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EAN : 9782013692229
328 pages
Hachette Livre BNF (01/05/2016)
5/5   2 notes
Résumé :
Disponible sur google books :

https://books.google.fr/books?id=M28uAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Ou Gallica :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99801j.pdf
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Quel courage, quelle admiration !… Se dit-on d'Etienne Moret au début du roman et quel gâchis d'intelligence, d'âme et de coeur pense-t-on à la fin.

Frappé des pires prédispositions dès son enfance : orphelin, exploité par un marchand brutal, éduqué par le travail forcé et solitaire sans avoir connu l'école, d'une rare laideur dont les difformités prêtent facilement à la moquerie, Etienne Moret s'émancipe par miracle à l'aide d'une personne charitable et bien intentionnée lui apprenant la lecture et lui ouvrant les portes d'un collège parisien.

D'une énergie surhumaine, il entre brillamment à l'Ecole normale supérieure, véritable paradis de la libre-pensée où chacun est maître de son temps, décide souverainement des sujets d'étude, seulement épaulé par des amis que sont les professeurs et les camarades de classe, et dont le seul but à long terme est de préparer l'agrégation.
Entouré de personnes bienveillantes et éclairées, ses extravagances, tant physiques qu'intellectuelles étaient appréciées par l'intérêt de l'originalité qu'il apportait aux esprits curieux, chaleureux et ouverts et l'on était séduit par son enthousiasme expansif et bruyant.

Mais passé l'agrégation, une fois quitté ce doux sanctuaire et arbitrairement envoyé en tant que professeur à Rodez, avait-il eu le temps de s'accoutumer au vrai monde ? le monde bas, matériel, moqueur, sournois ?

Le zèle qu'il met dans l'éducation est réprouvé par l'administration, concevant le professeur comme « une machine à distribuer la science » tandis que les élèves ne sont que des « machines à recevoir »

Sage philosophe, les enfants sont pour lui ses égaux ; Etienne Moret est d'une bonté angélique, d'une douceur infinie avec ses élèves si bien qu'il peut rire aux petites farces de ses écoliers, sans se douter qu'on le tâte, qu'on le teste et qu'il sera martyrisé s'il se montre naïvement indulgent. Il en résulte une double peine, car en plus d'être chahuté, il est réprimandé une fois encore par l'administration au motif qu'il ne tient pas sa classe correctement.


Pas la moindre compassion réconfortante de ses collègues, il est l'objet facile de moqueries sur son physique ou son attitude gauche : « Il faut bien croire que l'ennui rend les hommes féroces et lâches autant que bêtes, car dans cette réunion il n'y en eut pas un qui se sentît le courage de prendre la défense d'un pauvre diable, incapable de se protéger lui-même. Les meilleurs s'abstenaient de prendre part à cet hallali ; mais ils en riaient sottement, par compagnie. »
(…)
« C'est le propre de ces taquineries, dirigées contre un individu faible, de renchérir toujours les unes sur les autres et de devenir sans cesse plus cruelles. »
(…)
Ce ne sont là, je le sais bien, que des coups d'épingles. Mais est-ce une vie que d'en être lardé tous les jours des pieds à la tête ! Mieux vaudrait un coup de poignard. Moret, sous ces assauts répétés de la fortune, se repliait en lui-même et tournait à une mélancolie sourde. Mais ce qui montre bien la candeur de cette âme tendre, c'est qu'il ne sentait aucune haine contre ses persécuteurs ; il ne s'en prenait qu'à son insuffisance, à ce défaut d'équilibre qu'il avait toujours remarqué en lui. »

Des faits divers rapportés d'un ancien camarade de l'Ecole normale sur son compte enveniment la situation. Par malheur, le seul sot prétentieux que l'on trouvait à l'école parisienne était pour lui la seule connaissance à Rodez. D'un ton jubilatoire, il se déchaîne à raconter la manière dont il aidait notamment une famille pauvre à Paris en leur donnant de maigres ressources et qu'il entretenait ainsi l'espoir de conquérir le coeur d'une jeune fille qui naturellement, selon lui, cachait sa répulsion pour cet être repoussant.

Recherchant quelques lieus d'apaisement, il se réfugie dans des salons divers de la province. Mais dès qu'il est question de sujets de société, il ne peut s'empêcher d'exprimer avec force et sincérité ce qu'il pense, attirant le courroux sur sa personne et le discrédit général.
Qu'il est frustrant par exemple, pour un fat clamant haut et fort, à propos de Jules Michelet, qu'il promeut dans ses ouvrages des velléités sanguinaires ou révolutionnaires proches de Robespierre, et de se voir parfaitement contredire par des citations de l'auteur prouvant l'exact inverse, provoquant ainsi l'ébahissement général.


Autre illustration plus absurde encore : il est question d'ambitieux travaux de canalisation afin de détourner et acheminer des sources d'eau vers la ville de Rodez. Un projet est arrêté mais l'on découvre les restes d'un aqueduc romain. La ville entière se divise en deux camps, ceux voulant restaurer l'aqueduc et ceux satisfaits du projet initial avec des canalisations classiques.
Les prétentieux formant le salon soutenaient à l'unanimité qu'ils ne voulaient boire que l'eau dont s'étaient abreuvés ces vieux romains et dont on retrouverait, dans l'aqueduc, l'unique saveur et le parfum de leurs vertus antiques. Des âmes poétiques et nobles contre les méprisables et prosaïques ingénieurs !
Le maladroit Etienne rappelle avec verve que ce n'est pas l'aqueduc qui fait l'eau mais la source.
Malheureuse logique implacable ! Ce doit être un athée, un impie méprisable pour tenir de tels propos ! On lui demande, en ricanant « Apparemment Monsieur, comme beaucoup de ses jeunes collègues, ne croit pas à l'immortalité de l'âme ? »

Ce à quoi il rétorque, sans perdre la moindre hardiesse dans ses propos :
« Et quand même, je ne croirais pas à l'immortalité de l'âme ! … »

Indignation, évanouissement, scandale !…
« Une exclamation générale, un oh ! d'indignation, qui s'éleva à la fois de tous les coins du salon, m'arrêta net sur les lèvres le reste de la phrase. »

Ces deux impertinences lui valurent deux rapports l'accusant d'avoir commis, devant 20 personnes « une profession de foi matérialiste »… L'inquisition n'eût pas mieux inventée comme motif absurde et nébuleux !

Fort heureusement, il trouve enfin la tendresse compatissante de coeur qu'il méritait auprès d'une famille de substitution. Une veuve et sa fille, voisines d'Etienne Moret, l'invitent régulièrement à dîner. Elles paraissent si humbles, si gaies et joyeuses malgré la misère et prêtent une oreille attentive aux confessions d'Etienne… Un vrai soulagement ! Mais il était à cent lieus de soupçonner les intrigues de la mère qui souhaitait, à terme, la marier avec sa fille, par stricte nécessité financière.
Difficile d'imaginer la douleur du désenchantement au moment où Etienne entendit entre deux portes :

« Toutes mes amies riront de moi si je l'épouse. Vois donc l'effet de cette figure quand nous irons à l'église, et que tout le monde se haussera sur les pieds pour mieux voir le marié. Il n'a pas visage d'homme. 
- Laisse donc : tu t'y habitueras.
- S'il n'était que laid , peut-être; mais il est si ridicule ! Il est toujours sale, mal peigné, les ongles en deuil …
- Tu le formeras .
- On assure en ville qu'il ne fait pas bien du tout sa classe , qu'un de ces jours il sera destitué, et qu'est-ce que nous deviendrons alors ? Non, vois-tu, je sens que je ne pourrai jamais. J'aime mieux être pauvre toute ma vie. Je t'en prie, mère, n'exige pas mon consentement. »

Ces vils projets révélés, Etienne n'eût cependant ni la force ni la volonté de mettre un terme à ces relations, il laissait les sombres intrigues se nouer autour de lui, incapable de les démêler. Il n'eût que le sursaut d'orgueil de dire non, à l'étonnement général, au mariage quand il fut proposé directement.

La mère hurla au scandale, fit répandre les pires bruits sur son compte et là encore, toujours sans lien avec sa profession, il fut convoqué une énième fois par l'administration, cette fois-ci pour le révoquer.

De retour à Paris, Etienne réalise que son beau diplôme lui est peu utile et doit se satisfaire de petits emplois où des accidents le font encore échouer. Plus épouvantable encore, il est exploité, tel un esclave moderne, jusqu'à l'épuisement de ses forces sans être rémunéré en travaillant comme secrétaire d'un éminent professeur de philosophie.
Il renoue par hasard avec la famille Dumont, à laquelle il avait apporté une aide précieuse quand il était étudiant.
Malgré la fatigue accumulée, il demeure capable de donner des leçons gratuitement en rentrant chez lui le soir à Pauline Dumont, une jeune beauté aux charmes éclatants, pour lui apprendre à lire et écrire.
Cette belle jeune fille qu'il aime avec tendresse lui est dérobée sous ses yeux par un jeune homme galant et fringant, aux manières sottes et prétentieuses. Un soir, Etienne observe avec tristesse les larmes de la mère Dumont, sa fille venait de s'enfuir avec son amoureux et l'a brusquement délaissée, tandis que Etienne, réduit à la plus extrême pauvreté, met fin à ses jours.

Voilà comment peut finir un des brillants professeurs de l'Université.
Est-ce le peu de caractère, l'absence de volonté d'Etienne qui lui vaut cet acharnement du destin, cette suite ininterrompue de cruelles épreuves ? Encore qu'il manque, dans ce commentaire, de nombreux détails poignants et d'impressions qui viendraient encore renforcer la cruauté de ce récit...

« Les gens de ce caractère laissent le hasard maître de leur vie, un maître bien dangereux et bien cruel, car il choisit son heure pour fondre sur leurs arrangements ; il les prend toujours à l'improviste et leur arrache de dessous la tête le pauvre oreiller sur lequel ils s'étaient endormis. »

Ou doit-on voir dans ces malheurs la conséquence des moeurs rudes et violentes de l'époque ?
C'est la question que l'on se pose tout le long du roman.

Impossible de donner une idée du rare talent que l'auteur a déployé dans ces pages émouvantes. Rien de plus attachant que cette biographie issue très largement d'une histoire vraie, d'une réalité lamentable racontée avec une sincère émotion, d'un style ferme, net, incisif et parfois éloquent.
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