"Un tison arraché aux flammes", porte le sous-titre " La communauté juive de Roumanie 1939–1947. Il s'agit de la traduction de l'anglais du livre de mémoires, "Resisting The Storm" avec une introduction par Jean Ancel. Il me semble significatif de rappeler la dédicace à Sarah l'épouse bien-aimée. À juste titre le rabbin rappelle le conseil d'un sage "il y a un temps pour le silence". Après l'horreur, il suit toutefois les conseils qui lui sont donnés et : "Le 11 mai 1977 [écrit-il] je fis une conférence sur la pensée juive à l'université de Haïfa. C'est le Pr. Bela Vago historiens réputé pour ses travaux concernant l'holocauste en Roumanie et en Hongrie qui m'accueillit. Quelques années auparavant il m'avait demandé de lui fournir des détails sur le stade final de la destruction de la communauté de Transylvanie du Nord. Il me montra ses travaux et insista pour que je lui confie la tâche de mettre au clair mes notes. Pour faciliter les choses et lui permettre d'avancer plus vite, il me demanda d'enregistrer au magnétophone mes souvenirs de la guerre de l'immédiat après-guerre" (p. 15).
"Dans ce livre, je n'ai pas tout dit. Il ne relate pas tous mes souvenirs du temps des persécutions. C'est surtout pour la période 1944-1947 que j'ai dû volontairement omettre beaucoup de choses à cause des Juifs vivant encore en Roumanie. [...] Je fus expulsé du pays et le Dr. Wilhelm Filderman, président de la Fédération des communautés, dut s'enfuir clandestinement." (p. 16)
Au moment de son élection comme rabbin de Roumanie, cette communauté comptait environ huit cent mille personnes et était la quatrième plus important au monde.
Ce n'est pas chose aisée que de résumer ce livre si grave de par son sujet mais si plein de foi et d'espoir en même temps. Dans son introduction, Jean Ancel retrace avec maestria les principales étapes historiques de cette communauté différemment traitée dans les quatre régions historiques de la Roumanie (Le Vieux Royaume ou le Regat, la Transylvanie, La Bessarabie et la Bukovine). Et de conclure : "Le résultat, c'est que personne n'essayait de prétendre que les Juifs roumains faisaient partie de la nation roumaine" (p.23)
Par certains aspects, comme notamment la récurrence du terme massacre, ce livre porte une charge insoutenable de douleur, mais il est exemplaire à plus d'un égard. L'infatigable rabbin put obtenir des vies sauvées, une à une parfois, grâce à sa ténacité et comme il le raconte dans ce passage, qu'il me soit permis de citer dans son intégralité :
"Les risques encourus étaient grands : d'abord, c'était un antisémitisme notoire, ensuite, il était à Sibiu, où je ne pouvais me rendre que clandestinement, en ma qualité d'otage. En outre, il y avait là-bas un important quartier général de la Gestapo, ce qui multipliait le danger d'être pris. Il ne nous restait qu'une possibilité, inconcevable en temps normal : envoyer un messager à Sibiu pour faire savoir au métropolite que je voulais le voir de toute urgence à Bucarest. Et l'incroyable se produisit… Ce même homme qui s'était toujours montré si distant à mon égard au Sénat, cet intime du maréchal Antonescu, qui avait accepté de sa main une charge refusée par le patriarche Nicodème, fit répondre au grand rabbin qui le rencontrerait à Bucarest, au domicile de ses parents, le général Vaitoianu, ancien Premier ministre… les portes qui semblaient si hermétiquement closes commençaient à s'ouvrir, un miracle était en train de se produire.
Au début de notre entretien, le métropolitain parut d'abord aussi froid que d'habitude. Je lui exposai la situation extrêmement critique dans laquelle se trouvaient les Juifs de Transylvanie du Sud, dont la déportation en Pologne n'était peut-être plus qu'une question d'heures. Il gardait un visage impassible. Alors je haussai le ton, je lui dis, lui criai presque qu'après notre mort nous nous retrouverions devant le Juge suprême et que je saurais lui rappeler, oui, je saurais lui rappeler la mort de ces dizaines de milliers de Juifs, de ces innocents dont il avait été responsable parce qu'ils habitaient son diocèse.
Sans doute surpris par la violence de mes paroles, il parut soudain troublé. Il se leva et se mit à marcher de long en large dans la pièce où nous nous trouvions. Un silence très lourd s'était établi. Brusquement, le métropolite se rassit et me regarda avec une grande intensité. Son visage parut s'adoucir. Il souleva le récepteur du téléphone posé près de lui, appela le bureau du maréchal Antonescu et dit qu'il demandait à être reçu immédiatement. le maréchal lui-même vint lui répondre et l'informa qu'il l'invitait à déjeuner ce jour-là. Voyant à quel point toute son attitude avait changé, j'insistai et racontai au métropolite un épisode affreux que Iuliu Maniu lui-même m'avait confié : quelques jours auparavant en descendant la rue Sfântul Ioan Nou, il avait entendu des cris déchirants s'échapper d'une maison. Il s'était arrêté pour demander ce qui se passait et on lui avait dit qu'il s'agissait de Juifs enfermés là et sur le point d'être déportés en Transnistrie. Maniu, cet homme si dur, s'en émut et tenta de faire annuler l'ordre, mais en vain. Vous, vous, dis-je au métropolite, vous pouvez faire quelque chose pour ces malheureux. Il faut appeler Mihai Antonescu. Deuxième miracle : Balan repris le téléphone parla du Premier ministre et lui demanda de s'occuper de cette affaire. Et les Juifs de la rue Sfântul Ioan Nou ne furent pas déportés...". (p.102-103)
Il n'y eut hélas, que peu de miracles et
Alexandre Safran n'eut de cesse d'intervenir pour les Juifs persécutés partout (Union soviétique, pays arabes, etc.).
Je clos en rappelant que sur
Alexandre Safran, on doit à l'universitaire roumain
Carol Iancu une excellente monographie, publiée en 2007 déjà par l'Université de Montpellier III, et intitulée Alexande Safran, Une vie de combat, un faisceau de lumière.