Cela démarre pied au plancher avec deux scènes hilarantes qui s'enchaînent . le narrateur, Jean, se retrouve à la piscine municipale, il a un maillot de bain en tissu, non réglementaire, et se voit contraint de s'en faire prêter un : il se débat avec un vert trop petit dans lequel il ne sait comment placer sa verge. Et quelques pages plus loin, il raconte la mort de sa mère dans un lit médicalisé abhorré, ses derniers mots ayant été LCI, sous le regard d'un Vladimir Poutine caressant un guépard dans un cadre du mur.
Et il faut dire que le roman est très très drôle car
Yasmina Reza a l'
art de saisir le ridicule qui sommeille en nous, de télescoper les univers jusqu'à un décalage souvent inattendu. le rire est féroce et joyeux. Notamment dans le formidable passage ( qui fera grincer des dents ) du voyage mémoriel à Auschwitz-Birkenau de la famille de Jean. Il fallait oser s'en prendre au totem de l'injonction au devoir de mémoire et choisir ce lieu comme celui où la fratrie va se confronter. Et pourtant, c'est d'une telle justesse de voir ces deux frères et cette soeur, sur les traces de leurs ancêtres hongrois assassinés, incapables de se montrer émotionnellement à la hauteur de la tragédie. Malgré l'empreinte de l'horreur absolue, ils sont à côté, ils ratent leur visite à Auschwitz, entre froideur et émotions feintes, entre Lara Fabian qui gueule à la radio du meilleur resto ( italien ) d' Oświęcim et touristes en tongs et perches à selfies qui se croient à Marbella. le narrateur n'y retient que sa soeur, pourtant en pleine recherche philosophique, a vieilli.
Ce n'est pas un livre sur des juifs même si la famille juive
Popper en est le coeur. C'est un livre sur la famille, le lieu de toutes les folies, de tous les conflits, de toutes les impatiences, c'est là qu'on se permet tout, bien plus qu'à l'extérieur où les rapports sociétaux sont plus policées. Et là, on est servi avec les
Popper ! Les dialogues sont brillants, ils crépitent, cinglants, d'une énergie folle.
Car cela peut-être une damnation d'être lié pour toujours à sa famille. Malgré le temps qui passe, on y garde son rang :
Serge, l'aîné, restera toujours l'aîné sous le regard de son petit frère Jean empli de dévotion alors qu'il est profondément exaspérant. Nana, la soeur, sera toujours la princesse qui a épousé un espagnol gauchiste sans le sou. L'acuité de
Yasmina Reza est d'une rare intelligence pour décrypter comment une même famille produit de grandes et petites choses qui ne vont pas être perçues de la même façon par ses membres.
C'est aussi un roman sur la mort. Après le voyage à Auschwitz, rien ne sera comme avant. Les disputes et éclats de voix continuent mais le roman se teinte de mélancolie voire de douceur. J'ai p
articulièrement apprécié le personnage de Lucas ( enfant introverti et étrange, ex-beau-fils de Jean ) qui apporte un autre regard sur l'autre et offre à l'effacé Jean de la profondeur et de l'âme.
Malgré quelques situations qui semblent un peu redondantes, malgré son côté de prime à bord bordélique, ce roman a une vitalité incroyable et semble rebondir dans tous les sens tout en suivant sa ligne. du grand tricotage assurément et un excellent moment de lecture.