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EAN : 9782718609706
120 pages
Galilée (01/04/2018)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Présentation des Editions Galilée (4e de couverture)

« Une nuit est tombée dans un livre.

Nuit d’automne, pluvieuse, brumeuse, sinueuse, tortueuse, anguleuse, étrangleuse.

Je ne vis pas, je me regarde simuler : regarde, cher miroir, c’est lui, le « Je » du début de cette phrase, oui, regarde, c’est bien lui que je dois duper…

Nuit de réflexion, rêveuse, douteuse, questionneuse, ensorceleuse, hasardeuse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Dès le titre le lecteur entre dans les dimensions spatiale, temporelle et événementielle qui vont parcourir l'intégralité du livre. Là indiquant un lieu indéterminé (pas de descriptions) ; la nuit indiquant la temporalité (une temporalité à la fois intervalle entre les jours mais aussi néant ou éternité, voire éternité du néant) et le mot « tombe » considéré d'une part en tant que verbe indiquant l'achèvement du jour, d'autre part, en filigrane, en tant que substantif (il s'agit de la tombe d'un être cher).
Ce livre, lié aux précédents (au détour d'une page on y trouve une citation extraite de Ombres à n dimensions) s'impose au regard par une intense recherche formelle où l'énoncé fusionne avec la forme du signifié. le poète, en véritable architecte des mots, pose un regard lucide sur les diverses manifestations de la mélancolie à travers une suite de poèmes qui se développe au cours de la traversée de lieux transitoires - et de transit : rues, gare etc. - dont l'atmosphère trouve un écho au paysage intérieur du narrateur, et s'intensifie dans le lieu où l'on revient (son bureau) au cours d'une nuit d'automne divisée avec une rigueur mathématique (7 séquences d'une durée de 1h53 chacune, excepté la dernière à laquelle il manque une minute soulignant ainsi l'inachèvement, l'infini auquel s'oppose la finitude de l'être). Une suite qui donne l'impression d'un long poème dont les fragments se répètent à l'infini et qui résonne tel un « Un sanglot monotone envoûtant inquiétant » exprimé de manière tant picturale que musicale.
Là où la nuit / tombe s'ouvre sur deux vers, deux alexandrins, une phrase sans fin écrite en mode mineur : « Sous la forme l'absence s'enfle et vient le soir/ et l'azur épuisé jusqu'au bout du miroir… » dont les lettres vont s'égrainer une à une au fil des pages jusqu'au dernier poème. Ces deux vers sont les premières notes d'un bref prélude (la première séquence) qui annonce le thème principal de l'oeuvre, le temps, perçu dans toute son ambiguïté : à la fois mouvement et immobilité, fuite et lenteur : « trop rapide est la vie trop lent l'instant ».
Suit un nocturne où, plutôt que de décrire les multiples états de la mélancolie, Stéphane Sangral réussit à dire l'indicible en le faisant éprouver par le lecteur. le monde est un décor qui se dessine en creux, la pluie ruissèle avec les mots sur une fresque ténébreuse où la beauté ne se laisse qu'entrevoir. Outre l'utilisation massive de toutes les ressources typographiques qu'il n'hésite pas à détourner pour en faire un usage pictural, le poète travaille autant le sens (souvent pluriel) des mots que leur matière, nous donnant à lire tantôt des poèmes aux allures régulières tantôt des calligrammes - ou assimilés – ainsi que des textes déchirés, éclatés, imbriqués, juxtaposés, accolés, des poèmes en miroirs, à regarder autant dans leur verticalité que dans leur horizontalité, des poèmes étouffés qui se terminent par quelques lettres, voire par le vide oppressant du silence.
Ainsi, dans la deuxième séquence, un poème lyrique aux rimes embrassées, expose le thème de l'absence dans un chant dont l'apparente harmonie va se rompre dès la page suivante sur laquelle le poème prend la forme d'une fenêtre ouverte sur la nuit dont le cadre est constitué par la répétition du titre et dont la vitre reflète le questionnement du poète. Mais la vitre-miroir bientôt ne reflète plus rien (la mort dérobe le reflet) et vole en éclats comme les mots du poème.
S'ensuivent les thèmes de l'illusion, de la lassitude, de l'ennui, de l'exil, du néant, de la vérité etc. qui reviennent comme des leitmotivs dans une pensée qui tourne en rond et des poèmes qui se bouclent sur eux-mêmes puisque rien ne semble avoir de sens.
Le poème On est un soir d'automne… donne une impression de régularité, une vague harmonie due à la répétition des mêmes mots en fin de vers qui aboutit à la page suivante à un poignant aveu, un cri de douleur : « Je Pense A Toi Toi Qui N'Es Plus ». L'introduction massive des majuscules en milieu de vers, au début de chaque mot, attire l'attention sur ce poème capital qui aide à comprendre l'ensemble du livre. Les textes qui suivent sont littéralement déchirés, émiettés, donnant à voir le chaos généré par l'absence. Dans des poèmes qui semblent s'écrire par eux-mêmes, où les limites du Moi se dissolvent et où « Je est un autre », le poète s'interroge sur la démarche poétique. Est-elle autre chose qu'un exil dans les mots ?
On assiste à une tentative d'enfermer la mort dans le poème, de vivre intensément l'instant présent et de regarder les innombrables étoiles (qui ne sont plus réduites à ce peu de lumière filtrant au travers du drap troué de la nuit).
Notons quelques aphorismes comme « être est trop difficile », « ne rien comprendre n'est pas facile » ou encore « l'ennui de vivre est une insulte à l'éphémère de la vie »… des questionnements : « L'avenir, ça commence quand ? », « Qui pourrait penser ma pensée ? », « Et si te temps n'était que le multiple qui se tait ? » et de troublantes métaphores : « glisser la poussière de nos rêves/ sous le tapis de l'horizon », « de grands vaisseaux de musiques étranges se perdent beaux dans l'abîme », « gouttes de nuit nimbées d'espace », «gouttes de temps nimbées de nuit », « La chair de la nuit ronge la chair des mes nuits »…
Stéphane Sangral signe cette émouvante « partition » par un poème manuscrit, élaboré nous dit-il, dix-sept minutes avant le début du livre, un « avant premier poème » en lieu et place de l'avant dernier, démontrant ainsi la relativité des notions de début et de fin, la seule certitude possible étant juste le temps (reprise du thème du « prélude »)
Le livre se clôt par un poème bref qui va diminuendo, reprenant une dernière fois le thème du temps par la répétition du verbe passer, tout d'abord à l'infinitif (actif/présent) ensuite au participe passé (temps subi - attente, ennui) pour finir par le substantif (le passé – le temps qui n'est plus) dans un accord final où le vertige de l'infini s'oppose à la finitude de l'homme. de même que dans cette composition particulière les vers engendraient leur propre recommencement, le recueil se boucle sur lui-même et incite le lecteur à une relecture.
Témoignage intime, sincère et intense, Là où la nuit/ tombe exige du lecteur une attitude active car au milieu d'un chaos semé d'indices se déploie un chant soutenu par des leitmotivs qui se succèdent, s'entrecroisent, se superposent et dont l'accompagnement répétitif et uniforme, tel un ostinato, (ainsi de la pensée qui tourne en boucle et se répète) confère au recueil une unité, une cohérence, une sombre beauté.

Irène Duboeuf
Cette note de lecture est parue sur le site Recours au poème.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
"Si épaisse est la NUIT que je peux la toucher." (p.57)
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