On repart avec le nouveau titre des Éditions La Croisée, on reste toujours et encore à Londres, dans un tout autre univers, avec ses propres noirceurs. L'autrice
Alice Slater est une ancienne libraire, et une amatrice de true crime, genre sur lequel elle anime des podcasts. La
mort d'une libraire est son premier roman, dans lequel l'autrice exploite son penchant pour ce genre littéraire, ce fameux true crime, qui est devenu très populaire cette dernière décennie. À un point tel que certaines maisons d'édition en ont crée une collection dédiée au genre.
Roach est une jeune libraire qui végète plus qu'elle ne travaille dans une obscure boutique londonienne, la Spines Walthamstow, avec ses cheveux roses, son look un peu gothique et ses oreillettes constamment vissées sur les oreilles, et un caractère un peu asociale, elle ne vit que pour ses podcasts et ses livres de true crime. En somme, une vie un peu morne, égayée par la fascination qu'exerce sur elle les côtés obscurs de tous les tueurs en série, dont elle lit et écoute les vies. Arrive dans la librairie une nouvelle équipe dont la mission est de redresser le désastreux, voire inexistant chiffre d'affaires du commerce moribond. Composée de la nouvelle manager Sharona, Eli, son bras droit, la routine de Roach est vite ébranlée d'autant que Laura garde prudemment ses distances avec elle, quelque chose en sa collègue ne lui revenant pas. Roach, férue de true crime, pense que Laura, dont elle a découvert un ouvrage en sa possession après avoir fouillé un tote bag, et qui compose des poèmes sur les femmes tuées par des tueurs en série, tente par tous les moyens de se rapprocher d'elle, mais en vain. Plus l'obsession de Roach croit et devient malsaine, plus on comprend que derrière la façade glacée en sucre d'orge et de thés lattés à la cannelle se cache pour elle aussi une forme de noirceur, un secret qui la hante. Un mal-être qui s'exprime dans les litres d'alcool qu'elle ingurgite au pub chaque soir jusqu'à la nausée, et le black-out qui s'ensuit.
Roach est un peu paumée elle aussi, le seul repère qu'elle ait est sa mère et son pub, dans lequel cette dernière finit ivre chaque soir, sa chambre obscurément glauque qu'elle occupe au-dessus et une attirance unilatérale et malsaine pour Laura, entretenue par la distance que cette dernière garde avec elle. Une librairie, deux libraires, deux faces totalement différentes du métier, et du true crime, par l'une qui a défaut de s'être trouvée, y puisent une fascination obscène et qui en deviendra maladive. L'autre qui est au coeur même de cet univers, en tant que proche d'une victime, et qui ne l'évoque dans ses poèmes pour mieux le mettre à distance. Les névroses des deux jeunes femmes vont finir par se rapprocher, la fragilité de l'une va finir par être mise totalement à jour par le comportement psychotique de l'autre, devenue une stalkeuse en puissance, se fabriquant un curriculum vitae digne des individus les plus dangereusement perchés qui soient. Roach, qui porte ce nom à la prononciation qui dérange, va deviner instinctivement ce que Laura cherchait à cacher, celle-ci va deviner instinctivement qu'elle doit se tenir éloignée de cette espèce de jumeau maléfique qui va se nourrir de son histoire, celle d'une proche assassinée par l'un de ces serial killer que Roach idolâtre, pour assouvir son fanatisme délirant.
C'est un roman psychologique, pas policier contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, qui est franchement bien mené : si au début Roach nous apparaît comme une fille très paumée, mais inoffensive, baignée constamment dans la noirceur des meurtres sanglants et dans les abimes de la psychologie torturée des meurtriers, et Laura, une jeune femme avec quelques manières, un peu snobe et hautaine, un poil agaçante avec son eau de seltz à la cerise sans sucre à probablement 10 livres la canette, les choses deviennent moins tranchées à mesure que l'on découvre la vie de Laura, à mesure que l'on se confronte à l'esprit et l'attitude tortueux de Roach. L'autrice emprunte le chemin tortueux du genre thriller en se gardant bien d'emprunter toutes les méthodes du genre, c'est plus pernicieux que cela, et c'est bien ce qui m'a tenue en haleine jusqu'à la toute fin du roman. L'ambiance glauque et poisseuse est entretenue par ces deux libraires à l'opposé l'une de l'autre, l'une qui cherche la lumière, l'autre la noirceur, par tous les personnages qui évolue dans ce local décrépi où plus personne ne souhaite acheter des livres plein tarif (quand on sait la politique la tarifaire en France sur la vente de livres, on est un peu décontenancé de voir l'objet se faire traiter comme un autre objet de consommation quelconque). Avec des employés figés eux-mêmes dans l'atmosphère qui suinte le désoeuvrement et l'abandon, qui ne pensent qu'à écumer les pubs jusqu'à l'écoeurement – à un point tel que mon foie souffrait parfois en silence pour eux – tous manipulés finalement par une hiérarchie qui n'a jamais mis un pied dans le quartier et qui ne prennent pas la mesure du désastre.
La librairie Spines Walthamstow se situe à l'autre extrémité du marché, sa devanture bordeaux coincée entre une agence de paris sportifs et un café Costa. Une fois arrivée devant, je reste dehors encore une minute, le temps de finir ma cigarette, et j'en profite pour examiner la vitrine défraîchie. Derrière le carreau graisseux, les livres sont décolorés par le soleil et ne tiennent plus très droit, comme s'ils avaient été oubliés là depuis un bon moment. Une mouche morte gît au sol.
Roach met mal à l'aise, car elle est attirée compulsivement par la noirceur, elle a trouvé une personne qui en recèle, bien malgré elle, et elle va s'atteler à la déterrer frénétiquement chez Laura, toute frontière de bienséance et du bien et du mal abolie : il n'y a pas de sang qui coule, enfin presque pas, il n'y a pas de meurtre, objectivement, en revanche, elle est devenue, ou sur le point de devenir, ce qu'elle admirait le plus, une personne vouée à anéantir, l'anéantissement étant psychologique ou physiologique. C'est aussi un roman en trompe l'oeil qui n'aboutira pas au résultat auquel on pourrait penser.
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