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3,67

sur 1569 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je suis fan de la guerre d'Espagne !
Ca y est, elle est folle, allez-vous penser. Ou bien soit c'est une facho, soit c'est une communiste invétérée.
Bon, on se calme.

Je reprends :
J'adore la période de la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939. Oui.
En fait, les Espagnols de cette période m'émeuvent, du moins ceux qui ont été victimes de la folie franquiste. Ces yeux ardents, ces bouches désenchantées, ces dos ployés, ces corps vifs, ces voix rauques ou tues...tout me tourne vers ces hommes et ces femmes dressés malgré tout, malgré le malheur, malgré l'horreur.
Les champs brûlés par le soleil aux oliviers tordus, les immenses haciendas où règnent quelques riches pétris de rigidité, les pueblos aux rues étroites et aux maisons blanches, ces paysages me happent. Mais aussi ces villes aux milliers d'ouvriers gris et plombés par la faim.
L'enthousiasme fou du début de la guerre, la ferveur, puis la déception, suivie de l'atroce désillusion, et enfin, la peur. Unique, froide, tranchante. Les divisions entre amis, dans les familles, dans la politique. Les doutes et les traitrises. Et la Mort. Partout.

Lydia Salvayre a soulevé en moi une vague d'émotions, du sourire à l'horreur.
Le sourire, oui ! Car elle met en scène la parole de sa maman, Montse, témoin privilégié de la guerre civile. Sa maman qui avait 15 ans en 1936, et qui a vécu avec son frère José un moment de grand bonheur. Parce qu'il rêvait, José, oui, il rêvait, le pauvre. Il osait imaginer une vie nouvelle, où tous partageraient leurs biens, mais où le communisme stalinien n'aurait pas sa place. le bonheur, oui, mais pas dirigé, pas réglementé à la façon de Diego, le fils adoptif de la riche famille Burgos qui se veut d'une gauche organisée en se révoltant contre sa famille. L'excuse de José ? Il était jeune et ardent. Montse y a cru et a même eu un enfant d'un jeune homme semblable à son frère.
Mais les rêves sont faits pour être déçus, du moins lors de la guerra civil española, et le retour au village s'est fait bien amer. Montse va apprendre à composer, malgré tout, envers et contre tout, avec au coeur le souvenir éclatant de ce mois de juillet où l'Espoir l'embrasait.

Car Franco arrive, lentement, sûrement, inexorablement. Franco secondé par Mussolini, par Hitler (Ah...Guernica bombardée par la légion Condor!)...et par l'Eglise catholique, la Sainte Eglise Catholique, la « Putain des militaires épurateurs », qui semble avoir oublié le 5e commandement, qui bénit la tuerie, qui absout la torture perpétrée par les fascistes. Bernanos, dans « Les grands cimetières sous la lune », n'en peut plus de cette absolution au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Lydie le lit, Bernanos, elle le cite, elle le comprend.

La juxtaposition des voix, celle de Montse qui ne vit plus que dans le souvenir éclatant de juillet 36, inégalable et savoureuse, mêlant l'espagnol et le mauvais français, et celle de Bernanos pleine de dégoût et de stupéfaction, cette juxtaposition est reliée par les interventions compréhensives et tendres de l'auteure.

Ce n'est pas peu dire que j'ai adoré ce livre ! Mêlant souffle héroïque et intimité, euphorie et désespoir, courage et abnégation, il mérite amplement son prix Goncourt. Il offre une langue qui épouse la pensée de chacun, une langue vraie, naturelle, spontanée, qui fait frissonner et languir, qui exalte, qui fait aimer l'Espagne, son passé et son présent, sa terre, ses gens.

¡Ay! ¡Dios mío! ¡Qué me gusta este país!
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Pas pleurer est une rencontre marquante et nécessaire entre l'auteure, Lydie Salvayre, et sa maman surnommée Montse, nonagénaire souffrant de sérieux troubles de la mémoire.

Pas pleurer, l'injonction que l'on s'impose lorsque, témoin d'un récit brûlant d'émotion racontée par une personne aimée, malade et âgée, on espère en retenir le moindre détail, avant qu'il ne soit trop tard ! On espère retenir ses larmes pour ne pas alourdir l'atmosphère, pour ne pas troubler l'attention. On espère avoir trouvé une idée de conversation idéale pour rallumer la flamme et susciter l'intérêt.

Montse se souvient avec une précision d'horloger de cet été 1936. Juste cet été 36. Nous sommes en Espagne au moment de l'insurrection républicaine face au fascisme de Franco. Montse a quinze ans. Les joies et les malheurs se mêlent étrangement pour en faire l'année la plus intense de sa vie. L'aventure incroyable de son existence ! Une aventure inespérée.

La lutte sanglante entre communistes, anarchistes, socialistes, républicains modérés et les forces militaires à la solde de la dictature franquiste soutenue par l'église , Montse qualifiée de « Mauvaise pauvre » a tout gommé de sa mémoire. Elle n'a gardé en tête que « les jours enchantés de l'insurrection libertaire » qui servit de préambule à cette guerre.

Et c'est sur un ton enjoué qu'elle reconstruit sa vie, son frère bien aimé Josep l'anarchiste, Diego « le bâtard » communiste, ses parents, son mariage, sa vie, ses enfants, ses actions et ses actes manqués.
Ses phrases sont musicales. L'actrice d'un été sort soudain de l'ombre et s'applique à donner sa version des faits avec une légèreté confondante. Sa mémoire n'a retenu que ce qui pouvait l'enthousiasmer, la porter, lui faire un dernier plaisir, évacuant tout le reste d'un coup de baguette magique.

Une voix lui fait écho. Celle de Lydie Salvayre sa fille. Une voix grondant les mots pour raconter les conditions de vie de milliers de gens qui voulaient juste améliorer leur situation sans perdre le peu qu'ils avaient. Une voix criant les familles déchirées. Une voix calée dans l'Histoire. Une voix violente et radicale sans concession comme le fût cette guerre civile espagnole. Une voix miroir qui dénonce l'Italie de Mussolini, l'Allemagne d'Hitler une sorte de ménage à trois avec l'Espagne de Franco. Une voix injurieuse, ravageuse, insultante.


Et comme si elle voulait marteler son amertume, pour qu'elle devienne indélébile, l'auteure saupoudre son récit de passages écrits par Georges Bernanos dans « Les grands cimetières sous la lune ». Georges Bernanos d'abord sympathisant du mouvement franquiste, fervent catholique, devient le témoin horrifié du massacre des innocents de Palma de Majorque. Il dénonce « L'infâme connivence de l'église espagnole et des militaires épurant systématiquement les suspects ».Tout l'incitait à soutenir les nationaux. Il était pour, il devient contre. Il est choqué, anéanti, révolté par la barbarie. Une voix sobre, libre, courageuse, dotée d'un vocabulaire riche, précis. Un témoignage accablant écrit avec de belles lettres.

J'ai aimé lire ce récit, ce prix Goncourt. L'idée de voix se faisant écho est intéressante et donne en même temps de la profondeur et du relief à cette histoire au rythme fou, à la musique savamment orchestrée. le changement de personnages, changement de profil, changement de parcours à intervalle régulier offre une sonorité particulière, un peu comme un refrain. Il y a des passages sublimes, où le diable en personne a infusé ce qu'il faut de miel pour donner l'illusion d'une jolie histoire, explosive et jolie, jamais triste. Oserais-je comparer certains passages à un morceau de rap ?
Je parle de refrain. Quant au caractère mélodieux il est un peu gommé (à mon avis) à de multiples reprises par les multiples injures, mots orduriers et blasphèmes en français, en espagnol qui égrainent les propos de l'auteure. Est-il nécessaire d'aller jusque-là ? S'agit-il d'une plus-value ? rien n'est moins sûr même si Lydie Salvayre affirme dans une interview que la langue espagnole accepte le mauvais goût. Non, Je ne suis pas sure !

Montsé parle un français approximatif que sa fille nomme le « Frangnol ». (griter pour crier. Riquesses pour richesse, maraveilleuses etc) je trouve le trait un peu forcé pour une femme qui vit en France depuis 1939. Ce n'est pas crédible mais je reconnais que cela ajoute au rythme et à la légèreté de certains passages. Pauvre Montse ! elle est affublée tout de même…

Enfin la répétition à l'envi des adverbes qui est visiblement une figure de style de l'auteure aurait été plus harmonieuse (toujours selon moi) si elle avait été moins fréquente. le trop est l'ennemi du bien.
Je pinaille, je pinaille. Pas pleurer. Un très beau roman. Emouvant, original, éloquent, turbulent ;
Allons donc ! J'ai beaucoup aimé ce livre. Et si vous ne l'avez pas encore fait. Précipitez-vous, vraiment !
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Voilà la très bonne surprise .
Quand certains disent que le Goncourt ne sers à rien ils on tort .
Cet opus est une magnifique leçon d'histoire , au coeur d'une époque troublée qui annonçait le pire pour l'humanité .
L'auteur fait vivre avec brio ces personnages , n'oubliant pas la profondeur de ceux ci .
Le style est puissant , fougueux et vivant .
Le récit est parfaitement maitrisé , on ne s'ennuie pas une seconde .
C'est une oeuvre forte , prenante , qui mérite trés largement d'être sur le devant de la scène .
A découvrir absolument !
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Vivre pour des idées
Il était à Teruel et à Guadalajara
Madrid aussi le vit
Au fond du Guadarrama
Qui a gagné, qui a perdu ?
Nul ne le sait, nul ne l'a su
Qui s'en souvient encore ?
Faudrait le demander aux mort
Leny Escusdero

Pas pleurer est un roman de coeur fort et beau, un texte à la fois sensible et violent. Il donne une nouvelle profondeur à la guerre civile Espagnole.
Quand l'histoire révèle ses bas instincts, l'oppression des plus faibles, la férocité des lâches ...
Les idées révolutionnaires arrivent et bousculent l'ordre des choses : Apprendre que l'on peut refuser, que l'on peut dire non !
Car elles percutent un monde immuablement rythmé par les saisons et les récoltes :
"Un village où les choses infiniment se répètent à l'identique, les riches dans leur faste, les pauvres dans leur faix, où la destinée de chacun est notifiée dès la naissance ! un monde "lent, lent, lent comme le pas des mules", un monde où les pères imposent leur autorité "à coup de ceinturon".
« C'est comme ça et pas autrement"

La mémoire, la transmission c'est ce qu'il reste quand les événements sont passés, quand ces évènements ont bouleversé des vies. Quand la mémoire vacille, « la mettre en sureté » et se souvenir !
Se souvenir d'une jeunesse perdue et de cet « été radieux » à 15 ans en 1936.
Elle va raconter, Montse, qui est maintenant une vieille dame, transmettre à sa fille la seule année épargnée de sa mémoire ! On est en Espagne, la guerre civile est sur le point d ‘éclater.
Lydie Salvayre narre ce que sa propre mère lui raconte
La petite histoire dans la grande.
« Je l'écoute remuer les cendres de sa jeunesse »
Celle où emportée par la ferveur libertaire, elle quitte avec son frère Josep, anarchiste, ses parents, son village. Ils vont rejoindre à Barcelone les révolutionnaires venus de l'Europe entière, basculer dans un autre temps, pour changer le monde.
le fougueux Josep au coeur pur qui s'enflamme pour des rêves utopiques : il apprend à lever le poing et chanter Hijos del Pueblo
Mais très vite il a conscience que son engagement dans les milices est vain il comprend que ces jeunes Don Quichotte de 18 ans partent au combat « chaussés de pauvres espadrilles » et ne connaissent rien de l'atroce sauvagerie de la guerre.Il sont ignorants en matière militaire. Ils partent au front pour se faire massacrer.
Il sait que « l'esprit ne vainc pas la matière »
Il se demande à présent ce qu'il fout là
Et il veut vivre !

Son rival Diego, animé d'une volonté de contrôle sur les événements prend le pouvoir du village et ironie du sort va épouser sa soeur Montse

L'autre vision, celle de Georges Bernanos catholique fervent, pro franquiste, écoeuré par la répression sous l'oeil complaisant de l'Eglise. Il dénoncera cette barbarie, "les petits arrangements avec le ciel espagnol qui blanchit les crimes commis contre les rouges, Comme si de rien n'était !
Toute l'Europe catholique « ferme sa gueule »

Elle raconte, Montse….
Avec l'âge, la langue maternelle reprend ses droits et le récit de Montse n'y échappe pas Lorsque les sentiments sont trop forts, alors elle parle espagnol et au lecteur de se débrouiller … mais on ne peut que lui pardonner et s'imprégner de la puissance de ces souvenirs.

Pour ne pas pleurer lorsqu'on se fait traiter de mauvaise pauvre avec « l'air bien modeste »
alors « on ouvre sa gueule »
Car elle parle ainsi cette vieille dame de 90 ans
Elle parle cru ! Comme les enfants, elle prend plaisir à dire des grossièretés !
C'est une revanche sur une vie cadenassée dans une famille puritaine, persuadée que toutes les épouses devaient la boucler, que tous les pères de famille étaient autorisés à cogner femme et enfants parfaitement dressée à obéir et se soumettre
Alors elle se lâche !
Elle récupère cette liberté !

J'ai aimé recueillir le témoignage de cette époque
Dans toute sa force, entre brutalité et finesse
partagé la vie d'une femme pendant l'été 36
Son histoire familiale, sa langue !....
Un roman intime et bouleversant

Merci Judith pour ce conseil !
Rum Bala rum ba la El paso del Ebro

Et ce titre « pas pleurer » me suggère :
Pas pleurer pour l'Haïtien, le Palestinien, l'Ukrainien
Pas pleurer pour une enfance saccagée, une femme violentée
Pas pleurer pour l'immigré, l'opprimé, le discriminé

Toujours, toujours et encore, chercher la petite lumière de l'espoir !
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J'ai adoré ce récit où il est question de la guerre civile espagnole, alors je ne vais pas être objective.
Montserrat, 90 ans, raconte à sa fille -la narratrice- le plus beau souvenir de son existence : ce mois d'Août 1936 où, avec son frère aîné, elle a quitté son village de misère pour découvrir la vie et l'amour dans un Barcelone anarchisé par les Républicains. Elle raconte aussi ce frère magnifique, qui a tenté de révolutionner leur village avec ses folles idées libertaires. Elle raconte encore André, ce Français engagé dans les Brigades Internationales qui se voyait déjà écrivain. Et pendant que sa mère se souvient, la narratrice songe à Georges Bernanos, pro-franquiste séjournant alors à Majorque et qui, écoeuré par les exactions des phalangistes soutenus par l'Eglise espagnole, finit par écrire "Les grands cimetières sous la lune" pour les dénoncer tous et continuer à se regarder dans un miroir.
Dans la langue truculente de Montserrat, fantasque sabir franco-espagnol, c'est toute l'ivresse de l'espoir rouge et noir qui reprend vie, et c'est fabuleux. Mais on réalise aussi combien ce rêve fou ne pouvait qu'être anéanti par "le besoin qu'ont les hommes de décrier les choses les plus belles et de les avilir." En cela, j'ai bien aimé le parallèle fait entre le témoignage de Montserrat et l'évolution intellectuelle de Bernanos.
Nul besoin d'être féru d'Histoire pour lire ce roman : l'auteur recontextualise les choses de façon élégante et avec une redoutable efficacité -la grande classe ! Lydie Salvayre parle d'amour, d'idéaux, de guerre et de littérature. le style est percutant mais doux, et zébré d'humour rageur. C'est un pur régal.
Ne passez pas à côté.
Rum balbum balabum bam bam.
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Lors de l'attribution du Goncourt à Lydie Salvayre, je pensais faire l'impasse sur ce roman pour trois raison :
-J'ai lu quelques romans de l'auteure sans y prendre le moindre plaisir.
- La guerre civile Espagnole ne m'intéresse pas, je n'y comprends rien.
- de plus dans cet opus, il est question de Bernanos, alors là impossible, je l'ai toujours considéré comme le plus puissant des soporifiques !
Seulement voilà, j'ai emprunté, je ne sais pourquoi, ce livre à la Médiathèque et j'ai été envoutée, émue aux larmes, subjuguée par la beauté de ce texte. Lydie Salvayre rend d'une façon magistrale un hommage à sa mère. Cette femme, jeune Catalane en exil est arrivée seule en France à l'adolescence, elle n'a jamais pleuré et l'interdit à sa fille.
Cette mère parle un français de guingois, une langue baroque truffée d'hispanismes et de mots inventés. Lydie considèrera longtemps la langue de son enfance comme un handicap et n'aura de cesse de cultiver à l'école et avec les livres « la belle langue ». Devenue adulte, elle comprend que cette langue française tant admirée et celle de ses parents ne vont pas l'une sans l'autre et font sa force. Montse, la mère de la narratrice, nous donne à entendre cette langue maternelle extraordinaire et sa manière de rafraîchir le français. Un délice à la lecture.
Hommage à la mère, mais également hommage à Georges Bernanos, l'écrivain des Grands cimetières sous la lune dénonçant les répressions franquistes.
La langue bancale mais envoûtante de la mère dialogue avec celle de l'auteure pour raconter ce court moment où les anarchistes prirent le pouvoir en Espagne en août 1936. Témoins de cette période tragique de l'Histoire, ils nous la content chacun à leur manière et à leur tour. S'entrelacent ainsi le texte de Bernanos, que la narratrice feint de lire, et la parole de la mère, longtemps retenue, qui raconte, soixante-quinze ans plus tard, ces trois mois d'euphorie qui la marquèrent à jamais.
J'ai ouvert ce livre ouvert à 3 heures du matin lors d'un nuit d'insomnie et d'angoisse, il m'a emmené jusqu'au matin. Je l'ai lu d'une traite et j'ai laissé passer une journée entière pour reprendre mon souffle et passer à autre chose.
Ici, le mot « chef d'oeuvre » prend à mon sens toute sa signification.

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Quoi de pire qu'une guerre civile, où l'ennemi est l'ami d'enfance, le voisin, le frère ? Quoi de plus troublant que cette Guerre d'Espagne racontée à travers les souvenirs de sa mère et « Les Grands Cimetières sous la lune » de Bernanos ?

On y trouve les grands espoirs, l'euphorie de la jeunesse qui aspire à changer les choses, à instaurer un monde meilleur où les paysans pourraient accéder à l'instruction, à la propriété, à la dignité. On y rencontre l'exaltation de la liberté et de l'amour…

On y dénonce toutes les dérives du dogmatisme politique, les Phalanges qui sèment la terreur et assassinent sans pitié tous ceux qui sont soupçonnés d'avoir des pensées rouges, l'Église qui pardonne ces exécutions, les communistes prêts à sacrifier tous ceux qui ne suivent pas la ligne du parti.

On y voit aussi José, le jeune libertaire qui ne comprend pas que ses camarades puissent se vanter d'avoir « tué des hommes comme on le fait des rats, sans en éprouver le moindre remords ». Comment concilier l'idéal de liberté et de fraternité avec le meurtre de ses compatriotes ?

Le texte est parfois émaillé de mots espagnols ce qui en gêne la fluidité pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Cervantès, mais c'est surtout un roman aux émotions fortes, un récit lourd d'une époque insensée.
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La guerre civile espagnole vécue bien différemment par deux personnages : Montse, mère de la narratrice, exilée en France, et George Bernanos depuis palma de Majorqua. Ces deux récits complémentaires i donnent une idée (vague tout de même) de ce que fut cette terrible guerre fratricide. Les années 1936 et 1937 sont pour Montse, fille de paysans pauvres , l'occasion de découvrir la vie hors de sa campagne, comme flottant dans un rêve, à tel point que le lecteur peut se demander ce qu'elle réalise exactement de cette période terrible de l'histoire de l'Espagne. Telle une marionnette dont on tire les fils, elle est guidée par ses parents, puis par son frère, et enfin par la famille de son mari, et seul le recul que permettent les années lui donne une vision de ce que pouvait être la société espagnole de ces années difficiles. Société perturbée à l'extrême , et ce depuis des générations, et bien avant que n'éclate la guerre.
La partie dédiée purement à la guerre civile est présentée, ce qui en fait un roman à deux voix, à travers les pensées George Bernanos, qui soutient le franquisme avant que n'éclate la guerre et qui découvre l'horreur, la haine, la mort, les exactions et qui écrira « les grands cimetières sous la lune », pamphlet anti-franquiste.
Cet écrit fut par certains aspects, un véritable délice, principalement lors de la lecture du témoignage de Montse, qui, exilée en France, pratique un français truffé de mots espagnols francisés, ce que je trouve délicieux. En revanche, j'ai passé de bon moments à me mettre à la place des personnes qui, ne connaissant pas l'espagnol, ont pu ne pas percevoir l'état d'esprit des personnages, la vision du catholicisme des républicains, le tempérament espagnol, car des passages entiers sont rédigés en espagnol. Je ne suis même pas certaine que des notes de bas de page résoudrait la question tant ces passages peuvent révéler un état d'esprit purement espagnol.
Ce ouvrage fut également pour moi une petite piqure de rappel quant à la guerre civile, à la dictature de Franco, à l'attitude sordide des évêques catholiques sur lesquels je n'insisterai pas de peur de faire passer des idées déjà bien ancrées sur la question. Je ne peux tout de même pas m'empêcher de signaler que l'un des évêques, fidèle de Franco, canonisé par le pape il y a quelques années.
J'ajouterai que ce roman s'arrête trop vite, j'aurais aimé connaître les circonstances de l'exil de Montse qui comme la grande majorité des républicains, fut obligée de chercher refuge en France. Cela aurait constitué une documentation supplémentaire pour le lecteur, toutefois, la n'était pas l'objectif de Lydie Salvaire qui raconte son histoire, l'histoire des siens dans un certain contexte, celui dans lequel ils avaient évolué. Certains personnage peuvent apparaître caricaturaux, mais avant de l'affirmer, il faut avoir une idée de ce qu'est la pratique religieuse en Espagne, et son contraire, pieux à l'extrême ou blasphématoire à l'extrême (ce qui peut expliquer que certains passages en espagnol ne soient pas traduits) , indifférent ou vouant sa vie au militantisme, il faut ce faire une idée, (sans toutefois généraliser, de ce que peut être le machisme, de ce qu'était la vie de paysans ne sachant que signer d'une croix, un contrat de mariage rédigé par le notable du village, de ce qu'était la vie de ces paysans attachés au lopin de terre qu'ils cultivaient et dominé par quelque Seigneur moderne qui leur avaient inculqué des principes immuables.
Ce roman soulève un certain nombre de questions relatives à l'histoire de l'Espagne fournit une mine d'informations ponctuelles qui donnent envie de continuer à se documenter.

Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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Si avec l'âge la mémoire de Montse peu à peu s'efface, il est un souvenir qui reste toujours vivace dans sa tête et dans son coeur. Celui de l'été de ses 15 ans, en juillet 1936. Cette année-là, un vent de liberté soufflait sur l'Espagne, Montse quittait son village avec son frère José, Barcelone était en pleine effervescence et Georges Bernanos, installé aux Baléares, observait les prémices de la guerre civile. Car l'euphorie dans les rues, les cafés, et même les campagnes, ne dura qu'un temps. Que le peuple gouverne, qu'il se révolte contre les nantis, les propriétaires terriens, voilà une idée déplaisante pour les classes dominantes, les militaires et le clergé. Tandis que Bernanos est scandalisé par les exactions des franquistes qui assassinent à tout va ceux qui ne partagent pas leurs idées avec la bénédiction de l'Eglise catholique, dans les rangs républicains on se déchire entre partisans du PC, du POUM et anarchistes, en tuant quelques curés au passage. Montse, elle, rentre au village, lourde d'une après-midi d'amour fou dans les bras d'un poète français engagé dans les Brigades internationales. Sa mère entreprend alors de la marier avec Diego, le fils du ''seigneur'' du village, l'ennemi juré de son frère José qui ne voit en lui qu'un gosse de riche malgré sa carte du PCE.


Hymne à la vie, à l'espoir, à la liberté, Pas pleurer est aussi un hommage de Lydie SALVAYRE à sa mère, une trace de son histoire, avant que tous les souvenirs ne s'éteignent. C'est un récit joyeux, plein d'allant, écrit dans une langue colorée, le fragnol, mélange incertain de français et d'espagnol. Par la voix de la jeune et rebelle Montse, c'est tout un pan de la guerre d'Espagne qui se déroule, les camps qui s'opposent, les luttes fratricides, les partisans du renouveau contre ceux de l'immobilisme. Si le coeur de l'auteure bat évidemment pour les Républicains, elle a voulu, par souci d'objectivité, mêler au récit de sa mère, les descriptions du conflit par Bernanos, connu pour ses positions fascisantes. Mais l'homme s'insurge lui aussi contre les atteintes à l'encontre des libertés élémentaires, ceux qui ne se rallient pas à Franco, ceux qui osent une pensée contradictoire sont exécutés sous l'oeil bienveillant du clergé espagnol qu'il critique violemment.
Malgré toute la cruauté des faits, les morts, les trahisons, l'humiliation de la défaite, l'exil, les mots de Montse sont teintés des couleurs de la jeunesse et de la liesse de son si bel été 36. On découvre avec Lydie SALVAYRE qu'une mère peut cacher bien des secrets, qu'elle aussi a eu 15 ans, qu'elle s'est révoltée, qu'elle a aimé avec fougue. Un très bel hommage, à la fois drôle et émouvant, un Goncourt bien mérité.
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Dramatique mais aussi émouvante mise en scène de l'évolution des conceptions et des sentiments.

Pourquoi n'avais-je pas lu ce livre avant ? Peut-être parce que c'était un Goncourt et que je doute parfois de ce prix ou trouve qu'il ne reflète que rarement mes goûts de lecture. Mais les billets de certaines babélionautes - suivez mon regard vers Patoux66 - ont éveillé ma curiosité. Et me voilà refermant le prix Goncourt De 2014 avec cette leçon ‘'ne pas rester sur des a priori, réviser toujours et encore son jugement littéraire ». Et comme tant de bons billets ont déjà été écrits et lus, je vais rester succincte et relever quelques citations que je tiens à conserver.

Lydie Salvayre, à travers les souvenirs fragmentaires recueillis auprès de sa mère, dresse en 2010 le portrait d'une époque peu connue ailleurs que par les habitants du pays même, à savoir l'histoire de l'Espagne autour des années 1936. Cette mère qui souffre pourtant de la maladie d'Alzheimer, arrive encore à transmettre le vécu des espagnols durant cette époque. En parallèle, l'autrice choisit de convoquer quelques excellents écrits de Georges Bernanos.
L'ensemble apporte un éclairage que je qualifierais de « global » des horreurs de l'époque. Les livres d'histoire condensent en parlant d'un ‘'Conflit qui opposa de 1936 à 1939 le gouvernement républicain espagnol de Front populaire à une insurrection militaire et nationaliste dirigée par le général Franco''.

L'insurrection libertaire contre le fascisme et l'enthousiasme de la classe populaire en 1936, eux-même suivis par le désarroi et la déconfiture politique de 1937 sont palpables dans ce roman.
De 2010 on se retrouve en 1936 dans un petit village où s'affrontent de trop nombreux courants : franquistes mais aussi libertaires, républicains et communistes. Aussi petit soit ce village, aussi fortes sont les convictions de chacun et donc l'acharnement à se détruire les uns les autres.
J'ai apprécié le ton vif et les traits d'humour dont use à bon escient l'autrice ; les faits étaient pourtant dramatiques.

Durant ma lecture j'ai davantage appris sur Georges Bernanos qu'à travers les livres qu'on nous imposait durant notre scolarité. Son émotion et sa fougue sont habillement mélangées à ceux de la mère de l'autrice. Au début on est un peu déstabilisé par le parlé plein d'hispanismes de la mamie, mais on finit par plus ou moins décoder les locutions espagnoles. A ceci se superpose le style académique des écrits d'un Bernanos monarchiste, catholique et traditionaliste. Sous la plume de cette grande écrivaine, l'effet est réussi.
Un tango de styles qui sied à merveille à une période de l'histoire qui fut lourde à vivre et à porter par l'Espagne mais qui, grâce la plume de Lydie Salvayre, restera dans ma mémoire.

Citations :
« L'épiscopat espagnol n'a cessé au long des siècles de trahir, de dévoyer et de défigurer le message christique en se détournant des pauvres au profit d'une poignée de "canailles dorées". L'Eglise espagnole est devenue l'Eglise des nantis, l'Eglise des puissants, l'Eglise des titrés. Et ce dévoiement et cette trahison ont atteint un sommet en 1936 lorsque les prêtres espagnols, de mèches avec les meurtriers franquistes, ont tendu leur crucifix aux pauvres mal-pensants pour qu'ils le baisent une dernière fois avant d'être expédiés ad patres. Pour l'exemple. »
« Ils disent qu'ils savent à présent où mettre leur courage. Ils disent qu'ils ne supporteront plus de laisser leurs désirs à la porte d'eux-mêmes, como un paraguas en un pasillo. Que leur père se foute bien ça dans le crâne ! Finies les peurs et les abdications ! »
« Bernanos découvrait, le coeur défait, que lorsque la peur gouverne, lorsque les mots sont épouvantés, lorsque les émotions sont sous surveillance, un calme, hurlant, immobile s'installe, dont les maîtres du moment se félicitent. »
Parlant de sa mère « Je l'écoute me dire ses souvenirs que la lecture parallèle de Bernanos assombrit et complète. Et j'essaie de déchiffrer les raisons du trouble que ces deux récits lèvent en moi, un trouble dont je crains qu'il ne m'entraîne là où je n'avais nullement l'intention d'aller. Pour être plus précise, je sens, à leur évocation, se glisser en moi par des écluses ignorées des sentiments contradictoires et pour tout dire assez confus. »
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