J'ai peur de dire des banalités sur ce livre couronné par la plus prestigieuse distinction littéraire française, car il me semble que tout ce que je vais
écrire a déjà été entendu ou lu dans la presse et la blogosphère.
Une femme élue, c'est assez rare pour le souligner :
Lydie Salvayre est, selon mes comptes, la onzième après
Elsa Triolet,
Béatrix Beck,
Simone de Beauvoir,
Anna Langfus,
Edmonde Charles-Roux,
Antonine Maillet,
Marguerite Duras,
Pascale Roze,
Paule Constant,
Marie NDiaye. Un prix que l'ensemble de l'oeuvre semble justifier, alors que
Pas pleurer n'est pas sa meilleure réussite, mais je n'en jugerai pas pour n'avoir lu que lui.
C'est un bon livre, avec des thèmes de choix. Histoire de la mère affectionnée Montse (pour Montsita) sur fond de la guerre civile espagnole, ennoblie des tourments de
Bernanos à Palma de Majorque, qu'épouvantent les exactions des nationalistes bénies des évêques : "L'été radieux de ma mère, l'année lugubre de
Bernanos dont le souvenir resta planté dans sa mémoire comme un couteau à ouvrir les yeux : deux scènes d'
une même histoire, deux expériences, deux visions qui depuis quelques mois sont entrées dans mes nuits et mes jours, où, lentement, elles infusent." L'été radieux de Montse, c'est
une brève liaison avec un Français qui lui offrira le souvenir impérissable de toute
une vie. La villageoise, éblouie par la ville et
l'amour, éprouva
une joie qui la soulevait de terre como si tuviera pájaros en el pecho, comme si elle avait des oiseaux dans la poitrine. Elle en revint seule et enceinte de la demi-soeur de Lydie.
Salvayre allègue
Bernanos, alors occupé à élaborer "
Les grands cimetières sous la lune", pour, sans mâcher les mots, dénoncer l'église espagnole qui tapinait avec les militaires, tandis que toute l'Europe catholique ferme sa gueule. Elle adopte aussi
une forme d'engagement en écrivant, à l'évocation du goût des hommes d'argent pour la corruption : "...mon intérêt passionné pour les récits de ma mère et celui de
Bernanos tient pour l'essentiel aux échos qu'ils éveillent dans ma vie d'aujourd'hui."
Contrairement à ce que certaines critiques reprochent, je n'ai pas trouvé que l'auteure propose
une vision simplifiée de cette guerre compliquée, bien qu'elle condamne avant tout le clan franquiste. À juste titre, semble-t-il, puisque les historiens ne renvoient pas dos à dos les deux camps et des charniers de la Terreur blanche sont encore découverts de nos jours en terre d'Espagne.
La langue espagnole est au coeur du roman, parce que cette fille de républicains tient à sa langue maternelle, avec son baroque, sa «charge», son «mauvais goût» – celui qui s'assume – qu'elle estime trop négligés par la littérature française, son beau parler et son classicisme. Elle explique très bien cela dans
une interview lors de l'excellente émission "Des mots de minuit". Ceci dit, les nombreuses phrases en version originale malheureusement non traduites (l'épigraphe non plus, merci l'éditeur) irriteront sans doute le lecteur non bilingue, –
Bernard Pivot a lui-même souligné ce point – tandis que le fragnol, mélange des deux langues du parler de Montse, est compréhensible, délicieux et comique.
Autant la première partie du livre est très «espagnole», bousculée, vivante, presque désordonnée, autant l'auteur «s'assagit» ensuite pour se livrer à
une narration des plus classiques, menant soigneusement le récit à son terme. D'où
une impression générale d'asymétrie qui m'a un peu surpris.
J'aurais sans doute préféré être surpris par le scénario lui-même, l'histoire de maman Montse loin d'être banale ne m'a pas transporté, mais le roman est original, audacieux et, tour de force de l'écrivaine, c'est un livre joyeux, jubilatoire, malgré la gravité des sujets.
Curieusement, "
La compagnie des spectres" avait reçu en 1997 l'anti-Goncourt, le prix Novembre (alias prix Décembre).
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