Les chemins d'étoiles

Il se coucha sur le ventre , ne bougea plus jusqu'au moment où il sentit une brûlure sur les reins. Le parfum de l'herbe chaude fleurie d'orchis , le murmure des grands peupliers sous lesquels il était allongé l'apaisèrent.

Marchons un peu , sinon nos jambes vont se rouiller. Ils faisaient lentement le tour du pré. Sans lâcher son ouvrage , Rose ramassait un champignon ou de la berce , des fleurs de carottes sauvages , de la marjolaine , des pissenlits , murmurait :
- C'est qu'elle les aime , Julia.

Elle revenait au piano, se remettait à jouer, il s'attachait au profil tourmenté, que la musique embellissait, ne parlait pas, trop content de sentir se tisser autour de lui le cocon protecteur qu'il espérait. De temps en temps, elle marchait vers la fenêtre dont elle soulevait le rideau, murmurait :
-Dieu éternel, quelle folie !
Alors, il la rejoignait, serrait dans ses doigts sa robe de velours, se retenait de respirer. C'étaient des nuits sans lumière, pleine de peur.

- Le dimanche on ira sur le lac. Il est tellement grand qu'on n'en voit pas la fin, sauf quand il y a de la neige à l'autre bout, sur les collines où poussent des sapins bleus. C'est un lac qui est couvert d'oiseaux. Ils nichent au milieu, dans des prés de roseaux. Le jour, ils tournent dans les nuages avec leurs grands yeux qui voient par-dessus les montagnes. Sur la rive droite, sous les arbres, il y a une cabane où l'on peut faire du feu. C'est là qu'on mangera. Et l'après-midi, on montera sur la barque qui nous emportera jusqu'à la nuit. On reviendra seulement avec les étoiles, et Baptiste sera avec nous. Il nous montrera le Chariot, le Bouvier et les chemins qu'il connaît. Il ne faudra pas avoir peur...

" Je me dis, dans l'extase et dans l'effroi sacré,
Que peut-être, là-haut, il est dans l'Ignoré,
Un dieu supérieur aux dieux que nous rêvâmes.
Capable de donner des astres à des âmes."

Victor Hugo

Lisa cherchait toujours à s'approcher de la rivière. il se souvenait alors des paroles de Julia et, comme il refusait de suivre Lisa, elle insistait, trépignait, faisait :
- O..., oo...
pour la retenir, il prononçait les premiers mots qui lui venaient à l'esprit :
- Tu sais, Lisa, cette eau elle s'en va dans la mer. Et moi, Lisa, la mer, je la connais : elle est toute bleue, et il y a des bateaux avec de grandes cheminées, de vagues qui courent sur le sable, et c'est grand, et c'est beau.
Lisa s'arrêtait, écarquillait les yeux, le dévisageait comme si vraiment elle comprenait. Alors il la tirait par la main, et, lentement, elle le suivait.

- Parle-moi , Lisa , pourquoi ne me parle-tu pas ?
Elle poussait son habituel gémissement et il lui arrangeait les cheveux de part et d'autre du cou , en nattes mal tressées. Contente , elle battait des mains , lançait des cris de joie.

Pour la consoler, il lui parlait de la mer, des bateaux, de la plage où ils se rendraient une fois ses parents revenus, il inventait des mots qu'elle semblait comprendre, qui allumaient dans ses yeux des lueurs où, semblait-il, l'intelligence allait éclore. Elle ne le quittait jamais, vivait comme lui, s'attachait à son regard, à ses gestes, à sa voix, avec une attention admirative.

Daniel un enfant juif de 10 ans est emmené par sa mère dans une famille de paysans dans la vallée de la Dordogne ........ Il y a les grands parents Julia et Baptiste , les parents Rose et Alphonse et leur fille Lisa 9 ans un peu "spéciale" avec qui il va se créer un attachement réciproque....
Mais avec Alphonse , un homme dur , les choses ne vont pas bien se passer....

Quand elle demeurait lointaine et hostile, il faisait des projets dans lesquels ils étaient réunis à jamais :

- Plus tard, on habitera dans une grande ville, mais on aura aussi un château à la campagne. Le parc sera plein de chevaux, de vaches, de poules, de canards et on y passera nos vacances. Ils vivront tous heureux parce qu’on ne les tuera jamais. Tu entends, Lisa ? Jamais ! Ils seront à nous, et on construira un immense bateau pour les emmener sur la mer.

Il ajoutait, plus bas :

- Sur le bateau, il y aura aussi nos enfants. Ils connaîtront les étoiles : Altaïr, Bételgeuse, le Grand Chariot, Orion et toutes les autres.

Ces noms d'étoiles allumaient des lueurs dans les yeux de la petite qui s'animait. Depuis sa plus tendre enfance, Baptiste lui en parlait, et c'était une sorte de chanson dont les sonorités lui étaient devenues familières.