Il faut tout posséder dans la vie pour n’avoir rien à regretter, et la vraie possession est celle-ci : l’amour gratuit et généreux d’une femme unique.
Elle me rappelait les rescapés de la Shoah, comme Jean me les avait dépeints, ils ne disaient rien, ils regardaient le vide, ils n’attendaient rien de quiconque, car tous les avaient trahis. Jean disait que ces personnes avaient atteint le sommet de l’horreur et qu’à ce niveau la haine est si grande qu’elle ne peut ouvrir que sur le pardon total ou la condamnation sans appel de l’humanité entière. Il n’y avait pas de milieu, il serait une injustice. Il disait qu’il était suffisant pour nous, petites gens, les héritiers de cet immense malheur, que notre haine soit juste assez forte pour empêcher que l’oubli nous gagne. Une sentinelle qui dort et c’est tout un peuple qui meurt.
Peu à peu se perd le goût des choses et vivre devient une léthargie faite d'oublis et de soupirs, ou une folie grave toute de hurlements sporadiques et de visions extatiques.
(P123)
Au pays, en Algérie, les choses sont ce qu'elles sont, brutales et incompréhensibles, on meurt comme on mourait dans les temps médiévaux, dans l'effroi et le grouillement de la misère.
(P21)
La vérité est dans le mouvement et dans la possibilité de l'erreur. Ce qui bouge est vrai, il prend appui sur un existant, crée sa prochaine marche, et ainsi, miracle, il avance d'un pas et la vie gagne en consistance et en hypothèses.
Ce qui ne bouge pas est fallacieux, c'est une illusion, une douleur même pas vraie, une ruine vouée à la désagrégation et à l'oubli.
La liberté, si chère au peuple d’antan, y est un péché impardonnable. L ‘islam qui règne en maître jaloux et vindicatif le veut ainsi. « Il n’y a d’homme libre que soumis à Allah » clame-t-on du matin au soir et du soir au matin.
C’était une leçon : la vraie haine, totale et irréductible, dépasse la haine commune et vulgaire aussi grande soitelle, elle est souveraine, elle est au-dessus des mots et des colères, elle comprend la vraie nature du mal qui est en nous autant qu’en l’autre, et donc elle est portée à la pitié et n’est pas loin du pardon.
La guerre est finalement une sacrée machine à écourter l’enfance.
Dans l’affaire, on ne peut être et avoir été, il y a ceux qui arrivent, ceux qui partent, et entre les deux un infranchissable fossé.
C'est un monde bien cruel que celui des apothicaires, ils ont une façon de soigner les pauvres gens qui revient à leur ôter la vie. (p. 31)