Il est rare, pour un enquêteur, de connaître la victime avant que le crime ne soit commis. C'est le cas dans
Maigret et son mort. Variation autour du même thème,
La folle de Maigret permettra aussi au commissaire d'être confrontée à une future victime – mais pas dans les mêmes conditions.
Ce n'est pas la femme du monde un peu allumée (nous le savons d'entrée de jeu :
Maigret n'aura plus de nouvelles, elle aura trouvé un autre enquêteur pour l'écouter) qui sera empoisonné par les siens. Non, ce sera un homme, des plus ordinaires, fuyant dans un quartier de Paris qu'il connaît bien, qui sera retrouvé poignardé et défiguré place de la Concorde, après avoir été proprement jeté d'une Citroën jaune.
Oui, le rythme de l'enquête est lent – parce qu'elle est difficile. Comment enquêter sur un crime alors que l'on ignore l'identité de la victime ? Si encore elle était « connue des services de police » ! Et non : ni lui, ni Nine, sa mystérieuse femme que
Maigret aurait rencontré, ne sont fichés. Des gens ordinaires, que le destin a mis sur la route de personnes qui ne l'étaient pas. Il faut toute l'analyse minutieuse de la police scientifique pour découvrir l'identité de la victime, et par là même une piste – ténue – qui mènera vers une toute autre affaire, inattendue.
Si
Maigret a l'habitude de Paris, de sa société interlope, de ses zones d'ombres – voir à quelle vitesse sont mis en place les contrôles de routine dans les petits hôtels borgnes, dans les meublés, voir dans les maisons de passe – il découvre que la province a elle aussi ses affaires particulièrement sanglantes. En train, la Picardie ou la Normandie ne sont pas loin.
Il est aussi question d'émigration, et de l'intégration de ces travailleurs étrangers, qui se ressemblent tous, qui parlent tous un langage que l'on ne cherche même pas à comprendre. Il y a là des italiens, des polonais, des tchèques, à une époque où il fallait être tchèque soi-même pour distinguer les deux nations qui composaient alors la toute jeune Tchécoslovaquie (comme disait mon professeur de 4e : on a vraiment mal découpé l'ancien empire austro-hongrois), mettre d'un côté les tchèques et de l'autre les slovaques, ne parlant pas la même langue, restant encore dans le monde paysan du XIXe siècle plutôt que dans celui, industriel, urbain, du XXe. Des personnes qui, n'ayant rien si ce n'est une rage de vivre, n'ont strictement rien à perdre.
Et
Maigret, dans tout cela ? Il doit composer avec le juge Cornéliau, toujours aussi à cheval sur les procédures – et qui veut être joint n'importe où, à n'importe quelle heure. Il doit aussi composer avec
les autres services de police, toujours prêts à ne pas aider un collègue. Vous avez dit guerre des polices ? Bravo, vous l'avez (presque).
Et Fine ? Elle fut toujours présente, alors qu'elle n'apparaît « en vrai » que dans l'épilogue, elle qui aura été décrite par tous ceux qui l'ont rencontrée exactement de la même façon. Une « Fine », sa douceur, son humilité, son apparence physique aussi, pourrait-elle avoir encore sa place dans la littérature contemporaine ? Je ne crois pas, et c'est vraiment dommage.
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