Quand on se sent seule au milieu des autres, autant l’être pour de bon. Le tout est de ne pas l’être avec soi-même, et ça, elle a l’habitude.
C’est devenu impossible d’avoir des convictions en béton quand tous les jours on a un rêve qui expire, un espoir qui crève, une croyance qui agonise.
Qu’est-ce qu’on est censé se poser comme questions à cinquante-huit ans. C’est quoi être adulte. Prendre ses responsabilités, accepter les défauts des autres, assumer les siens, renoncer à certaines choses, reconnaître qu’on ne peut jamais avoir de certitudes ? Qu’est-ce qu’on est, de quoi on a besoin et pourquoi. Si on répond vraiment à ces questions, on se fait peur.
Le sable fin et chaud sous ses pieds nus, puis humide et plus dur, et enfin la fraîcheur de l'eau. Trente ans qu'elle n'avait pas fait ça. Quelle folie d'avoir laissé passer tout ce temps.
Elle ne se sent pas seule ici, elle ne l'est pas.Elle est entourée de tous les génies imaginables à chaque seconde. Il lui suffit de mettre n'importe quel disque, de plonger dans n'importe quel film, d'ouvrir n'importe quel livre. Elle parle à ses fantômes en permanence.
Tout a un sens et une fonction sauf l’être humain. Tout était déjà là avant nous. Les animaux et la nature ont besoin les uns des autres mais l’humain ne sert qu’à lui-même. Donc il peut disparaître. C’est ce que les mecs de la tech montrent tous les jours à force de construire un monde numérique. Si on est une espèce qui détruit la planète, peut-être qu’on est un accident et qu’on n’aurait jamais dû voir le jour.
La plupart des gens sont seuls, ou se sentent seuls, ou ont peur de l'être. Peut-être est-ce pour ça que certains se comportent de manière vraiment merdique. Mais je ne me demande plus jamais pourquoi les gens font ce qu'ils font. Quand on relie entre elles les choses qu'ils choisissent de nous montrer d'eux-mêmes, on trouve facilement l'origine du problème, mais l'impuissance face à ça est toujours un crève-coeur. (Incipit)
Peut-être est-ce pour ça que maintenant elle fuit un tas de choses, parce que sans doute que la terreur est toujours là, tapie pas loin, et qu'elle peut revenir à tout moment.
Elle retourne dans l'entrée chercher ses sacs qu'elle emporte dans le salon et s'accroupit pour les ouvrir. Les déménageurs n'arriveront que dans cinq jours mais ce qu'elle a apporté suffira d'ici là. Du plus gros sac elle extirpe la couette, qu'elle est parvenue à compresser, en prenant soin de ne pas faire tomber l'ordinateur glissé dedans. Du deuxième elle sort l'oreiller avec la taie, le drap, la serviette, le rouleau de PQ, la cartouche de cigarettes, la trousse de toilette, les quelques tee-shirts, culottes et chaussettes de rechange. Pour le reste, elle fera avec le jean, le pull et les baskets qu'elle a sur elle. Elle emporte le dernier sac dans la cuisine pour étaler son contenu sur le plan de travail. L'assiette, la casserole, la passoire, la fourchette, le couteau, le mug, la boule à thé, le paquet de thé, les pâtes, l'huile d'olive, et le morceau de parmesan qu'elle a failli oublier ce matin dans le réfrigérateur de Margot. Elle va ensuite mettre le rouleau de papier dans les toilettes, la serviette et la trousse dans la salle de bains, puis elle revient chercher ce qui est pour le lit et emporte le tout dans la chambre du fond. Elle a beau avoir dormi tout du long dans le train, elle a besoin d'une sieste.
(p.23)
La beauté est faite pour les gens qui ont le temps de l'absorber.