"vous avez lu l'histoire de Jesse James,
comment il vécut, comment il est mort
ça vous a plu hein, vous en demandez encore,
eh bien, écoutez l'histoire de Linda et Harry.
Alors voilà, Harry a de nombreuses conquêtes
elles sont belles et leurs prénoms sont : Mary ; Louise ; Tyna ; Irma ; Cherry...
Femmes infidèles, il les choisit mariées
pour Harry, pas question de s'attacher.
Et puis il a rencontré Linda,
connu l'amour, le voilà dans d'beaux draps
car Harry a un mal à gérer,
le démon, dont il est habité.
Forniquer, c'est sa façon de tenir
ses pulsions, l'empêchent de s'abstenir,
ça l'rend malade, mais que peut-il y faire
si sa vie se transforme en enfer.
Par moment, il contient son poison,
avec Linda, se love dans leur maison,
mais dans les trois jours, voilà le Tac Tac Tac !
le démon et sa queue qui repartent à l'attaque.
Alors là, au Diable les femmes mariées,
dans les loques imbibées, il ira se soulager,
bien-sûr il regrettera juste après,
mais
le Démon ne l'laissera pas en paix."
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Harry est un jeune cadre New-Yorkais, brillant et promis à un bel avenir professionnel. C'est un homme amoureux de sa femme Linda, qui lui a donné un fils ; il a des parents aimants qu'il rend fier, une grand-mère qu'il adore et des beaux-parents aux p'tits soins.
Mais.....
Harry est en proie à un démon, un démon qui lui bouffe les tripes, dans sa gorge, une boule qui le pousse à vomir s'il essaye de le contenir. Harry est prisonnier, accro à l'adrénaline, malheureusement, pas la saine adrénaline du sportif de l'extrême, non, une adrénaline malsaine. du genre ? :
(p11) _"Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées.
Avec elles, on avait moins d'emmerdements. Quand elles étaient avec Harry, elles savaient à quoi s'en tenir. Pas question d'aller dîner ou prendre un verre. Pas question de baratin. Si c'est ce qu'elles attendaient, elles se foutaient dedans ; et si elles commençaient à lui poser des questions sur sa vie, ou faire des allusions à une liaison possible, il se barrait vite fait...
... il trouvait que coucher avec une femme mariée était beaucoup plus jouissif.
Pas parce qu'il baisait la femme d'un autre, ça Harry s'en foutait, mais parce qu'il devait prendre certaines précautions pour ne pas être découvert. Il ignorait toujours ce qui pouvait se produire, et son appréhension augmentait son excitation ".
Nonobstant, quelques précisions s'imposent :
non ! Harry n'est pas l'obsédé ou le pervers que vous êtes en droit de vous imaginer. Il est malade, esclave de son obsession. Mais encore une fois, le cul pour le cul ne l'intéresse pas. Son vrai démon est bel et bien l'adrénaline que lui procure le fait de pratiquer l'adultère, le risque de se faire pincer par le cocufier, ou de faire l'amour à la va-vite dans une ruelle avec encore une fois, ce bon vieux risque qui le fait se sentir si vivant et lui pourrit la vie en même temps.
Roman de la dualité.
Les aventures de midi à 13, les 5 à 6, lui deviennent indispensables et mettent sa carrière en danger, puis viendront les découches sous divers prétextes, et cette culpabilité envers Linda qui le rend de plus en plus dépressif.
Le démon va aller crescendo, les femmes infidèles reléguées au second plan au profit des pochardes dégueulasses, d'épaves envinassées dans des piaules puantes de pisse.
Harry se perd dans le hors-norme, le crade, le viol (viol dans la mesure où certaines sont trop défoncées pour se souvenir de quoi que ce soit...il leur glissera un billet).
Le démon lui réclame toujours plus...la boule dans sa gorge grossit toujours plus...son couple s'effrite...sa culpabilité l'étouffe... plus, plus, plus...
"il va te falloir trouver d'autres moyens Harry pour alimenter ton putain de démon !"
"Push in the limits !!!"
Harry est un camé au fond de l'abîme.
Un camé en perdition qui jouit du danger.
Le démon, c'est le roman d'un homme bien envahi par un mal.
C'est un roman de la douleur.
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Quel plaisir ça a été de retrouver ce bon vieux Selby.
Il vient une fois de plus de nous remettre une claque, à moi et ma moitié (qui est encore plus fan de l'auteur que moi).
Et quelle claque...SPLAFF !!!... Merci Hubert ! On a aimé ça...
On renoue tout de suite avec les tics d'écriture propres à Selby :
_les répétitions de mots et les jeux de majuscules/minuscules : (ex.p312) _"C'EST fait, une fois de plus, C'EST fait, une fois de plus... j'rentre chez moi, j'rentre chez moi... C'EST fait une fois de plus, UNE fois de plus, UNE fois de plus, ET encore une fois, ET encore une fois, ET encore une fois, ET encore..."
_ les phrases en apnée s'étalant sur une ou deux pages, puis celles de un, deux, ou trois mots .
_ l'écriture au caractère bi-polaire (comme je l'avais déjà souligné dans un autre billet sur Selby)... phase d'accalmie avant la tempête : le héros ou le non-héros, vrille, puis on se calme, on se parle à soi-même, on se résonne et BÂM !!! ça hurle ! ça chiale ! tout craque !... et on se resaisit, on redevient amour, on se caline, on chuchote, mais dans la foulée...PSHIIIT ! noirceur ; déprime ; douleur ; hurlement ; gerbe !
_ on retrouve aussi les allusions Christiques, chères à l'auteur, puis au passage, quelques insultes à Dieu... chères à l'auteur.
_ les potes, ici Steve et Vinnie, le bar qui fait office de QG, répondent présents eux aussi à l'appel.
_ les prénoms : Harry ; Vinnie qui sont souvent de la partie dans bon nombre de romans de Selby .
_ puis New-York évidemment, ici, Manhattan, après avoir eu le droit au Bronx avec
le Saule, Brooklyn avec Last exit... Coney Island, Central Park, le Lower east side, Time Square, Grand Central... Selby écrit New-York, son Old New-York, dangereux et crasseux (celui-ci,
le démon fait un peu figure d'exception)
_ et puis cette écriture qui sonne si vrai, qui sait sonder la face sombre de tous ces hommes et femmes, avec ce respect perceptible pour ces pauvres zouaves livrés à eux-mêmes, se débattant tant bien que mal dans cette foutue mélasse qu'est leur vie.
Tellement violent mais tellement réel !
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C'est avec un p'tit pincement au coeur que j'ai refermé ce livre.
Car il ne me (nous) reste plus qu'un seul roman à lire de Selby : "Retour à Brooklyn" (Requiem for a Dream)
(Je ne compte pas "Psaumes" et "Song to myself" qui eux, ne sont pas des romans, mais que je ne manquerais pas de lire ;))
Et là... DILEMME !
J'ai adoré le film "Requiem for a Dream" tiré du roman. Je le classe d'ailleurs dans mon TOP 15 cinématographique. Mais voilà... quand j'ai aimé un film, je veux dire "vraiment aimé" , je n'arrive pas à aller vers le bouquin après. Je pense à : "37°2 le matin" ; "Le Diable tout le temps" ; "No country for old men" ; "Mystic River"... et quelques autres...
C'est idiot, mais c'est comme ça ! Je reste sur ma bonne impression ciné
Bon, je ferai peut-être une exception pour le Requiem de Selby, si le manque se fait sentir. (j'ai déjà fait une entorse à ma règle avec "Into the Wild", mais c'était un cadeau de ma fille, donc... Joker ! ; puis avec "Ma mère" de Bataille, mais le film ne m'avait pas frappé plus que ça, donc, deuxième chance avec le livre qui lui, était bien meilleur).
A contrario, quand un roman m'a plu, je ne boude pas la version cinoche, si l'occasion se présente.
Bref...
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Allez,
le démon rejoint mon île déserte, pas spécialement pour lui-même, mais aussi comme digne représentant de la biblio d'
Hubert Selby Jr, pour le remercier de toutes ces chouettes lectures qu'il nous a offert ! :)
A+ Hubert ! je me chope Psaumes et on se refait un petit bout de route ensemble... cool !