5 Mondes est rangé dans le rayon jeunesse des librairies et des bibliothèques, mais comme beaucoup d'oeuvres il est tous publics, et si les cabrioles de ses héros amuseront les enfants, il porte des enjeux très sérieux et d'actualité qui intéresseront aussi les plus âgés. Son univers est un savant mélange de fantasy et de science-fiction : les robots et les vaisseaux spatiaux côtoient la magie du sable et les hommes-plantes. Néanmoins ici, la technologie n'est pas synonyme d'une société plus évoluée que la nôtre : les codes sociétaux diffèrent car depuis toujours, Mon Domani vit connectée à ses quatre lunes. Les vaisseaux spatiaux, c'est la base du déplacement pour eux.
Au niveau des différentes formes de vie, je tire également mon chapeau aux auteurs : deux grandes catégories se distinguent – sans compter les androïdes : les humains, quelle que soit la couleur de leur peau, et les plantes, plus ou moins mélangées à de l'ADN humain au fil des générations : les fameuses « sèves-mêlés », comme Rameau. Mais les peuples habitant sur les lunes ont vu leur apparence influencée par leur lieu de vie – du moins je le déduis car aucune explication claire n'est fournie ; ça va de la peau bleue pour les Toki à des yeux énormes et lumineux pour les Yattans, etc. Autant les Toki semblent avoir une morphologie qui rappelle celle des peuples asiatiques terriens – cheveux noirs et raides, yeux bridés –, autant les Domaniens sont ceux qui se rapprochent le plus d'un physique typé Terrien en général, avec une jolie diversité au niveau des peaux et des corps, diversité que je souligne car trop souvent mise de côté dans la littérature. Les différences sociales entre les peuples se soulignent à chaque interaction : une haine latente entre certains d'entre eux, et une discrimination réfléchie parfois. Les Toki se retrouvent détestés de tous à cause de leur rôle dans la vieille guerre des 5 Mondes, et blâment les hommes-plantes en raison de leur grande différence avec les autres peuples, comme pour se soulager de leur propre malheur.
Je ne sais pas pour toi mais moi, cette complexité sociale, ça me plaît énormément. Parce que ce n'est pas le sujet principal de la BD, qui reste un livre d'aventure, mais que ça s'amène avec suffisamment de subtilité pour toucher le lecteur quel que soit son âge, avec simplicité mais efficacité si on se penche un tant soit peu sur la question. le thème de la discrimination, dans ce premier tome, n'est jamais directement évoqué ! Mais par des répliques ou des scénettes du quotidien exposées entre deux actions d'importance, il s'immisce peu à peu dans la lecture, avec beaucoup de justesse. Big up à la scène du restaurant page 65, et le fameux « Mais c'est de l'humouuur c'est toi qui sais pas rire » qui nous fait tous grincer des dents quand on nous le sort pour justifier une blague raciste ou machiste. Pour moi, ça montre un vrai engagement des auteurs et la volonté de laisser transparaître un véritable parallélisme avec notre propre société, et tout ce que cela implique. Idem pour les différences de niveau de vie au sein même de Chrysalis, la capitale de Mon Domani : entre Sao Sablo, le bidonville local, et le luxueux Château de Sable, il y a friction. Mais je n'en dis pas plus sur le sujet, histoire qu'il te reste quelques surprises.
L'intrigue tourne directement autour d'enjeux écologiques : rallumer les Phares servirait à arrêter le réchauffement climatique qui dérègle les cinq mondes et cause une pénurie d'eau à l'échelle interplanétaire, dont les hommes-plantes sont les premières victimes. Une solution nécessaire pour certains, utopique ou carrément mensongère pour d'autres, qu'Oona et ses alliés poursuivront comme une chimère au cours de leurs aventures. Sur Terre nous n'en sommes pas encore à la pénurie d'eau, mais le dérèglement quasi-magique des cinq mondes évoque clairement pour moi une métaphore de nos propres soucis environnementaux.
Si ce genre de parallélisme sociétal te touche très moyennement, je tiens à te rassurer : la BD se lit très bien même sans réfléchir autant. Ce serait juste dommage de passer à côté d'autant de messages cachés qui donnent une profondeur toute particulière au livre.
Toujours sur la morphologie des protagonistes, un petit détail qui m'a beaucoup plu : Oona n'a rien d'une top-modèle. Elle a un corps rond, des formes pas parfaitement proportionnées. Je ne sais pas si c'est mieux géré en BD que dans les romans ou les mangas, mais voir une héroïne originale sur ce plan m'a fait du bien. Je n'en peux plus des mangas avec les filles de quinze ans aux formes irréalistes et absolument pas crédibles…
Et pour en finir avec le plan graphique, je tiens à souligner la beauté du panel de couleurs : les camaïeux, les ambiances qui diffèrent uniquement selon la palette utilisée.
Concernant la gestion des mouvements, une grande fluidité se dégage des danseurs de sable en action ; on fait abstraction de la gravité et les poses surréalistes s'enchaînent, mais peu importe ! La magie est là.
le personnage de Jessa apparaît peu dans ce premier tome mais il est omniprésent par la parole d'Oona : Jessa représente pour elle l'unique espoir de rallumer le Phare de Mon Domani. Heureusement vers la fin, on va en apprendre de belles sur l'ancienne Elue ! Personnellement, je ne m'attendais absolument pas à ce retournement de situation lors du dénouement, mais je pense qu'avec davantage de recul – j'ai dévoré la BD et j'étais complètement prise dans l'histoire – ça pouvait largement s'anticiper. Ça n'en reste pas moins un élément que je devine décisif pour la suite de l'histoire, et qui vient chambouler bien comme il faut le semblant de manichéisme qui s'était précédemment établi entre Mon Domani et le peuple Toki. Des enjeux supplémentaires s'ajoutent au dernier moment, des deux côtés du conflit ; quoi de mieux pour relancer l'intérêt du lecteur à la fin d'un tome 1 ? La scène du dénouement, ce passage de douze pages, je le relis en boucle. Vraiment, en boucle. Je sais où ouvrir le bouquin et je me la refais plusieurs fois par semaine pour redécouvrir ce moment-clé plein de tension. Un pur plaisir.
Finalement, l'unique défaut que je noterais pour 5 Mondes, c'est cette agaçante manie de mettre certains mots en gras dans les dialogues. Parfois, j'ai vraiment eu l'impression qu'ils avaient été choisis au hasard ; je ne pense pas que le lecteur nécessite ce genre de piqûre de rappel pour savoir se concentrer sur l'essentiel, au contraire. L'aspect assez enfantin des dialogues, en règle plus générale, pourrait aussi en décourager quelques-uns, mais je vous invite sincèrement à passer au-dessus de telles considérations pour voir tout ce que la BD a à vous offrir.
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