Oeuvre marquante du tournant du siècle...
Persépolis est une BD autobiographique.
Marjane Satrapi y évoque sa jeunesse, tiraillée par les troubles politiques en Iran et son déracinement dans l'Europe libérale. Elle finit cependant par revenir au pays, remettant ce sombre et épais voile noir.
De manière didactique, l'autrice nous prend par la main, amenant des repères historiques (révolution islamique, guerre Irak-Iran, guerre du Koweït...) et géographiques (toponymie, carte astucieusement placée...) clairs et concis, pour nous transporter dans son histoire et celle de son pays.
Les dessins, dans un style persan, sont élégants, sans fioriture.
Marjane Satrapi use du noir et du blanc pour composer les traits des visages, d'une grande régularité, ainsi que les formes et les volumes des décors... et leurs ombres aussi. Lumineux et obscur à la fois, cette bichromie accentue la dramaturgie de l'oeuvre.
Car la vie qu'elle traverse nous mouille parfois les yeux. Intimiste, familiale, la narration nous rapproche des personnages. On partage leurs peines, mais aussi leurs joies.
En effet, le récit n'est pas sans humour, avec une forme d'autodérision de l'autrice sur sa jeunesse, mais aussi des caricatures des personnages les plus détestables...
Ceci étant dit, le bouquin de
Marjane Satrapi témoigne d'une réflexion sur les libertés : celle de pouvoir s'exprimer, mais aussi de manifester, de se déplacer comme on veut, de se réunir avec ses amis, d'être jugé équitablement... La privation de liberté en Iran contraste avec l'Europe et amène des incompréhensions, entre
Marjane Satrapi et ses amis Européens... mais aussi Iraniens.
Elle semble alors coincée entre deux mondes.
L'arrivée de
Marjane Satrapi en Europe est une petite révolution pour elle, un changement de paradigme qui se concrétise graphiquement : pâleur des décors et surtout Marjane ne sourit presque plus... Tout semble beaucoup plus triste, dans ce qui semblait pourtant être un échappatoire à la tyrannie iranienne.
Ce bouleversement n'est pas non plus sans lien avec son entrée dans l'adolescence. Son corps se transforme, elle expérimente (drogue, sexe...), change de look... C'est une période difficile pour elle au final, car confrontée à la xénophobie, à l'éloignement de ses proches...
Ainsi,
Marjane Satrapi parvient à représenter la violence, pas seulement celle de la guerre mais celle de la vie en générale. Elle y parvient dans une forme de déplacement poétique, par des discussions, des symboles, des visages marqués (cernes, yeux vers le bas, bouche triste...), des effets graphiques et autres chiasmes de la mise en page...
A contrario, le témoignage de
Marjane Satrapi contient aussi ses solutions : les repères (valeurs inculqués par ses parents, culture persane...), les personnes (ses parents, sa grand-mère...), les dynamiques (affirmation, rire...) qui lui ont permis de s'en sortir. L'autrice fait en quelque sorte office de grande soeur.
Le propos est consistant, avec des thématiques aussi diverses que la religion, la politique, les discriminations... Les dialogues sont d'ailleurs nombreux, avec une grande part d'introspection voir d'autocritique de la part de l'autrice, et donnent toute sa profondeur au récit. Les dessins aident également à se rendre compte de l'apparence des personnages, de leurs émotions (leurs visages sont comme des smileys), de leurs souvenirs et de leurs rêves aussi parfois...
Le temps s'y déroule lentement, avec des flashbacks, nous laissant apprécier l'évolution des personnages, en particulier celui de Marjane.
En résulte une oeuvre majeure, dans la lignée de Maus, roman graphique ayant servi de modèle pour
Persépolis. Il ouvre une nouvelle ère pour la BD franco-belge, celle du réel et de l'éclatement des formats. L'Arabe du futur par exemple, de
Riad Sattouf, fait partie de cette nouvelle vague.
BD alternative au regard nouveau,
Persépolis a été très bien accueilli et est devenu un blockbuster, encouragé par une critique unanime, un film (2007) et trustant les rayons BD des bibliothèques scolaires.
Avec
Persépolis, la BD iranienne rentre aussi dans l'Histoire du neuvième art, source d'inspiration pour de futurs dessinateurs ou caricaturistes (je pense notamment aux Oiseaux de papier, où l'on reprend l'image de la tisseuse de tapis).
Surtout,
Marjane Satrapi aura su nous transporter dans son enfance, à la fois singulière et commune à tous, avec une sortie de l'innocence compliquée, mais forte en apprentissage.
Persépolis est enfin un plaidoyer pour le sort des femmes...
...dont l'émancipation constitue le but, le point final.