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EAN : 9782080816313
237 pages
Flammarion (04/01/1999)
5/5   1 notes
Résumé :
La matière de ce livre est la pierre chinoise considérée dans ses formes statuaires ; c'est l'expression originale de la Chine dans le solide et le volumineux. Cette matière, la plus pesante, et encombrante, la plus visible, par une anomalie dont il est peu d'exemples dans l'histoire des arts, se trouve avoir été jusqu'ici la moins vue, tenir la moindre place dans les répertoires déjà copieux des arts - impondérables ou plastiques - du grand pays dont j'ai fait mon ... >Voir plus
Que lire après Chine, la grande statuaire. suivi de Les origines de la statuaire de ChineVoir plus
Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
J'ai cherché longtemps la trace dans la pierre des temps Confucéens, de ces faits légendaires et humains, presque trop exemplaires et si humains. On peut distinguer dans les "temps Confucéens", la vie proprement dite du Sage, 551 à 479, de la chronique dont il est l'auteur, le célèbre "Printemps et Automne", qui va de l'an 722 à 481. C'est l'époque de la Chine formaliste, féodale, rituelle, balancée, si minutieuse dans ses préceptes que l'on ne peut conclure qu'à beaucoup de grossièreté native chez un peuple qui réclamait qu'on lui mette ainsi à chaque pas la semelle dans une ornière bien prévue ; si mal habillé, ou si négligent de corps, qu'il fallut régler par décrets la longueur des manches, le nombre de boutons ; si peu sûr dans ses sentiments sociaux, qu'il fut obligatoire de lui en imposer tout au moins l'apparence, en l'obligeant à des "maintiens". - Il est vrai que le désir d'apprendre était aussi vif que celui d'enseigner. Les Chinois de Tcheou furent d'aussi bons élèves que Confucius fut bon instituteur. Et la "classe" durait encore, depuis deux mille cinq cents ans, il y a quelques années à peine.

Les origines de la statuaire de Chine, 1917.
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Enfin, postérieurs de vingt-six ans au Tigre assis de Fong Houan,
antérieurs de quelque quatre-vingts à ceux de Kao-yi et de Fan
Min, relevant donc de la même période de sculpture, mais situés
tout à l’opposé de la Chine, au Honan, subsistent encore, ou
subsistaient en 1909, quelques fragments d’un animal appelé
«lion » par les textes, par Chavannes et par Sekino, qui l’exhuma
dans le champ de sépulture de Wou-leang-tseu. On a recueilli la
tête qui est bien celle d’un grand félin; une partie des flancs;
les moignons des pattes d’avant attenant aux débris du socle. Ceci
ne peut s’appeler une sixième statue Han, et les reproductions
qu’en publia le découvreur ne permettent aucun exercice critique;
la date (147 après J.-C.) et l’emplacement (champ de sépulture
enrichi d’autres monuments d’un haut intérêt) sont à retenir. On y
reviendra.
Donc au Sseutch’ouan cinq statues de pleine ronde-bosse; deux
intactes (les Tigres ailés de Kao Yi), trois diminuées et les
débris d’une sixième, voilà ce que l’on possède, ou que je crois
être connu relevant, sans conteste, des temps des Han postérieurs.
Ces spécimens sont, à mon avis, les seuls que l’on puisse dire
authentiques. Leur expertise est faite par les textes qui les
signalent, les lieux où on les rencontre, les inscriptions qui les
désignent et les datent. Il n’en est pas de même des nombreux et
misérables tessons de pierre que les fossoyeurs pour marchands
d’antiquités inventent ou racolent depuis quelques années et
envers lesquels une grande défiance s’impose.
Qu’il s’agisse des Han orientaux ou de leurs prédécesseurs, on
voit donc que leur statuaire n’est aujourd’hui représentée que par
des types animaux. J’ai longtemps cherché dans les textes
l’indication d’une statue d’homme: un visage humain, une face en
style des Han. Les che-jen «hommes de pierre » du temps des Han
abondent dans les chroniques révisées sous les Ming, ou même sous
K’ien-long, ce qui prouve leur existence persistant jusque-là.
Malgré mon désir, ma hâte, ma ferveur à considérer face à face une
pierre façonnée en visage humain de ce temps, je n’en ai pas
rencontré une. Sans doute, non loin de la bête Wou-leang-tseu,
Sekino a-t-il signalé l’existence d’un «homme de pierre »... Le
fait qu’aucune reproduction n’est donnée permet de douter de leur
apparence «humaine » ou de leur identité. Et pourtant, à K’iu-hien
du Sseutch’ouan, en pleine région des tombeaux précités, à
quelques li du Tigre assis, les textes géographiques me
signalaient, dans un village nommé «Village de l’Homme de
pierre », la présence d’une statue conservée.
Je l’ai trouvée -difficilement -car elle gisait parmi les blés
déjà hauts. C’était un grand corps allongé, gris de rocher, étendu
de son long, de tout son long (près de six pieds), sur le sol, usé
comme le bloc vieux sur lequel cent générations ont posé le pied,
une sorte de longue tunique dont la taille est à peine accusée,
point de pieds, et la tête, enfouie face en avant dans le sol...
La grandeur des plis droits, la majesté de la statue, le lieu
surtout, petit village aujourd’hui, et sous les Han «antique et
opulente cité Tch’ong », permettaient de le rapporter à ces temps.
J’eus, durant quelques instants d’oppression, -la course, la
ferveur de la trouvaille -l’espoir de contempler, visage à visage,
un homme Han! Il fallait, à grand renfort de paysans, soulever,
retourner, enfin dresser l’énorme individu. Les paysans, appelés,
se mirent à rire: on ne soulève pas un être immense étendu depuis
«l’Antiquité ». Mais les premiers coups de pioche m’arrêtèrent:
l’être était décapité! Ainsi toute chance d’une face humaine
gisant là m’était refusée...
Je n’ai donc pas vu de visage humain sous les Han, taillé dans la
pierre, et de proportions sculpturales. Sans doute, un peuple de
statuettes de terre cuite (les Han furent des potiers experts) est
là pour nous en donner les répliques, mais ce ne sont que jouets
des doigts dans la substance molle. Par une décevante
constatation, il semble que jusqu’au moment où de nouvelles
découvertes exhumeront l’inattendue figure humaine, il semble que
le seul visage en ronde-bosse, taillé de grandeur humaine dans la
pierre si chinoise des Han, soit celui d’un être non chinois, le
barbare Hiong-nou, renversé, vu à l’envers, entre les paturons du
vieux cheval! Le masque horrible au lieu de la noble et classique
figure possible...
Il faut maintenant arriver à des monuments des Han proches des
statues déjà citées, dans les mêmes champs de sépulture, que leurs
formes, en apparence architecturales, m’avaient tout d’abord
incliné à rejeter de cette histoire de la Grande Statuaire
proprement dite. Ce sont les Piliers honorifiques des Han.
Monuments paradoxaux, insolites, sans liens apparents, mais
nombreux désormais, et que nous pourrons, sous les espèces les
plus dissemblables, sérier avec un résultat inattendu.
Les Chinois les nomment k’iue, mot aux sens multiples tels que:
porte de palais, tour de garde, ville impériale, enfin, piliers de
pierre qui, au Tai chan, étaient élevés autour de l’autel pour la
cérémonie Fong. Ce nom serait à conserver s’il était moins
dissonant dans une phrase française. La traduction monumentale en
est difficile. Pilier implique pour nous tout autre chose. Colonne
est trop mince... Pilier décidément est le meilleur, et d’habitude
se précise: pilier funéraire. Pilier des Han orientaux me paraît
être le terme moyen car ils n’apparaissent jamais hors du temps
des Han et si le plus souvent ces monuments décorent et signalent
un champ de sépulture, il s’en trouve au moins un qui, sans aucun
mort sous sa garde, désigne l’orée d’un lieu célèbre.
La découverte, l’étude, l’exégèse des premiers piliers connus
doivent se rapporter entièrement à Édouard Chavannes. Ce sont les
piliers du Chantong et du Honan. Pourtant ce n’est point l’un de
ceux qu’il découvrit et décrivit qui puisse se donner ici comme
type initial de pilier. On le verra, en effet, parmi les types
divers, les piliers étudiés par lui échappent à toute étude sur la
statuaire. Je voudrais au contraire laisser voir, et graver, comme
première impression de ces très habiles monuments, celui qui m’a
paru le plus simple, le plus pur, le plus sculptural parmi les
trente actuellement connus, celui de Fong Houan, à K’iu-hien du
Sseutch’ouan (figure 15).
On en devine la structure totale, élégamment équilibrée. De bas en
haut se superposer: un socle en forme de dalles, caché par l’herbe
(le pourtour hexagonal de blocs de grès est moderne), un fût
légèrement trapézoïdal, puis un étagement de poutrelles, une
collerette gravée, un étage de chevrons. Enfin le toit. Le tout
est fait de six blocs de grès, superposés sans ciment apparent,
parfaitement appareillés et sculptés. «Sculptés » ne veut pas dire
ici décorés, ornementés, mais taillés sur toutes leurs faces selon
un volume harmonieux. Ces monuments, vus et décrits dans leur art
propre, ajoutent à l’art des volumes sculpturaux un apport neuf.
On voit pourquoi ils ne peuvent être confondus avec un appareil
architectural: bien qu’ils soient faits de six blocs superposés,
il n’y a ni maçonnerie ni travail d’architecte. Le socle est
commun et semblable à celui des statues précédentes, et simplement
séparé. Le fût est monolithe. C’est une statue faite, comme il
arrive souvent, de plusieurs «morceaux » de pierre dont les
accords, ici, sont tous horizontaux. Ces piliers ne sont pas des
monuments. Celui que nous avons sous les yeux est une vraie
statue, la réduction et la formalisation dans la pierre à trois
dimensions d’un objet, d’un «modèle » concret dont il faut
maintenant rechercher la nature.
Car une statue, antique surtout, et jusqu’à nos jours, prétend
«imiter » un modèle, vivant ou concret. Les tigres, les lions, le
cheval et l’homme déjà vus, avaient pris leurs modèles chez des
humains ou des félins de peau bourrée de chair et d’os. Ici
l’emprunt de forme est fait non plus au règne animal, mais au
règne architectural: de là la première impression fausse
d’architecture donnée par notre «statue » proprement dite. De là
la directive de recherche du modèle.
Ce n’est pas une colonne, ai-je dit. Moins que jamais: la
complexité longitudinale du fût est visible. Une colonne «porte »
quelque chose ou quelqu’un. Ceci est coiffé d’un toit, objet
recouvrant, abri, et non exergue. Le mot pilier, à vrai dire,
n’est pas plus satisfaisant, mais l’analyse de la décoration de
chacune des parties permet d’aller beaucoup plus loin.
Le toit, plat en réalité, ou à peine concave dans ses arêtes, bien
que la courbe des nervures, d’en bas, paraisse accuser la corne
connue, n’est rien moins qu’un toit de maison chinoise de tous les
temps. D’autres documents nous apprennent que les Han accusaient à
peine la courbure et que leurs descendants ont outré, jusqu’à la
caricature, la pointe crochue dans les airs. Ici, l’imbrication
des tuiles est normale. C’est un toit d’habitation, de bâtiment
chinois, palais ou bicoque, ou temple, et rien de plus.
Sous le toit, tout naturellement, le soutien du toit: chevrons
taillés d’une forme particulière, en U, chevrons analogues à ceux
de nos jours; toutes pièces de bois. De même que la pierre imitait
la tuile sur la superstructure, ici elle se taille suivant les
faces habituelles du bois. On sait quelle importance malheureuse,
déplorable, le bois et la brique, -surtout le bois -matériaux
caducs et périssables, eurent dans la construction chinoise où les
monuments de pierre apparaissent prodigieux et se citent un par
un. Donc, sous le toit de tuile, et jusqu’au socle (dalle «imitant
une dalle de pierre »), tout sera charpente de bois «traitée dans
la pierre ». L’étage dit «des abouts de solive » est le plus
caractéristique: c’est l
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C’est tout à l’autre bout de la Chine occidentale et tout à
l’ouest du Sseutch’ouan que se placent et se découvrent, opposés à
l’extrême dans le type, riches, complexes, abondamment décorés,
profusément sculptés en presque pleine ronde-bosse, les piliers à
étages nombreux, à couronnement bien développé dont je proposerai
comme exemple la paire de piliers de P’ing-yang, aux environs de
Mien-tcheou (N.-O. de Tch’eng-tou).
Il y a dans ce choix la double raison suivante: grande abondance
et réussite de la sculpture à trois dimensions; conservation
unique de la paire de piliers, complète, avec les deux
contreforts, toits, et socles dans tout leur apparat primitif.
Leur trouvaille est aussi un bon exemple, presque une leçon -rude
-des aléas qui marquent une telle chasse à courre (la queste à la
licorne, la queste au chef-d’oeuvre lancée à travers tout ce
livre).
Le répertoire archéologique le mieux fait du Sseutch’ouan, le
Kin-cheyuan (Jardin des pierres et métaux) ne signalait pas leur
existence. Les Chroniques provinciales les plaçaient à «huit li à
l’est de Mien-tcheou ». Selon l’usage, dès notre arrivée à
Mien-tcheou, après visite officielle à la préfecture, -échange de
politesses rapide mais nécessaire, -nous nous empressions de poser
la question: «Où se trouvent les piliers de P’ing-yang? »
Étonnement. Un peu de trouble dans le yamen. On ne sait pas. On
s’étonne poliment que des étrangers s’inquiètent de ces choses...
On ne sait pas. On fait venir un vieux lettré. Il relit avec un
grand sérieux le texte des Chroniques, mais ne peut rien dire...
Des secrétaires, des satellites, des parasites surviennent...
Personne, à si petites distances... une lieue à peine... (la lieue
française étant de huit li chinois) personne n’en a connaissance.
Et ceci, joint au fait que le Kin-che-yuan, ce précieux guide, ne
les signale pas, fait croire un peu hâtivement, un peu
paresseusement à leur absence, à leur disparition. Inutile de les
chercher, li par li, vers l’est, dans un rayon de huit li : s’ils
existent ce ne sont plus que des débris informes, meulés, que le
hasard seul peut indiquer. Ils ont plongé dans la terre violette
et grasse, la terre aux récoltes abondantes des rizières du
Sseutch’ouan qui dévore les champs de sépulture et jusqu’aux
routes, afin de mieux nourrir ses soixante-dix millions de
vivants... Et la mission Voisins, Lartigue et Segalen en a fait
son deuil, un peu vite...
Si bien qu’au retour d’une expédition dirigée sur un tout autre
but, huit li précis à l’est de Mien-tcheou, nous sommes tout
surpris d’entendre un de nos gens -Tcheou le palefrenier -
s’écrier: les Piliers! les Piliers! Il les avait cherchés comme
nous, et maintenant qu’ils étaient là, à deux cents pas, à droite
de la route, et que nous allions, tête baissée de fatigue d’une
étape de cent vingt li, les manquer à notre dernier passage, il
nous les signalait avec un bel à-propos.
Tcheou ma-fou avait acquis de ce fait le droit d’être
«portraituré » près des piliers de P’ing-yang. Malgré l’absence
volontaire de l’homme chinois moderne dans la plupart de nos
dessins de Chine antique, le voici, «donnant l’échelle »; la main
gauche familière sur l’épaule du pilier-contrefort de droite de
P’ing-yang (figure 16).
Ces piliers sont faits de sept parties étagées ainsi: socle, fût,
deux étages d’encorbellements, une frise, l’entablement, le toit.
Bien que l’usure de la pierre sableuse, mauve et grise, du
Sseutch’ouan soit assez avancée, on voit encore à quelle richesse
et quelle abondance atteignent les étages supérieurs.
Il est indiscutable que l’ensemble n’a plus sa primitive pureté de
lignes. Le monument est enterré d’environ trois pieds, ce qui
l’écrase, diminue son élancé, l’étale en largeur, et accuse la
lourdeur du couronnement. Ce pilier semble un être à grosse tête.
On y retrouve le bâtiment initial, compliqué de toutes les
caractéristiques d’origine, mais ici la pureté est détruite. C’est
bien encore la statue d’un t’ing, et pourtant cette statue n’est
plus un chef-d’oeuvre statuaire.
Le pilier contrefort, que l’on voit ici conservé, bien qu’usé dans
toutes ses parties, ne s’explique guère du point de vue décor dans
l’espace. C’est en réalité, un demi-adjuvant. Je ne connais pas,
dans l’architecture chinoise, d’emploi du demi-ting. Il faut
reconnaître que, peu nécessaire à un oeil européen, son
utilisation est ici aussi adroite que possible. Et quand on a
reconnu et dessiné un nombre sans cesse croissant de ces piliers,
on finit par les expertiser, dans leur paire et leur quadruple
hypostase, selon un art hybride qui leur deviendrait propre.
En revanche, les piliers du groupe de Mien-tcheou, piliers
complexes (3), composites, nous offrent tout à coup une richesse
de volumes et de formes, une abondance de morceaux «sculpturaux »
que la discrétion du pilier de Fong Houan ne laissait pas
supposer, que la rudesse laide et gauche des piliers maçonnés du
Honan et du Chantong rendait même peu espérables.
Entre les trois types extrêmes choisis: 1) pilier épigraphique,
maçonné, simple et pauvre de T’ai-che; 2) pilier pur, -statue -de
Fong Houan; 3) pilier décoré de P’ing-yang, se placent un certain
nombre de monuments analogues ou intermédiaires.
Les piliers de Kao Yi, qui avoisinent le beau tigre ailé déjà cité
comme type du félin sous les Han, appartiennent au type composite
de P’ing-yang. L’un d’entre eux n’est plus qu’un fragment; l’autre
mieux conservé présente une décoration plus sèche, parfois
maladroitement tumultueuse. Dans la même région se trouvent des
piliers laids et délités dont on ne peut dire si la laideur tient
à l’usure ou aux proportions initiales. Enfin, vraiment
intermédiaires entre Fong Houan et P’ing-yang se placent les deux
piliers de Chen, d’un art à la fois orné et délicat.
Ils sont plus étoffés, plus trapus que le pilier de Fong Houan, et
sans aller jusqu’à la «grosse tête » de P’ing-yang, ils présentent
un couronnement développé et fort décoratif sur lequel
apparaissent les plus belles petites statues en presque pleine
ronde-bosse que l’on dira tout à l’heure.
Or, ces piliers, divers, -au nombre d’une trentaine -totalement
inconnus de nous autres Blancs au début du siècle, et qui viennent
ainsi représenter à la fois la statuaire et l’architecture des
Grands Han, ces premiers témoins de la plus grande dynastie sont
vraiment de bien étranges, de bien insolites et mystérieux
monuments chinois.
Ils semblent apparaître brusquement dans les premières années de
notre ère chrétienne. Ni les textes les plus anciens, ni les
trouvailles les plus récentes ne parviennent à leur faire franchir
l’an zéro. Ce sont donc des épisodes soudains des Heou Han, Han
postérieurs, régnant à Lo-yang. Ils disparaissent d’ailleurs, non
point avec eux en 221, mais avec ce prolongement dynastique des
Han, qui sous le nom logique de Chou Han, Han du pays de Chou, aux
temps célèbres des Trois Royaumes, posséda pour quelques années de
plus, l’immense pays du Sseutch’ouan. Depuis, l’on n’entend plus
parler de ces piliers.
Sous les Han postérieurs, ils durent être abondants, copieux,
demandés, réclamés sur le terrain de toute sépulture riche. Le
fait est qu’on les trouve conservés, dans une proportion
inattendue. La statistique, toujours fausse, et aisément faussée,
peut intervenir ici. Il est probable que toute sépulture
«mandarine » élevée à l’époque des Han, qui régnèrent quatre cents
ans sur un pays immense, fut ornée de statues animales, peut-être
humaines. Or, on l’a vu, nous en possédons en tout six et les
débris d’une septième. Les piliers, au contraire, nous offrent une
trentaine de monuments dignes d’étude. Donc, si les mêmes causes
détruisent les uns et les autres, le nombre des piliers dut être
bien supérieur à celui des statues. Mais ceci peut être discuté.
Une statue de pierre, même sacrée, est, en Chine, quelque chose de
très périssable. Non pas que le Chinois ne respecte pas
l’antiquité: il la respecte au point que des Européens qui
ignorent tout de la Chine ont fait de cette vertu une vertu
proprement chinoise. Seulement il faut compter qu’en Chine, bon
gré mal gré, le vivant d’aujourd’hui, du temps présent, se
reproduit et croît. Et qu’un vivant n’a d’autre moyen d’existence
que de se nourrir des produits de la terre. Tout en Chine, se
résume en la terre, dans le sol. Un sol sacré qu’on n’ose toucher,
ni fouiller, mais que l’on cultive avec soin, et qui dévore les
morts. C’est ainsi que la plupart des sépultures sont ensemencées,
que les tumulus sont rasés, les emplacements détruits. Cela est
surtout vrai en ce pays béni du Sseutch’ouan, où la terre de belle
couleur sombre et mauve donne trois récoltes par an, où les hommes
sont si nombreux qu’ils préfèrent «porter » pour manger et
expulsent la bête de faix concurrente.
Et si, dans cette invasion, les piliers furent davantage
respectés, c’est que les piliers n’avaient pas, auprès des
antiques Chinois, le même caractère que les statues, celui d’être
-ainsi que je l’ai posé, d’un point de vue plus vaste que celui de
l’antique Chine même, une Statue -, mais de porter, en caractères
les noms et titres du défunt. Le pilier, du point de vue chinois,
du regard chinois, est une stèle. Ceci explique sa préservation
relative, le respect dont on entourait sa base. Respect relatif
lui aussi, puisque l’un des plus beaux piliers, anonyme il est
vrai, de la région de K’iu-hien, penche, penche jusqu’à la chute
prochaine dans la rizière nourricière, où il va, bientôt, choir et
disparaître (figure 17).
Stèles et piliers, confondus dans le chapitre qui va suivre -et
clôturera l’époque Han -vont nous servir à prolonger dans le
volume de pierre, -sous petite taille mais grande allure -
l’exemple et la connaissance de l
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VI Prolongements Posthumes Des Han. Le Vide Des Tsin.

(IIIème-IVème Siècles.)

Et les Tsin étant bien morts, la grande division s’accomplit. Pour
la première fois depuis deux mille cinq cents années, l’Empire,
terre unique, patrimoine du Ciel, orbe indivis sous le Ciel, est
partagé entre les hommes fils de Han et les barbares. Ceux-ci, les
T’ouo-pa de Wei, tiennent désormais toute la terre du Nord; les
vallées ataviques de la vallée de la Wei et du fleuve Jaune; les
terres les plus pétries des Anciens, les tombeaux les plus
chinois. Sans doute, et c’est là le plus grand hommage qu’ils
puissent rendre à leurs devanciers, ils s’emparent aussi des
coutumes ou les acceptent, s’en revêtent, parlent le chinois, et,
ornés de défroques magistrales, jouent parfaitement le grand drame
des Rites. Mais plus malencontreusement ils apportent avec eux, -
ayant franchi par caravanes les couloirs du Turkestan noir, -
certaines croyances, non nouvelles sans doute à la Chine, mais
étoffées d’une réalisation dans la pierre totalement inconnue à la
Chine C’est par cet art importé qu’il faudra bien, ces barbares, -
mais seulement au chapitre suivant, -les admettre dans ce livre de
la pierre chinoise, -les admettre pour mieux les en exclure.
Fort heureusement, au sud, réfugiés derrière l’estuaire immense du
Grand Fleuve, pour la seconde fois rempart de la Chine classique,
d’autres princes, nouveaux venus à l’Empire, mais purement
chinois, tenaient la grande tradition dynastique. L’Histoire
refuse à très juste titre aux gens du Nord la transmission du
Mandat du Ciel qui, des Tsin passe aux Song, la première des
«dynasties du Sud ». Les Song la transmettent involontairement
mais fatalement aux Ts’i, les Ts’i aux Leang, les Leang aux
Tch’en. Mais les quatre dynasties du Sud qui vont se succéder en
moins de deux cents ans sur le trône méridional, le seul légitime,
forment une seule époque. Malgré leurs sauvages dissensions, leurs
débats, les meurtres, les usurpations intestines, leurs Empereurs
sont reliés par un même pouvoir. Ils se battent et se dévorent
entre eux; mais ils se battent en famille, et non moins âprement,
et beaucoup mieux, contre les envahisseurs étrangers. C’est à eux
que l’on doit cette continuité chinoise de l’histoire en cette
période si malheureusement dédoublée. Ils forment au sud un tout
homogène, classique, et n’ont qu’une seule capitale: Nankin
d’aujourd’hui, bien nommée «capitale du Sud », mais qui se désigne
sous leur règne Kien-k’ang ou Tan-yang. Enfin, pour les unir
davantage, il se trouve que deux de ces dynasties, celles des Ts’i
et des Leang, relèvent plus que d’une parenté politique, d’un lien
tout familial qui leur fait porter à toutes deux pour nom
patronymique: Siao. Et, au centre, plus fort que ses prédécesseurs
qu’il abat, plus vaste que les fantoches qui le suivent, se
dessine la personnalité de ce Siao, prince de Leang, qui,
parvenant à l’Empire en 502, nomma sa dynastie Leang, du nom de sa
principauté, et qui fait le pivot de toute cette époque.
Cet homme est le socle de tout ce qui va suivre. Il n’est pas le
premier, mais le plus fort. Sans lui l’histoire de la Statuaire se
réduirait, au VIème siècle, à quelques grotesques. Je propose
d’attacher son nom à ce style, à cette époque, celle des Leang, en
ajoutant: «de la famille antique de Siao ». La chaîne
traditionnelle chinoise ainsi est intacte.
Comme un possesseur de terre, dans la noblesse héraldique
européenne, Siao est un nom de terroir. Le nom de Siao prend
naissance en un point précis du sol d’Empire et se prolonge
jusqu’à nos jours (il existe dans le Kiangsou, province actuelle
de Nankin, une sous-préfecture dite Siao-hien, dépendante de
Sintcheou), mais, pour plus de noblesse, les Siao prétendaient
remonter au Déluge, c’est-à-dire en Chine au tribut de Yu. Les
dates, d’ailleurs, sont là, très précisément pour en témoigner.
Leur ancêtre, disent les Chroniques, fut Ti-k’ou, Empereur des
années 2436 à 2366 avant l’ère chrétienne. Ti-k’ou est assez
légendaire; mais son contemporain biblique, Abraham, lui du moins
est certain, affirment les annales juives. Et, de même que de
branche en branche on descend l’arbre de Jessé, et que
l’énumération se poursuit, -Isaac engendra Jacob, Jacob autem
genuit... -de même on peut suivre à travers des textes, non plus
hébraïques mais chinois, non plus traduits mais autochtones, la
descendance de Ti-k’ou jusqu’à Tchong-yen, onze cents ans avant
J.-C., puis jusqu’au nommé K’an, descendant au huitième degré de
Tchong-yen. La renommée militaire commença avec le petit-fils de
ce dernier, Ta Sin, qui, en récompense d’un succès, fut nommé
prince feudataire de Siao et transmit ce nom devenu patronymique,
mais la gloire historique et la fortune ne se montrèrent que sous
la dynastie des Han. On n’a pas oublié comment se fit, après
l’écroulement des Ts’in, la course à l’Empire, et par quels moyens
populaires, paysans et bourgeois, le fondateur des Han arriva bon
premier: il avait d’excellents amis, et parmi ceux-ci, Siao Ho. En
retour il le nomma ministre, et, depuis, la famille ne dégénéra
point. Des Han aux Ts’in et aux Leang, les Siao sont en bonnes
places, successivement ministres, notaires, précepteurs impériaux,
censeurs, «officiers de grand mérite », préfets, docteurs en tout.
Ainsi, la grande tradition n’était point abandonnée, et ceci qui
ne grandit point l’Empereur Leang Wou-ti, fils de ses oeuvres,
montre pourtant comment il pouvait prétendre à tout dans ce pays
où l’on verra un valet de moine (Hong-wou) parvenir à l’Empire.
Cette rapide liste ancestrale n’a d’autre but que de préciser les
droits réels de Leang Wou-ti à tenir solidement contre le Nord
étranger la lignée de la Chine archaïque.
Vers 490, les Siao, père et fils, eurent à manifester leurs
talents héréditaires. Leurs parents régnaient déjà sous le nom de
Ts’i méridionaux. Un autre Siao, prince de Pa-tong se révolte.
L’Empereur Ts’i Wou-li confie à Siao Chouen-tche, alors préfet de
la capitale, le soin de calmer le parent rebelle; ce qu’il fit et
avec plein succès.
Mais déjà Siao Chouen-tche avait servi la dynastie et peut-être
même avait-il contribué à lui donner le trône. Aussi les titres
montent-ils avec la faveur: il est successivement ministre,
commandant des gardes du corps. précepteur du prince héritier,
général en chef, préfet de la capitale, et reçoit après sa mort,
vers 492, le titre doublement de circonstance, de Général
pacificateur du Nord.
La mort d’un père est, en Chine surtout, l’occasion officielle
d’une manifestation de piété filiale. «Or, disent les textes, le
futur Leang Wou-ti avait été doué par la nature d’une piété
filiale très profonde. Âgé de six ans, quand il perdit sa mère, il
s’interdit en signe de deuil toute nourriture délicate. Pendant
trois jours, rien que des lamentations, des larmes, une affliction
excessive. A la mort de son père, il était conseiller du prince
Souei, dont la cour se trouvait à King-tcheou, au Houpei. Avant
même que la triste nouvelle fût confirmée, à peine l’eut-il
apprise, il quitta charge et procès et fila comme une étoile. Sans
sommeil, ni nourriture, il doubla les étapes. La fureur des vents
et les dangers de la tempête ne furent rien pour lui: il ne
s’arrêta pas un instant. Il avait toujours été d’un physique
prospère. Revenu à la capitale de l’Empire où son père était mort,
il devint maigre à faire peur, et n’était plus qu’un squelette. Ni
ses proches, ni ses parents, ni ses collègues, ni ses amis ne le
pouvaient plus reconnaître. A la vue de la demeure où reposait la
dépouille mortelle de son père, il s’évanouit, et longtemps resta
inanimé. A chaque lamentation il crachait plusieurs chen de sang
(mesure pour le riz d’une contenance d’un peu plus d’un litre).
Durant son deuil, il s’abstint de riz. Il se contentait de farine
d’orge et ne s’en accordait pas plus de deux I (moitié du chen)
par jour. A la visite rendue au tombeau de son père, là où
tombaient ses larmes et le sang qu’il vomissait, les plantes et
les arbres s’attendrirent au point que leurs feuilles en
changèrent de couleur. »
Son père étant mort, le futur Empereur continua la tradition de la
famille, qui était de décidément batailler pour la dynastie sa
cousine, qu’il avait mise sur le trône, et de batailler avec
gloire. Il tenait en respect les redoutables Wei et, dans le sein
même de l’Empire, étouffait des révoltes. Mais, s’il est vrai
qu’un digne fils doit surpasser son père (ce qui est tout à fait
légitime puisqu’il l’honore d’autant) Siao Yen (4) aspirait à
beaucoup plus qu’à un titre de «Général pacificateur ». Il voulut
donner à l’Empereur une leçon de sa main en plaçant sur le trône
le propre frère de l’Empereur, un garçon de quinze ans. Ceci est
de la plus pure tradition chinoise: on ne se présente pas soi-
même, on se fait représenter. On n’usurpe jamais, on convoite le
trône. Les généraux fidèles le refusent et résistent. Ils sont
vaincus. L’Empereur est assassiné par la main d’un «traître » et
le protégé de Siao Yen devient Empereur. Ceci est si bien reconnu
comme pure tradition chinoise, donc humaine, que l’Impératrice
mère, pour reconnaître les mérites traditionnels du puissant
ministre le nomme duc de Kien-ngan, puis duc de Leang; il refuse
avec politesse. En réplique, il est fait officiellement prince de
Leang; il refuse encore, mais la décence l’oblige à accepter. Or,
vingt-quatre jours plus tard, l’Empereur abdique. Le nouveau
prince, par devoir, résiste d’abord, mais sollicité par tous les
officiers, pressé impérieusement par l’ordre formel de l’Empereur
qui s’en va, il obéit, et accepte la dignité impériale.
L’avènement a lieu au jour de la quatrième lune de l’année 502 (30
avril), -et comme il sied, au milieu
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J’ai dit que les chimères paraissaient réservées aux sépultures
proprement impériales, les lions ailés aux tombeaux seulement
princiers; l’une et l’autre bête étant caractérisées, en dehors de
l’allure générale et du résultat esthétique, par des attributs
précis: la chimère présente une échine protubérante, squameuse, le
lion, une échine creuse, en sillon; la chimère est cornue, garde
sa langue dans sa bouche, et joint son menton au poitrail par une
barbe postiche; le lion se lèche le poitrail; la chimère porte la
tête haute, le lion la rejette en arrière.
C’est donc avec un peu d’étonnement que je découvris, à l’endroit
même où les Chroniques affirmaient l’existence du tombeau de
l’Empereur Tch’en Wou-ti, enterré en 559, un couple d’animaux qui,
manifestement. n’était ni lion, ni chimère, mais le produit
bâtard, mal bâti, de tous les deux: fils d’une chimère des Tsi
fécondée traîtreusement par un lion des Leang! Ces bêtes n’ont
point la colonne vertébrale creuse ni convexe, mais lisse. Elles
n’ont point de cou, mais une crinière; la langue leur reste dans
la bouche, mais un tenon lourd forme barbe et joint le menton au
poitrail. La croupe, les formes sont molles comme celles de leur
mère. Comme tout bâtard, ils ne sont point beaux et comme dans
tout métissage. ces deux animaux rappellent l’un leur mère et
l’autre le type paternel.
La bête de gauche (figure 36) est voisine du type lion, mais le
mouvement, malgré la grande obliquité des pattes, reste lourd. Une
langue maigre bave, non pas sur le poitrail, mais sur la barbiche
monolithe. La queue est torve, l’échine est lisse. Deux petites
oreilles molles, comme celles des lions; mais le sillon postérieur
entre les deux masses de la crinière ne commence qu’au bas de la
nuque. L’aile est grossière, plate, non empennée.
La bête de droite (figure 37) ressemble à sa mère devenue vieille,
-sort, hélas, de toute jeune fille! La tête est beaucoup plus
haute, le cou moins cabré; seule une désagréable arête verticale
rappelle la belle arête courbe des lions. La langue, prolongée de
la barbiche, gagne le poitrail; aucun doute: la bête ressemble à
sa mère, en exagérant son air de vieille dame guindée.
Cet aboutissement des deux types des Leang, des deux spécimens de
la famille Siao est donc, à trente ans près et dès le début de la
dynastie suivante, une pleine décadence; et la pire de toutes: non
point par exagération des formes, mais par mélange, par
incompréhension des types établis.
Je ne sais vraiment, et lui-même l’ignorait, si le maçon qui
tailla dans la même matière -marbre gris veiné de blanc et rouge -
ces deux figures a voulu faire des chimères ou des lions. Mais la
mollesse, l’ignorance, la pente rapide de la tradition l’ont
conduit à un compromis déplorable. Je propose de nommer ces êtres
innommables: les Bâtards de Tch’en Wou-ti.
Et cependant le souvenir du Lion ailé des Leang est si puissant
que, malgré tout, ses descendants dégénérés en conservent sous
certains angles le beau geste cambré, et que, vue de loin, dans la
campagne, cette descendance a grand air encore, auprès des formes
qui suivront.

Des quatre dynasties du Sud, les trois dernières viennent donc de
nous offrir leurs monuments, les témoins de leur style. Restait la
première, celle des Song. Tout monument des Song devait être
antérieur, -et peut-être fournir l’origine de ceux qui suivirent,
mais on n’avait point vu de sculptures des premiers Song. On
connaissait très exactement le nom de leur sépulture: Tombeau de
l’Éternelle Tranquillité. On en connaissait l’emplacement
«historique » sinon «géographique ». On savait comment et à quelle
date Song Wen-ti avait été assassiné mais il ne restait aucune
pierre du monument. Personne encore, sauf des yeux chinois,
n’avait vu de témoin figuré des Song.
Et pourtant les Chroniques indiquaient que près de la porte Ki-
lin-men se voyaient encore deux animaux de pierre... D’autres
textes disaient: l’un est à gauche de la route; l’autre est noyé
dans un étang...
La porte Ki-lin-men est l’un des passages -autrefois puissamment
gardé -de la superbe Levée de terre dont Ming T’ai-hou (le «Hong-
wou » bien connu des touristes, hélas!) entoura sa grande
capitale. Il fallait donc courir à la porte Ki-lin-men, en se
posant la question suivante: cette bête, antérieure à toutes
celles que l’on vient de voir et de décrire, est-elle lion ou
chimère?
Si l’on suit le rite de décorer le tombeau d’un Empereur d’une
chimère, ce doit être une chimère. Mais si l’on observe la loi
d’«esthétique ascendante », de plus grande beauté ancestrale,
souvent vérifiée, cet ancêtre n’est pas une chimère sotte, mais un
beau lion. Il n’est pas possible que le compromis, si
malheureusement réalisé cinquante ans après les Lions de Siao
Houei, dans les hybrides de Tch’en, l’ait été, cinquante ans avant
ces mêmes lions... Est-ce la statuaire ou le rite qui l’emportera?
Cette bête, enfin, qui doit être belle, est-elle lion ou chimère?
Si elle est laide et ridicule, -quelle trahison de la loi
d’ascendante beauté!
Tels étaient les problèmes auxquels je pensais pendant des heures
de marche entre Nankin et l’endroit dit: Ki-lin-men. La promenade
et le problème se déroulaient avec aisance à travers une campagne
ondulée, habitée, banlieue pleine des souvenirs de l’immense
capitale qui fut, et qui n’est plus maintenant qu’une immense
outre vide. Parvenu à la porte Ki-lin-men: rien. Pas une pierre,
pas un tesson. Il fallut tourner vers le nord, remonter pendant
deux li de plus la Levée de terre et arriver au village Ki-lin-men
hia, pour découvrir enfin, à gauche du sentier, dans un terrain
vague mais entourée d’habitations, submergée, noyée, inhumée
jusqu’aux épaules dans une colline de gravats, d’immondices, de
tuiles, de pots cassés, -la Chimère de Song Wen-ti.
Car c’était sans aucun doute une chimère. La loi princière,
impériale, posée de confiance, était bien observée. La tête en
partie brisée, ou plutôt démontée, avait disparu; une barbiche
creusée à vide joignait le menton au poitrail. Pas de crinière.
L’échine n’était pas creusée en sillon. Tout ce qui demeurait
visible était bien d’une chimère. Le principe rituel, honorifique,
était sauf, mais, chose bien plus remarquable, bien plus vraie: la
loi d’esthétique était également confirmée: cette chimère était
belle!
C’est ce qu’un déblaiement hâtif me permit d’établir. Les gravats
et les briques s’écroulèrent en quelques coups de pioche. Les
obstacles les plus sérieux se présentèrent sous la forme d’un flot
d’injures d’une honorable dame, propriétaire de ces lieux,
détritus, gravats et maison voisine et qui se plaignait amèrement
que notre fossoyage allait compromettre gravement l’écoulement de
ses eaux ménagères. Mais nos fossoyeurs, bien payés, continuèrent
à creuser en souriant sous le débordement de reproches. Et l’on
vit peu à peu se dégager le beau morceau de pierre, l’aile gauche,
figurée sous le n° 38.
D’emblée, la facture se reconnaît ici plus fruste, plus ancienne,
plus noble, archaïque dans tous ses éléments. C’est un type
primitif; un ancêtre.
Le cou, sans doute, n’a point la puissance ni la cambrure léonine,
mais il n’est pas grêle comme le «cou de poulet » de Ts’i et de
Leang. Le poitrail est vaste avec ces larges spirales plates, d’un
contour ferme et gras, qui pendent de la tête. Le cou est raccordé
au dos par une bonne ligne souple et au poitrail fortement bombé,
mais d’un galbe très sûr, car il sait être rond sans être mou.
La langue est petite, flexueuse, et ne sort pas de la bouche. La
mâchoire inférieure est rectangulaire. La petite barbiche, très
aplatie d’avant en arrière, se fait pardonner sa maigreur et son
inutilité par le geste évasif de son étalement sur le poitrail, où
elle se perd en trois spirales larges et cossues.
La mâchoire supérieure, le front, le sommet de la tête et
l’occiput, il fallut les chercher à quelques pas de là, dans la
boue. La bête, -et ceci ajoute à cette impression d’archaïsme,
-n’était point monolithe, ou bien la tête avait été brisée et il
avait fallu la refaire... Mais tout le sinciput était rapporté,
posé sur un tenon qui se dresse et donne à l’animal cet aspect
squelettique, dépouillé, décharné. A quelques pas en avant se
retrouvent, enfouies la calotte postérieure et les oreilles,
longues, obliques en arrière, avec de petites ailettes, creusées
plutôt que dégagées dans le volume général. Tout le reste du mufle
manquait.
L’aile droite, squamée dans son tiers antérieur, se découpe en
cinq ou six pennes striées durement comme un volet, mais la
gauche, tout le flanc gauche et la patte antérieure projetée en
avant que l’on découvre jusqu’aux griffes, est un superbe morceau.
L’aile n’est pas ici plaquée mais très élégamment convolvée,
encapuchonnant toute l’épaule. Elle prend appui, non pas au creux
antérieur de l’aisselle, mais au saillant de l’épaule dont elle
vient coiffer la saillie par un enveloppement d’une souplesse
remarquable. D’abord squameuse, elle se prolonge en six grandes
pennes bien séparées, mais en même temps reliées à l’ensemble
tournant du dos, du flanc et du ventre; la surface présente une
élégante torsion, -ceci est un mouvement souple, fort agréable,
sous tous les angles. C’est la solution, peut-être la plus
«statuaire », de ce que je nommerai: le «problème de l’attache de
l’aile chez le monstre volant».
De cette épaule ainsi coiffée partent des ornements contournés qui
descendent sur la jambe: volutes simples, pleines, recouvrant le
coude d’un bourrelet pachydermique. La jambe, un peu courte, est
lancée en avant dans un bon geste. La patte, nerveuse, a cinq
doigts griffus. Le coude et l’avant-bras -on les voit nettement
(fig. 38) -se soulignent en arrière d’une rainure qui met de la
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