il n'est pas responsable d'être follement tombé amoureux d'une fille aussi intelligente, aussi spéciale, dont les pouvoirs de séduction ont eu raison d'un homme intègre, raisonnable.
Ma sombre Vanessa raconte l'histoire d'une maltraitance aux fallacieuses allures d'amour, et rend hommage à toutes les Vanessa, petites soeurs de Dolores Haze. Un premier roman qui décortique implacablement les techniques d'encerclement utilisées par les chasseurs sexuels pour anesthésier leurs proies avant leur mise à mort mentale, lorsqu'elles ont assimilé qu'elles sont des victimes "consentantes", responsables de ce qui leur arrive. Eblouissant, à lire absolument.