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EAN : 9782072798399
256 pages
Gallimard (16/08/2018)
3.22/5   135 notes
Résumé :
«Je plaisante, je plaisante, mais la situation est affreusement désespérée. L’affaire était louche dès le début pourtant, l’ennemi n’est pas tombé du ciel, il sortait bien de quelque trou, verdammt, un enfant l’aurait compris. Quand avons-nous cessé d’être intelligents ou simplement attentifs?»
Ute Von Ebert, dernière héritière d’un puissant empire industriel, habite à Erlingen, fief cossu de la haute bourgeoisie allemande. Sa fille Hannah, vingt-six ans, vit... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (46) Voir plus Ajouter une critique
3,22

sur 135 notes
Ce nouveau roman de Boualem Sansal peut être interprété de différentes façons : paranoïa d'une prof de banlieue parisienne traumatisée après un passage à tabac par des voyous islamistes ou un avertissement sur le danger réel qui pèse sur nos démocraties qui n'ont plus le courage de se battre…Un parallèle entre des émigrations, puisque toujours les hommes ont cherché à conquérir un ailleurs meilleur. Certains ont bâti le nouveau monde en parquant les indigènes, les autres amènent mort, violence et régression où ils s'installent… Et si quelques îlots ont encore le courage de s'élever contre la fatalité, le temps est proche de leur soumission.

Elisabeth Potier, la mère de Léa, prof d'histoire à la retraite, est partie enseigner en Allemagne. Elle y fait des recherches sur l'histoire de l'émigration et particulièrement sur la famille von Ebert. Après des années d'enseignement dans un lycée difficile de Seine saint Denis, territoire où désormais la démocratie ne s'applique plus, elle s'interroge sur les migrations humaines. Rentrée en France, sauvagement attaquée par de jeunes islamistes, dont un de ses anciens élèves, alors qu'elle revenait de la marche qui a suivi les attentats de Paris, elle tombe dans le coma. A son réveil, elle a endossé la personnalité de Ute von Ebert à Erlingen, ville imaginaire, où les habitants attendent un train qui ne viendra jamais pour les emmener loin des envahisseurs. Cette femme écrit des lettres à sa fille Hannah qui habite Londres. Elle lui confie ses craintes mais bientôt le récit glisse dans une autre dimension, celle de la fiction où sont convoqués le thème de la métamorphose cher à Kafka et celui de l'attente d'un ennemi qui vient trop tard de Buzzati. On ne peut échapper non plus au parallèle entre le nazisme et l'islamisme transformant le résistant en un ennemi dans son propre pays…

Bref un récit rendu complexe par son message sous-jacent, le combat contre l'extrémisme religieux, qui joue avec des références à l'absurde qui sont également des résistances au totalitarisme, car c'est ce qui guette et invite à l'ultime métamorphose, celle de Dieu, qui n'est plus que haine et destruction, qui inverse le cours de l'histoire et des choses. L'homme libre devient cloporte, l'évocation de Thoreau nous rappelle qu'il ne faut pas obéir à tout, surtout pas à un Dieu né de l'imagination morbide des hommes… Et qu'il ne faut pas hésiter à nommer clairement l'ennemi et ses actes de guerre au risque de le laisser s'installer grâce à une bonté naïve devenue lâcheté… Un texte puissant mais pas très facile d'accès. Ce que l'on peut comprendre, car les menaces de mort et les exécutions au nom d'Allah ne sont malheureusement pas une fiction…
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Dans ce roman qui vient tout juste de sortir, Erlingen est une ville allemande fictive de 12000 âmes où est censé arriver un train ou plusieurs afin d'embarquer toute la population qui court un danger imminent. Ce danger le lecteur ne le connaîtra pas précisément. Cependant SANSAL va tellement le mettre sur la piste qu'il réalisera rapidement qu'il s'agit de l'islamisme fanatique et radicalisé. C'est par des biographies également fictives que SANSAL va faire ressurgir la réalité, d'Allemagne en Angleterre, de la France aux U.S.A. Il va à ce propos se remémorer les massacres des peuples indiens, anéantis par des colons venus d'Europe, colons nettoyant tout sur leur passage afin d'imposer le nouveau monde, compétitif et cruel (allusion au radicalisme actuel, bien sûr). Quant à ce train fantôme, que certains attendent hâtivement, d'autres avec angoisse, il représente bien ceux qui se rendaient à la queue leu leu vers des camps dont le terminus était souvent la chambre à gaz quelque part en Allemagne (déjà) ou en Pologne.

Comme toujours chez SANSAL, ce livre n'est pas qu'un roman, c'est aussi une longue page d'Histoire, une fable démente, un essai philosophique, un pamphlet contre l'islamisme (pas contre l'Islam, SANSAL tient à être clair là-dessus). Cette fois-ci, ce sont également des échanges épistolaires entre une mère et sa fille, sauf que la fille ne lira les lettres de son aïeule qu'une fois cette dernière décédée, et ne lui répondra qu'à ce moment-là.

Chez SANSAL les personnages semblent toujours secondaires, ils ne sont d'ailleurs pas toujours très bien brossés, ils manquent de caractère, de charpente, ils racontent plus qu'ils ne vivent, aussi je ne m'attarderai pas sur eux mais plutôt sur le fond, car si ce roman est totalement dans la lignée de ces précédents par les thèmes, les constats et les cris d'alerte, ici il est fortement imprégné par au moins trois écrivains.

Le premier, et l'aurez peut-être constaté dès le titre du présent roman, est KAFKA et sa « Métamorphose », planant durant tout le récit et véritable question de fond : un être humain peut-il se réveiller un jour métamorphosé, avec de nouveaux principes, un coeur perdu et une haine palpable ? Ce roman est très kafkaïen, beaucoup de questions sont soulevées, peu sont résolues. On ne connaît pas exactement l'ennemi, on ne voit pas comment le combattre : « le mystère actuel est l'envahisseur. Nous ne savons rien des croyances qui l'animent mais sa façon de se couvrir de hardes, d'être partout et nulle part, de se tapir dans l'ombre et de frapper dans le dos, de savourer ses victoires par des cris aberrants et des transes échevelées, semble dire que sa religion, si c'en est une, s'est construite sur la tradition des peuples chasseurs-cueilleurs et s'exalte de nos jours sur des ruminations propres aux groupes humains qui sont passés de la société archaïque menacée d'extinction à la société de consommation compulsive sans passer par la société de labeur et de production de biens ».

Le deuxième auteur influent est Henry David THOREAU dont les thèses parsèment le roman, on sent bien que SANSAL est pénétré d'une grande admiration pour lui, même s'il convient que THOREAU n'a passé que deux ans protégé des hommes et de leur folie.

Le troisième, et c'est bien moins net, est le Dino BUZZATI du « Désert des tartares », livre dans lequel SANSAL voit la destinée imagée du monde en marche et futur. Il est cité en fin de volume.

Mais chez SANSAL ce n'est pas la douche froide en permanence, d'abord parce que la langue est d'une rare richesse, ensuite parce qu'il sait provoquer des situations cocasses afin d'amener un sourire réparateur voire rédempteur. Et puis il y a ces expressions désuètes qui fleurent bon le parler de naguère. Donc, si ce roman ressemble fort aux précédents de SANSAL, jusqu'à cet islamisme comparé au nazisme qu'il avait déjà fortement évoqué dans « le village de l'allemand » par exemple, ce « Train d'Erlingen » est à lire, car il est peut-être plus complexe que tous les précédents, notamment par la structure originale en poupée gigogne. Peut-être aussi plus abouti que « 2084 », quoique dans la même lignée.

Vous n'y apprendrez rien de nouveau concernant les convictions et les combats de SANSAL, mais vous passerez un très bon moment aux côtés d'un écrivain érudit et très méticuleux, un auteur hautement engagé qui se fait lanceur d'alerte par sa plume et son militantisme. SANSAL est de ces écrivains indispensables qui savent prendre des risques pour faire éclater la vérité. Laissons-lui la parole afin de clore cette chronique : « Notre funeste erreur face à l'ennemi aura été la colère. Ecrasés par nos peurs et nos angoisses, nous avons cessé de réfléchir et nous sommes laissés gagner par le morbide attrait de la soumission ou celui de la furie destructive. Rabaissés à ce point, nous lui avons cédé le beau rôle du vainqueur magnanime qui, désolé et prêt à aider, regarde le fou trépigner et appeler à la mort ».
https://deslivresrances.blogspot.fr/
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Est-ce un attentat ? Un drame familial ? L'oeuvre d'un déséquilibré ? Rien de cela ? Tout à la fois ? A chaque fait divers, les mêmes questions de vocabulaire surgissent. On ne sait pas désigner l'assassin, on ne veut pas, on ne peut pas. Après "2084, La fin du Monde", Boualem Sansal nous amène à réfléchir sur nos mots avec "Le train D'Erlingen ou La métamorphose de Dieu".
Ce livre est l'histoire de métamorphoses. Au début, il y a celle de Kafka. Ensuite, il y a celle d'Erlingen. Ce village existe-t-il ? Est-il inventé par Ute qui se transformera en Elisabeth ou l'inverse ? Qui sont les envahisseurs ? Des extraterrestres ? Pourquoi ne les nomme-t-on pas ? Et finalement, Dieu lui-même -ou l'image que certains s'en font- ne s'est-elle pas métamorphosée ? Ne devient-il pas le réceptacle de toutes les pleurnicheries ou la justification de toutes les folies ?
La seule chose qui ne bouge pas dans le livre, c'est la lâcheté des politiques, qu'ils soient élus au conseil municipal ou président. C'est aussi notre ataraxie. Les jours qui ont suivi le 13 novembre 2015, nous étions devant notre poste de TV, entre amis, en famille, comme devant une grande finale. Les plus courageux ont acheté des bougies, des fleurs. Et puis, il y a eu Nice, Lisbonne, Marseille, Magnanville...
Cette fiction, puisque c'en est une (voire deux), est un appel à se poser des questions. Où en est notre soumission ? Pourquoi ne nommons nous pas les choses ? Pourquoi est-ce si difficile ?
Ce n'est pas un livre facile. Il faut s'arrêter. Il faut lire certains passages en oubliant le contexte. Les références sont nombreuses. Fallait-il lire ou relire Kafka, Baudelaire, ou Henry David Thoreau avant de se plonger dans l'intrigue ?
Cependant, l'intelligence et la finesse de Boualem Sansal transforment le lecteur en migrant, du 9.3 à Paris, jusqu'à Londres ou Brême en passant par l'Arizona. L'humanité n'existerait plus si chacun était resté cultiver son jardin. Naviguer entre les lettres, les notes de lectures, les commentaires d'une mère, puis d'une fille nous rend plus forts. Ce roman parle de nous, de ce que nous sommes devenus après les attentats de 2015. Dans ce monde de brutes, l'humanisme de Boualem Sansal rassure. Il nous fait du bien, nous aide à garder la tête haute.
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« le train d'Erligen » nous conte l'histoire d'envahisseurs qu'on n'entend ni ne voit pas, aux portes d'Erligen ,petite ville paisible, bourgeoise, jolie et imaginaire située en Allemagne.
Sa narratrice principale en est Ute von Ebert, une vieille dame, héritière d'un empire financier fort important, et qui écrit à sa fille Hannah partie vivre à Londres.
Les politiques d'Erligen vont sous ses yeux faire preuve de peur, de lâcheté et ell,e de courage et de lucidité. Mais à un moment on bascule dans le récit vers d'autres personnages plus ou moins reliés à cette femme. Une jeune femme et sa mère. La mère aurait inventé cette Ute von ebert et sa fille tenterait d'écrire un roman à partir des notes qu'elle a laissées….

J'ai débuté cette lecture avec circonspection. Sans aucune raison. C'est comme cela. Mais j'ai été pour une partie emballée : le personnage de Ute m'a plu, l'écriture très érudite et au style super littéraire, et cette histoire à la fois tout à fait imaginaire et avec des réflexions poussées , tout cela m'a vraiment intéressée.
J'ai aimé Ute et son esprit incisif, pertinent et sa lucidité franche, elle m'a fait rire par moments, avec son côté vieille dame indigne, la vieille dame bourgeoise qui a son caractère comme on le dit trop souvent,comme si les femmes n'en avaient pas le plus souvent….Une vive intelligence avec une pointe de malice chez Ute, et voilà, ça c'était parfait pour moi.
L'écriture de Boualemn Sansal que je ne connais pas, m'a impressionnée : J'aime les romans épistolaires, et même si Ute ne reçoit pas de réponses, elle écrit des lettres, c'est agréable.On sent beaucoup de maitrise, de recherche dans le choix du vocabulaire, du phrasé, de la langue et ça donnait un style qui ma foi était assez plaisant, collant bien au personnage principal.
Et puis j'aime bien l'imaginaire et là la fiction est totale.
La ville n'existe pas, les personnages sont de vrais personnages, et on part dans un vrai récit romanesque.

J'ai donc bien apprécié la première partie de ce roman.
Et puis ensuite, petit à petit, là , le livre m'a perdue et j'ai eu du mal à le terminer.
Or, j'ai horreur de ça, me forcer à finir un roman, soit je suis prise dans le récit, (et c'est le cas le plus souvent) soit je m'autorise à arrêter.
Honnêtement là j'ai continué par contrat en quelque sorte avec lecteurs.com pour ces 4 lectures de la rentrée littéraire.

Pourquoi le livre m'a lâché ? Parce que trop c'est trop. Je n'aime pas les excès et là c'est ce qui pêche : Trop de volonté de vouloir faire dans l'original, trop de coupure avec le récit de Ute von Ebert , le récit est carrément abandonné, l'auteur prend le risque de frustrer le lecteur ou la lectrice , trop de meta reflexions sur le premier récit et surtout trop de pages pseudo philosophiques que j'ai trouvées très très professorales, moi qui déteste ça le côté donneur de leçons, là , j'en avais la nausée.

Bon, j'avais bien compris : Il y a un prologue : On est prévenus, les deux parties sont explicitées dès le départ.
Ce n'est pas que ce soit difficile à lire, je n'ai pas trouvé, non, mais j'ai ressenti de l'ennui, de l'agacement et une absence totale d'émotion dès la seconde partie – page 143- où à partir de là je me suis demandée pourquoi ? Pourquoi tout ces ajouts, ces débuts de récits, de cours de philo, de réflexion socilogique et littéraire et puis bon… Je viens de lire deux romans américains (excellents par ailleurs) alors les références à Thoreau pour eux encore, je comprends, mais là, c'est plaqué, et puis un peu de références littéraires je n'ai rien contre, mais de façon systématique et répétitive, et bien, c'est simple : cela m'ennuie.

Je peux donc dire que si l'auteur avait suivi son premier récit , (les lettres de Ute von Ebert à sa file Hannah) j'aurais vraiment continué avec plaisir cette lecture .
Hélas….Mon plaisir de lectrice n'aura duré que 133 pages...(Sur 247 )
Je ne suis donc pas mitigée sur cette lecture, mais d'autant plus déçue que le départ m'avait conquise.

C'est comme en Amour, c'est pire que lorsque on n'a pas du tout été séduite.
Une belle déception donc.
Lien : http://lautremagda.hoibian.com
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Compliqué ...
Voilà bien longtemps que je ne me suis trouvé démuni au moment d'écrire quelques modestes lignes sur un livre ...

"Le train d'Erlingen ou la métamorphose de Dieu" ... un titre énigmatique en soi. Et une quatrième de couverture qui éclaire au final assez peu !

Première remarque : la qualité de l'écriture de Boualem Sansal. La langue est belle, travaillée, exigeante. La dernière fois que j'ai eu ce sentiment, c'est en lisant des pages de Marie N'Diaye. Cela rend parfois la lecture ardue.

C'est d'autant plus vrai que, et c'est ma seconde remarque, que le propos de Boualem Sansal est complexe. A la fois par les thématiques abordées, autour de la déliquescence de notre monde, de la montée des extrémismes et notamment religieux. le propos est parfois dur, toujours sans concession, et l'auteur ne craint pas d'appuyer là où ça fait mal.

Mais aussi, et cela pourrait être ma troisième remarque, par la structure même de l'ouvrage. Des bribes de textes, de roman, de notes de lectures. Un basculement, d'une narratrice à une autre, au milieu de l'ouvrage. On ne comprend - le "on" me désignant juste moi, d'autres lecteurs auront sans doute été plus perspicaces ! - que tardivement comment tout cela fonctionne, et les pièces du puzzle ne s'emboîtent finalement qu'en fin de lecture.

Au final, ma "note" peut paraître sévère. Elle n'est pas le reflet d'une déception, mais plutôt une façon de dire combien l'ouvrage m'a décontenancé et interpellé. Même si, alors que je viens de le finir, il est plus que probable que son propos continue de tourner quelques temps dans mon esprit.
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critiques presse (4)
Bibliobs
11 octobre 2018
Le romancier algérien de "2084" publie "le Train d'Erlingen". C'est incroyablement anti-islamiste et, hélas, incroyablement ennuyeux.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Lexpress
17 septembre 2018
Certains regrettent déjà la soudaine bifurcation du récit à mi-parcours : n'est-ce pas là, justement, l'heureuse surprise d'un conte philosophique très actuel, picaresque, baroque et captivant, qui montre qu'un dénouement libérateur peut encore, sans doute, advenir ?
Lire la critique sur le site : Lexpress
LeMonde
17 septembre 2018
Le romancier algérien est la bête noire du pouvoir autant que des religieux. Il s’en amuse plus qu’il ne s’en inquiète, et écrit de plus belle. En témoigne « Le Train d’Erlingen ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
17 août 2018
C'est un conte philosophique. C'est un livre incontournable, un grand roman qui, nous pouvons l'espérer, aura un prix littéraire. À lire d'urgence.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (47) Voir plus Ajouter une citation
Avec le stress et la peur à dose forte sur une longue durée, plus l’enfermement dans un quotidien devenu misérable et honteux, les croyances changent, le physique aussi…ça paraît évident, non…Je crois que nous devrions organiser des meetings pour sensibiliser nos concitoyens…ils doivent veiller sur leurs convictions d’hommes libres comme sur la prunelle de leurs yeux…c’est ça qui assure notre intégrité et nous tient debout…sinon un matin, ils se réveilleront dans la peau de ces gens ou dans la carapace d’une blatte…
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 L'histoire est celle d'un opuscule qui serait apparu à une époque indéterminée entre le XIe et XIIe siècle, que personne n'a jamais vu, dont l'auteur est à ce jour resté inconnu. C'est déjà très étrange. Ah, il y a encore ceci, on ne connaît pas le contenu du livre, ni dans quelle langue il est écrit, on ne sait rien de rien. C'est dur pour des gens comme nous qui fonctionnons sur des réalités immédiates pouvant êtres pesées, soupesées, disséquées, senties, goûtées, discutées. Ah, encore une lacune, nous ne connaissons pas le titre du livre. Ce serait pareil si on parlait du vide, nous n'aurions rien à dire, avouer nos infirmités tout au plus. En fait nous dirions beaucoup, et avec passion, car en l’occurrence il s'est trouvé quelqu'un, resté anonyme lui aussi, qui a révélé, à on ne sait qui, on ne sait quand, que l'ouvrage avait eu un titre et quel titre : Tractatus de tribus impostoribus :  Moyses, Iesus Christus, Mahometus, en langage moderne, Le traité des trois imposteurs : Moïse, Jésus-Christ, Mahomet.

   On comprend les dérobades accumulées tous ces siècles. En ces temps où l'Église et la Mosquée martyrisaient les peuples par le fer, le feu et le Saint-Esprit, l'affaire prit des proportions planétaires et mit en alerte rouge tous les rois de la chrétienté, tous les sultans de l'islam, tous les rabbins dispersés de par le monde jusqu'au Sanhédrin en sa sainte ville, la très convoitée Yerushaláyim, Jérusalem pour les chrétiens, El Qods pour les musulmans. Les hérétiques et les apostats n'en menaient pas large, trois religions du Dieu unique qui tempêtent en même temps, c'est tout le malheur du monde à la puissance neuf qui s'abat sur les innocents...

   L'affaire arriva chez le roi qui ordonna : " Je veux ce livre ! " Les barons agirent de même, partout en Europe. Puis ce furent des éditeurs, des libraires, des collectionneurs, des philosophes, des aventuriers, pour leur compte ou celui de leurs mandants. Et de là par effet cinétique, l'Europe entière en état de choc s'est trouvée huit siècles d'affilée prise dans le tourbillon du mystère. Chercher le De tribus impostoribus ou chercher le Graal, c'est pareil, l'effort est vain mais combien exaltant...

   Le fait que ce livre ait disparu des radars de notre époque ne veut pas dire que le dossier est clos, n'y croyez pas, l'eau ne dort jamais qu'en surface...

   L'Inquisition a travaillé d'arrache-pied, elle voulait un coupable et des complices, on lui en présentait tous les jours. Les encycliques se suivaient pressantes et coléreuses : "Invenietis sepens venenum exspuit ejus in domini nostri, " Chercher le serpent est un réflexe vieux comme le monde...

   Cette incroyable chronique autour d'un livre n'a pas duré que quelques mois, quelques années au plus, mais huit siècles entiers, et du Moyen Âge jusqu'à la Renaissance les journées étaient longues. Quel livre a fait mieux en matière de durée et de folie ? 

   À force d'imaginer les thèses que le mystérieux auteur aurait pu développer pour démontrer la fraude de Moïse, Jésus et Mahomet, les chercheurs ont en quelque sorte écrit le traité à sa place et, ce faisant, ils ont de manière incidente mis en évidence le mécanisme nodal qui fait l’imposture et l'imposteur, c'est la tendance naturelle de l'homme à croire à ce qui n'est pas crédible et celle du croyant qu'il devient à s'enfermer dans ses certitudes et à s'interdire par tous les moyens d'en sortir. Si le complot n'existe pas, on l'invente et on l'avale comme le poisson avale l'hameçon. Cette autocastration, souvent suivie de jeûnes hallucinatoires, le transforme en fou furieux et le pousse à se jeter sur le passant pour le subvertir ou l'occire. S'il en attrape beaucoup, il sera un grand fidèle et sa religion gagnera en force et en rayonnement. Le traité de la bêtise humaine face aux divines propositions de Moïse, Jésus et Mahomet  eût été un titre approprié, et œcuménique à souhait.

  De nos jours, alors que la richesse du monde ne cesse de croître, en même temps que le nombre de miséreux, nous sommes tenus de ménager tous les croyants, y compris ceux qui croient en n'importe quoi. Ceux qui ne croient en rien n'ont pas d'autre issue que de se mettre à croire en quelque chose, n'importe quoi, pour obtenir attention et respect ; et de la sorte, quand chaque homme de cette planète sera un croyant confirmé, le chapitre de la pensée et des jeux de l'esprit libre sera clos. Pas d'innovation, pas d'antagonisme, pas de sédition...
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Le hasard a bien d’autres fonctions que de surprendre et d’étonner, il enseigne, il raconte à sa manière l’étrange histoire du monde. Il le fait à coups de rébus, d’insolubles contradictions, qui ont vocation à rester indéchiffrables mais qui se rappellent sans cesse à la curiosité humaine pour qu’elle vienne en extraire le sens et le faire émerger à la lumière.
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Nous sommes devant le plus grand mystère eschatologique de l'histoire humaine, l'homme atteint d'un mal incurable veut cesser d'être un homme attaché à la vie pour devenir un fantôme accroché à la mort. C'est bête, le processus vital a un sens, bon sang, celui du progrès, c'est la larve qui devient papillon, pas l'inverse quand même… c'est quoi cette croyance qui regarde l'abîme plutôt que le ciel ?
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C’est drôle la nature humaine, elle est toute dans l’ambiguïté du pluriel mais se veut une et indivisible. Or, qui ne le sait pas, en chaque chose il y a toujours plus d’hypothèses que de conclusions.
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Vidéo de Boualem Sansal
Le prix Constantinople récompense depuis 2022 des oeuvres littéraires qui font le pont entre les cultures et les civilisations d'Occident et d'Orient.
Cette année ont été récompensés l'écrivain algérien Boualem Sansal et Delphine Minoui, grand reporter, correspondante à Istanbul pour Le Figaro. Ils sont les invités de Guillaume Erner.
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