Le voyage de l'éléphant

La dure expérience de la vie nous a enseigné qu'en général il ne fallait pas trop se fier à la nature humaine.

Les bagues s'en vont, mais les doigts restent.

Salomon [...] avait raison lorsqu'il écrivit qu'il n'y avait rien de nouveau sous le soleil. L'on a du mal à croire que tout fût déjà pareil en ces ères bibliques, alors que notre innocence tenace continue à s'obstiner à les imaginer lyriques, bucoliques et pastorales, tant elles sont encore proches des premiers tâtonnements de notre civilisation occidentale.

Entre parler et se taire, un éléphant préférera toujours le silence, voilà pourquoi sa trompe a tellement poussé, laquelle, outre qu’elle transporte des troncs d’arbres et sert d’ascenseur au cornac, a l’avantage de représenter un obstacle sérieux à toute loquacité incontrôlée.

Il y a là un curé, dit-il. Il avait choisi de parler en castillan et ce fut la meilleure chose qu'il pût faire, étant donné que les connaissances limitées de la langue allemande dont le cornac s'était doté jusque-là ne lui eussent pas permis de comprendre une phrase aussi complexe.

Il est évident qu'un bon galop avec épées brandies en l'air, du genre charge de la brigade légère, eût offert à la galerie des effets spéciaux beaucoup plus spectaculaires, mais pour une victoire aussi facile que celle-ci promettait de l'être, il serait absurde de fatiguer les chevaux au-delà de ce qui était strictement nécessaire.

Il se demande pourquoi il n'avait jamais eu l'idée de vendre des poils d'éléphant pendant qu'il vivait en inde et en son for intérieur le plus intime, il pense qu'en dépit de l'abondance exagérée de dieux, de sous-dieux et de démons qui l'infestent, il y a bien moins de superstition dans le pays où il est né que dans cette partie de l'europe civilisée et très chrétienne, capable d'acheter aveuglément un poil d'éléphant et de croire pieusement aux balivernes du vendeur.

Chacun à a sa place sera toujours la meilleure des conditions pour parvenir à la paix universelle, sauf si la sagesse divine en dispose autrement.

Heureusement pour sa crédibilité publique, l’éléphant est autre chose. Grand, énorme, ventru, avec une voix à épouvanter les moins timorés et une trompe comme n’en a aucun autre animal de la création, l’éléphant n’aurait jamais pu être le fruit d’une imagination, aussi fertile fût-elle et éprise de risque. L’éléphant, simplement, soit existait, soit n’existait pas.

Dix jours après cette conversation, le soleil pointait à peine à l'horizon, salomon sortit de l'enclos où deux années durant il avait vivoté. La caravane était ce qui avait été annoncé, le cornac, qui présidait, là-haut, assis sur les épaules de l'animal, les deux hommes censés l'aider dans tout ce qui viendrait à être nécessaire, les autres devant assurer l'approvisionnement, le char à boeufs avec la cuve d'eau que les accidents du chemin faisaient sans cesse osciller d'un côté à l'autre, et un gigantesque chargement de ballots de fourrage varié, le peloton de cavalerie responsable de la sécurité du voyage et de l'arrivée de tous à bon port, et enfin, quelque chose auquel le roi n'avait pas pensé, un chariot pour l'intendance des forces armées tiré par deux mules.