Que dire... Un prisonnier mythomane et délirant psalmodie depuis sa cellule un torrent de violences et d'horreurs qui nous cloue littéralement sur place. La seule chose qui m'a intrigué est la démarche de Selby puisque le livre pour moi a autant d'intérêt que de sens (c'est à dire très peu) à moins d'y voir une allégorie du mal à l'état pur. Quel but poursuivait ici Selby ? Qu'a-t'il voulu dire ? Et surtout comment a-t'il pu sortir de son cerveau un ovni pareil ? On ne sort pas indemne à mon avis de pareille introspection et laissons-lui ça il n'a pas eu peur de la pousser jusqu'à l'extrême. Selby a emporté le secret dans sa tombe...
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Un des romans les plus violent que j'ai eu l'occasion de lire. le style coup de poing de Selby laisse sa marque sur nos tripes.
Dérives policières, tortures, Selby ne nous épargne pas pour parler de l'enfermement physique et mental.
Sans provocation. Donc dur.
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Je ne demande qu’une chose : qu’on me foute la paix. La paix, est-ce trop demander
assis au bord de la couchette, les maintes jointes entre ses cuisses, la tête inclinée
en avant,
et qu’on me bourdonne pas tout le temps aux oreilles. Tout ce que je sais, c’est que ça pue. Tout pue. Ça sent tellement mauvais qu’on en a le goût dans la bouche. Et le goût est tellement mauvais qu’on le sent. Comme si on avait quelque chose de pourri à l’intérieur et pas moyen de la cracher. On a beau essayer tant qu’on peut, pas moyen de la cracher. Il y a toujours cette odeur de pourri au fond de notre gorge et on rote, et on crache et on se racle la gorge et la pourriture est toujours là derrière, quelque part. On se racle la gorge et on tousse, et on rote, on croit que c’est parti et puis tout à coup c’est revenu et peu importe qu’on l’ait cru parti ça revient toujours. Ça revient toujours et ça se loge dans le fond de la gorge où on en sent le goût et l’odeur. On a toujours le nez brûlé par le remugle de la chair en putréfaction.
Et ne souriez pas pour l’amour de krist. N’importe quoi mais ne souriez pas. Alors c’est eux qui seront vraiment emmerdés. Vous les foutez par terre. Mais si vous souriez ils vous tomberont dessus, ils trouveront ce qui vous fait sourire et vous l’arracheront. Aussi sûr que krist a fait les petites pommes, ils vous l’arracheront. Ils tireront, ils donneront des secousses, ils tendront jusqu’à ce que vos tripes vous remontent à la gorge et vous sentirez comme si un rat vous rongeait l’intérieur et vous dégueulerez si fort que vous craindrez de dégueuler vos tripes. Oui, ne souriez pas. Pour l’amour de krist n’allez pas sourire, sinon vous êtes vraiment dans la mélasse. Vous n’avez pas le droit de sourire. Ils vous brûleraient au bûcher en vous montrant du doigt. Oui, vous avez foutument raison : ils vont le faire. Essayez donc seulement de marcher dans la rue ne souriant et vous verrez ce qui se passe. Essayez, c’est tout. Jésus, ils vous laisseront pas vivre. Est-ce que c’est trop demander. Rien que vivre. Qu’on nous laisse seulement tranquilles et vivre comme on en a envie. Et si vous ratez ça les regarde pas. Pourquoi faut-il essayer à leur façon ? Ils croient que leur façon est la seule, ces imbéciles. Ils ont la tête si foutument dure qu’ils croient pas qu’il existe d’autre façon que la leur et si vous vous y prenez à votre propre façon, ils s’arrangent pour que ça rate. Ils se débrouilleront pour qu’à la fin il ne vous reste plus que le même vieux seau de merde. Ils ont peur que vous réussissiez à votre manière et qu’ils soient obligés d’avouer qu’ils avaient tort. Mais ils s’arrangent pour être sûrs que ça n’arrive pas. Ils préfèrent que vous passiez le reste de votre vie avec les tripes nouées et ce goût pourri derrière la gorge. Ils s’en foutent. Ils se foutent pas mal de vos tourments. Ils ne comprennent rien à la douleur. Oui, c’est sûr. Ils en rigolent. Ils peuvent pas ressentir la douleur des autres. Je le sais. Je le comprends et je le nie pas. Il nous arrive à tout de faire du mal à autrui mais eux, ça les amuse. Ils l’oublient en un clin d’oeil. Ils font du mal à quelqu’un et ils l’oublient. Ils ne le revivent pas constamment. Et après, c’est ça qu’ils disent toujours. Ce qui est arrivé est arrivé et ça leur suffit. Ils retournent chez eux, ils baisent, ils s’endorment comme s’il n’était rien arrivé du tout. Et le lendemain ils repartent dans la rue avec un grand sourire à manger de la merde. Gais comme des pinsons. Ils n’en souffrent pas un seul instant. Pas une seule seconde. Ça ne fait pas partie de leur vie. Les larmes d’autrui ne les noient pas. Ils ne les entendent pas, ils ne les sentent pas gargouiller en eux, elles ne leur brûlent pas la langue. Ils vont leur chemin comme s’il n’était rien arrivé. L’opération a réussi mais le patient est mort. Oui, c’est tout. Pan ! un coup de maillet, affaire suivante. Ils ne savent pas ce que c’est que de ressentir tout le chagrin du monde, de sentir le tenaillement vide et lourd de la faim. Ou de la solitude. Cette sensation terrible accablante de la solitude qui vous interdit de savoir qu’il y a des rues bondées et des pièces bruyantes. Cette terrible solitude qui transforme le moindre mouvement en corvée titanique et qui nous pèse tellement sur tout le corps qu’on ne peut plus répondre à la question la plus simple par un oui ou un non, ni même secouer la tête. On ne peut même pas soutenir un regard interrogateur. On ne sent que la lourde solitude s’écouler dans notre corps et peser mouillée sur nos yeux. Ils ne savent rien de toutes ces choses-là. Pour eux les larmes sont des larmes et rien de plus. Ils ne les perçoivent pas. Ils ne ressentent rien. C’est comme ça. Ils ne sentent pas. Pour eux un gosse à la culotte déchirée qui cire des chaussures n’est qu’un cire-bottes. C’est tout. Peu leur importe ce qui se passe en lui. Ils le croient tel qu’ils le voient. Ils croient même que ce gosse aime cirer les souliers et ne pensent pas le moins du monde au tourment qui lui tenaille les entrailles. Ils dorment, ils se lèvent, vont travailler avec le même rictus figé sur la figure. Ils ne sont pas enfermés dans un trou où l’air devient de plus en plus lourd. Ils ne se réveillent pas en pleine nuit couverts de sueur avec la sensation d’être écrasés par l’obscurité. Ils ne gisent pas là, l’oreille tendue vers le réveille-matin sentant son tic-tac retentir de plus en plus fort et s’enrouler autour d’eux de plus en plus serré à chaque battement en sachant que qu’il serre un peu plus il les éjectera de l’existence et pourtant le tic-tac serre de plus en plus, encore un peu plus et on peine à respirer, petitement, craignant de remuer, aspirant à se retourner pour saisir la penduler et la jeter contre le mur mais on ne peut pas bouger. On est pétrifié par le poids de l’obscurité et le tic-tac du réveil .On attend. On l’attend. On attend qu’il brise tout sur son chemin jusqu’à la fenêtre ou que soudain il fracture la porte en sachant qu’on ne sera pas capable de résister ni de s’enfuir. Alors on reste là, allongé, paralysé, peinant pour entre ce qu’il y a au-delà de la porte, ce qu’il y a hors de la pièce, percevant le battement de la pendule et l’immobilité du temps. Mais ils ne savent rien de ces choses-là. Ils reconnaissent pas les terreurs qui nous traversent l’esprit quand on gît au fond de ce puits avec l’espoir qu’une lueur nous révélera la fin de la nuit. Que le temps a passé, qu’une nuit de plus s’est terminée et alors on remue, on finit par arriver à s’asseoir sur le lit, à regarder la pendule qui fait tic et tac, à fixer des yeux la plus grand aiguille qui dépasse le cinq et puis le six, et puis le sept, en fixant jusqu’au fond du cadran pour voir le temps vivre hors de nous et imposer à notre esprit l’idée qu’un jour commence. Encore un jour qu’il faudra passer d’une manière ou d’une autre, minute infinie après minute infinie et après ce sera encore la nuit et on ira se coucher en espérant dormir, rien que dormir, jusqu’au lever du jour mais ça ne se passe jamais comme ça. On se réveille en sursaut dans une obscurité impénétrable et on perçoit le tic-tac de la pendule et c’est de nouveau la torture, l’agonie du temps implacable qui nous saigne de notre vie et on n’espère plus survivre à une nuit de plus qui n’en finit pas. Mais ils ne savent pas ça. Ils dorment c’est tout. Ignorants et insouciants. Oublieux de la misère et la souffrance du monde. Insensibles à la douleur qui règne autour d’eux. Ils n’en savent rien. Ils sont insensibles à tout. Tout. Ils ne savent pas.
Pan, pan. Je t'ai eu.
Non, t'as raté.
Menteur, je t'ai eu en plein entre les yeux
Il sourit, ricane bruyamment, s'allonge sur la couchette, court dans le parc en se tapant la cuisse et en faisant claquer la langue, à la fois cheval et cavalier.
Il reçoit une balle au sommet de la colline, la dévale en roulant sur lui-même, rampe derrière un arbre ou un buisson, tire sur les sales Peaux-Rouges, sur le shérif ou sur quiconque le poursuit.
Caché derrière l'arbre ou le buisson, il se sert du fusil qu'il a décroché de sa selle en tombant de sa monture. Il tire sur les poursuivants, rate de temps en temps et parfois la balle ricoche sur un rocher. L'autre cavalier met pied à terre et riposte coup pour coup. Bientôt tout le monde rampe, court, se cache, tire.
Chaque jour, avant le début du jeu on braille tous "je suis un mauvais gars --- je suis un bon gars". En quelques secondes il s'est formé deux camps, on court, on trotte, on tire. Les balles sifflent. On se tape sur les cuisses, on claque la langue, les chevaux galopent, leurs fers écrasent l'herbe autour des buissons et des arbres.
De temps en temps on saute par-dessus une taupinière ou on franchit d'un bond un arbre abattu. On tire brusquement sur les rênes pour éviter la piqûre d'un serpent à sonnette. Finalement on s'allonge dans l'herbe, près d'un ruisseau, d'une mare, et on regarde le ciel pendant que le cheval apaise sa soif. L'herbe chaude embaume l'été. Monture et cavalier reprennent des forces pour recommencer la poursuite ou reprendre une fuite éperdue.
Et ces batailles dans la 72e rue, des centaines de gosses grouillaient dans cette rue, semblait-il, tous armés de pistolets faits avec du bois de cageots d'oranges. On ajustait deux morceaux de bois à angle droit et on tendait un élastique d'un bout à l'autre du plus long. Avec ça on tirait des bouts de carton pliés en deux...
Quand le quatuor de mouches cessa de voleter, se reposa et se rafraîchit en suçant le miel succulent, il observa, fasciné, la torsion spasmodique des muscles accompagnés constamment par un halètement de plus en plus sonore et profond.
Puis il perçut un nouveau son qui ponctuait le halètement ainsi que le bourdonnement lyrique subsistant dans sa tête.
C'était le staccato des battement du cœur. Puis les muscles se crispèrent et le plus beau de tout les sons l'emporta sur cette musique : des hurlements.
Il écouta avec joie pendant plusieurs minutes puis ramassa lentement les aiguillons électriques et marcha vers ses bêtes en les regardant droit dans les yeux.
_Allons, allons, moins de bruit. Qu'en dirait les voisins ?
Un ricanement le secoua.
_Ce Rembrandt, combien de millions l'a-t-on payé ?
Quels que fussent le prix et la beauté du tableau, il ne pouvait pas être plus passionnant que cette scène-ci.
Que pourrait-il exister de plus beau que ces yeux terrifiés ?
Il hoqueta, nageant dans l'extase, se dorlotant de ce spectacle en écoutant la divine musique des mouches qui suçaient le miel sur leurs dards, la douce cacophonie de leurs gémissements étranglés, les battements affolés de leurs cœurs en panique.
Rien n'est plus beau que dans les yeux de celui qui regarde, vous ne savez pas ça ?
C'est comme les modèles réduits d'avion. Une fois montés ils ne sont jamais comme on l'espérait. Pas tout à fait comme sur l'image. Mais les construire et y mettre le feu après, c'était marrant. Ils flambaient vite fait. Fallait être vraiment cave pour se donner tant de mal sur ces modèles réduits. Y perdre tellement de temps et pour avoir quoi ? Un modèle réduit. Quelle connerie.
_Quels sont vos projets, maintenant que cette affaire est réglée ?
Continuer ma...notre croisade.
_Quelle sera la prochaine phase de cette croisade ?
Déterminer pourquoi on remet des armes à de tels individus avec la permission de s'en servir. En d'autres termes, il s'agit d'étudier dans tous ses détails, la procédure suivie actuellement pour juger si un homme offre les qualités requises pour faire un fonctionnaire de la police.
Nous espérons ainsi éviter que des incidents de ce genre se produisent de nouveau.
Voyez-vous, messieurs, l'affaire d'aujourd'hui n'est qu'un élément superficiel. D'abord, nous ignorons totalement ce que ces deux malades mentaux ont fait d'autres pendant qu'ils appartenaient à la police.
Ce que nous savons est déjà assez accablant : la destruction d'une mère. Et ça ne s'arrête pas là. Pensons à la famille de cette jeune femme. Pensez à la tragédie qui la frappe. Et les familles de ces deux hommes eux-mêmes ?...
... rien ne nous permet d'évaluer les dégâts que ces deux malades ont faits. C'est tragique. Extrêmement tragique.
Mais si on s'en donne la peine, on peut empêcher que cela se produise de nouveau.
Selby le rédempteur. Création radiophonique de Nicolas Judéléwicz et Nathalie Battus diffusée sur France Culture le 26 février 2014. Prise de son et mixage : Alain Joubert. Trente-six ans après sa parution « Le démon » d’Hubert Selby Junior (1928-2004) n’a rien perdu de sa puissance. Œuvre de contrastes violents : apparence, réalité, rêves, cauchemars, illusions, obsessions, lumière, obscurité, éclat, mort... elle révéla plus que nulle autre l’ambivalence du rêve américain confronté aux plus sombres instincts de la nature humaine... L’envers froissé en noir et blanc de l’Amérique technicolor des années 70. Le projet du compositeur Nicolas Judelewicz, est de concevoir une partition sonore, musicale, visuelle et interactive en plongeant au coeur de l’humanité brute et brutale du « Démon » d’Hubert Selby, Jr. Se glisser à la suite de son héros dans les entrailles tentaculaires de New York, univers kaléidoscopique de toutes ses dérives. Rechercher ses errances, ses marques, ses obsessions. Revivre et faire renaître les traces de son escalade dans une spirale désespérée et sans concession: de sa recherche inextinguible de plaisir, d’interdit puis de mort, à sa chute finale prévisible et inexorable.
Thèmes : Création Radiophonique| Création Sonore| Littérature Étrangère| Hubert Selby, Jr.
Source : France Culture
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