"Vos livres sont comme des diamants éternels,
vos livres nous parlent et vos livres nous racontent...
vos livres ont la splendeur des âmes pures
vos livres sont comme la prière des hommes."
Sur le navire qui l'éloigne de New York, Stefane Zweig, auteur Autrichien célèbre, ne peut passer incognito. Sa fuite, il la partage avec sa deuxième femme Lotte et bien d'autres personnes...
"C'est l'époque qui dicte ça" car vit en Allemagne, un monstre qui étend ses tentacules bien au-delà de son territoire.
Août 1941,
Après avoir revécu quelques nostalgies avec son ex-femme retrouvée à New-York,
Stefan Zweig va regrouper ses souvenirs pour ses mémoires.
Sa destination est le Brésil. Cette terre, il la connaît et l'apprécie. Il veut la retrouver pour un nouveau départ avec Lotte.
Simplement de passage à Rio, ville de lumière et d'exubérance, ils sont attendus à Petropolis où on leur prête une petite maison nichée dans un écrin de verdure luxuriante.
Dans ce paradis, Lotte espère. Elle voudrait guérir de son asthme et souhaite que Stefan oublie ses idées noires... "sa bile noire". Elle veut que cette errance prenne fin et que ce choix soit le bon. Dans ce sens, elle n'aura pas tort, cela sera un des derniers
voyages.
Elle a trente ans, lui va fêter ses soixante ans. Toujours un peu jalouse de la première femme, elle veut être sa muse, sa première lectrice, son dernier amour, le sortir de son marasme et des visages défunts qui encombrent la mémoire de Zweig. Elle le vénère son écrivain de mari... elle le bade.
Il a écrit "
Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen". Il parle de ce monde à l'agonie, des êtres aimés et disparus, des splendeurs de sa ville, d'une vie passée... "Retrouver les parfums, les couleurs de ce monde disparu... en capter la lumière. J'ai rallié tous les fantômes du passé...". Une autobiographie qui sera éditée en portugais car l'Allemagne qui est au pouvoir l'a banni.
Il est las, il souffre d'une claustrophobie mentale, elle a peur, elle manque de souffle.
Elle s'enthousiasme du pays, des gens, de la vie, elle essaie de le motiver... Il sait déjà... il a programmé son départ, il l'a écrit, scénarisé. D'autres sont partis avant lui, d'autres ont préféré changer de monde. Mais il veut lui taire. Elle n'est pas encore prête.
Lotte croit en l'alliance des Anglais et des Américains. L'optimisme fait vivre, la croyance aussi. Zweig doute, ne croit plus, "Singapour est tombée !". Les Japonais rejoignent l'Allemagne et l'écrivain anticipe sur un avenir noir. Il voit déjà Hitler maître du monde. Lotte ne voit que lui.
Février, le mois du carnaval enflamme Rio, ils ont dansé toute une nuit pour toute une vie. Elle était dans ses bras et elle le restera.
"- Eh bien... qu'allons-nous faire ?
- Que crois-tu qu'il nous reste à faire ?"
Prier, écrire ? Et voyager... Il est un lieu encore inconnu, mystérieux. Il va lui raconter, encore une dernière fois une histoire.
"- Je vois des visages familiers qui marchent dans des paysages splendides.
- Les gens ont l'air heureux ?
- En pleine extase... Je vois une ville... c'est... Vienne. Je vois des boulevards féeriques et des accueils triomphaux..."
"Les derniers jours de Stefan Zweig" est un album qui condense le livre de
Laurent Seksik. L'auteur a confié les dessins à
Guillaume Sorel qui rend cette histoire magnifique. Les aquarelles sont dominées par des teintes de bleus et de bruns. En photographie, le sépia a une variation de coloris qui est généreusement déclinée dans cet album. Des couleurs douces, passées, nostalgiques. Il s'en dégage de la sérénité, démentie par les dessins, les expressions des visages, les vignettes qui racontent le reich, les camps, la répression, l'extermination... et le texte qui percute le lecteur.
Douceur trompeuse, mélancolie, défaitisme... Lotte se bat pour deux et Zweig renonce. Il s'éteint de voir ses livres brûler, d'être témoin d'un présent maudit, de ne plus retrouver ses repères, d'être un Juif errant, d'abdiquer...
Le contraste entre les deux personnages saisit dès les premières pages. Zweig est fatigué, absent, obnubilé par son autre vie, seulement observateur de ses derniers jours. Quant à Lotte, éperdument amoureuse, elle essaie de conserver une confiance naïve, une impulsivité qui dynamiserait son couple, mais elle s'affaiblit et manque d'air.
Cette dissonance des caractères rend une ambiance pesante, douloureuse et funeste.
Le texte est émouvant, les phrases courtes, les mots très bien choisis.
L'histoire laisse de l'amertume, car même si le final est sublimé par l'écriture et le dessin, je regrette, je rejette, le choix du dernier voyage.
J'ai beaucoup aimé cet album et vous le recommande... Superbe ! et triste à pleurer...