Nous sommes en 1905, sous le règne d'Édouard VII. A dix-neuf ans, Sébastien est le cinquième duc de Chevron, l'héritier d'un titre et d'un domaine parmi les plus prestigieux en Angleterre. Viscéralement attaché à Chevron, il n'envisage pas alors d'autre voie que celle tracée par la société et les conventions : une maîtresse, un mariage, les chasses annuelles et les saisons à Londres. Lorsqu'il rencontre Leonard Anquetil, aventurier solitaire qui lui montre la vanité de son existence et lui propose de partir avec lui, Sébastien refuse, persuadé qu'il tient son destin entre ses mains, à Chevron, au milieu de ses pairs. Néanmoins, cette rencontre le marquera à tout jamais, comme sa soeur, Julia. Sébastien se laisse cependant entraîner dans le monde et devient l'amant de la meilleure amie de sa mère, Lady Roehampton.
Sébastien est le personnage central de ce roman, mais sa richesse vient aussi des autres personnages qui permettent de décrire cette époque de différents points de vue : bien sûr, Sébastien évolue dans la
haute-société londonienne où se mêlent ducs et duchesses, ambassadeurs, jeunes filles en fleurs et parfois le roi lui-même (le milieu de prédilection de
Vita Sackville-West), mais on suit aussi tour à tour les domestiques de Chevron, un couple des classes moyennes, le docteur John Spadding et sa femme Thérèse, ou encore Phil, la jeune maîtresse bohème de Sébastien… En quelques pages, avec son style toujours juste et élégant,
Vita Sackville-West nous entraîne dans un tourbillon, passant d'un personnage à l'autre et perçant d'un mot le secret des coeurs de chacun : l'importance pour Lady Roehampton de cette liaison, où luisent les derniers feux de sa jeunesse passée, l'admiration envieuse de la jeune Thérèse devant le grand monde, la confusion des sentiments de Sébastien face à Léonard Anquetil (et le choix de ces mots est justifié) ou encore la fierté toute maternelle de Lucy, la mère de Sébastien, de voir son fils se lancer dans le monde au bras d'une si belle femme ! le roman se termine sur une scène que j'ai trouvé magnifique par sa symbolique : Sébastien assiste au couronnement du nouveau roi George V : dans son carrosse tiré par huit chevaux et sa tenue solennelle de duc et pair du royaume, il se trouve ridiculement anachronique et cependant c'est là, dans Westminster Abbey, au son des Vivat !, alors que tout le poids de la tradition pèse sur ses épaules, que se joue son destin : « Il sentit la longue lignée de ses ancêtres se dresser autour de lui comme des fantômes, le montrant du doigt et lui disant qu'il n'y avait plus moyen de s'échapper. »
Cette période qui précéda la guerre est pour la
haute-société un vrai paradoxe : jamais le respect des conventions mondaines et des traditions familiales n'a été aussi fort – les titres, les alliances, les conversations, les entrées dans le monde, tout est corseté par un code de conduite extrêmement rigoureux, auxquelles sont notamment soumises les jeunes filles. Dans le même temps, une certaine décadence s'empare de cette même société : une fois le mariage passé, les liaisons extra-conjugales y sont encouragées comme remèdes aux mariages de convenance et instruments de plaisir autant pour les hommes que pour les femmes.
Cette nouvelle lecture de
Vita Sackville-West fut un enchantement. On y retrouve le ton irrévérencieux et souvent sarcastique de
Toute passion abolie, bien caché derrière la description des passions de cette période riche et foisonnante. Malgré cela,
Vita Sackville-West ne peut pas cacher complètement une certaine nostalgie pour cette société mondaine toute en contraste et c'est sans doute ce qui plut tant au public lors de sa parution en 1930. En tout cas, après avoir lu plusieurs de ses romans, on sent que l'auteur atteint ici une apogée dans la maîtrise de son sujet et c'est sans aucun doute le plus remarquablement bien construit et, osons-le, le plus chic.
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