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Critique de jlvlivres


« Changer d'avis » de Zadie Smith, traduit par Philippe Aronson (2013, Gallimard, 448 p.) de « Feel Free », recueil de billets qu'elle appelle « essais ponctuels » parus dans les journaux et revues les plus prestigieux d'Amérique et d'Angleterre. Changer d'avis doc, «au fil des ans l'opinion que l'on croit sienne évolue ». le style est flamboyant, l'humour irrésistible, l'érudition toujours discrète, l'humilité assumée, l'empathie partout présente. En cinq parties, avec leurs titres originaux « In the World », « In the Audience », « In the Gallery », « On the Bookshelf » et « Feel Free » avec dix-sept chapitres en tout.
Dans la première partie titrée « Lire », elle nous parle de Conrad et des lectures d'Obama et de la littérature en général. « J'ai entendu un jour un jeune homme blanc lors d'un festival du livre dire à son ami : « As-tu lu le nouveau Kureishi ? C'est toujours la même chose : des tas d'Indiens. » A quoi vous avez envie de répondre : « Avez-vous lu le nouveau Franzen ? C'est toujours la même chose : des tas de Blancs. » ». Hanif Kureishi est l'auteur, entre autres, de « The Buddha of Suburbia » traduit par Michel Courtois-Fourcy en « Bouddha de banlieue » (1991, Christian Bourgois, 414 p.). Il y décrit l'intégration douloureuse de Karim, dix-sept ans, tiraillé entre un père indien et une mère anglaise, à la fois dans la communauté pakistanaise de Londres en 1970 et dans sa propre famille en mal de repères. Jusqu'au jour où Pa se recycle en gourou New Age, jetant son fils dans la cohue de la vie, le show business et les expériences en tout genre. A ce propos, elle reprend cet exemple dans « Feel Free », où elle écrit « « Karim n'est la victime de personne. du point de vue de notre monde du 21e siècle, où la seule réaction possible à toute chose semble être l'offense indignée, je trouve un soulagement de revenir à cette époque plus innocente et plus résistante, où nous n'étions pas tous des fleurs aussi délicates que la désinvolture de tout homme. L'idiotie avait le pouvoir impressionnant de nous offenser jusqu'au plus profond de nous-mêmes ».
Le texte d'entrée de cette partie est consacré au roman de l'afro-américaine Zora Neale Hurston (1891-1960) « Their Eyes Were Watching God », publié en 1937, et traduit par Sika Fakambi en « Mais leurs Yeux dardaient sur Dieu » (2018, Zulma, 320 p). Ou les différentes vies, via trois mariages successifs de Janie, pour lui permettre d'atteindre son rêve d'émancipation et de liberté. Mais en fait, pourquoi « leurs yeux surveillaient Dieu ? », avec cette réponse de Zadie Smith. « Il s'agit en réalité d'une simple histoire d'amour, celle d'une femme qui cherche l'homme idéal dans sa vie, et elle en traverse trois avant de le trouver. Mais c'est aussi évidemment une histoire sur ce que c'était que d'être une femme noire en Amérique à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Et c'est l'histoire d'une conscience qui prend vie, d'une conscience opprimée à une conscience véritablement libre ». C'est un livre qu'elle a lu jeune, en trois heures, avoue t'elle.
Pour ce qui concerne Obama, qu'elle a soutenu comme président hors du conservatisme blanc des « rednecks ». Par la suite, elle a été invitée à un déjeuner à la Maison Blanche en janvier 2017 avec 5 romanciers, soit Dave Eggers, Colson Whitehead, Junot Díaz, Barbara Kingsolver, et Zadie Smith.
Mais pour elle l'ascension d'Obama était le signe que la multiculturalité était plus importante que la couleur de la peau. Obama, premier président multiculturel plutôt que président noir. Un représentant de ce que Smith appelle « Dream City », un monde hétérogène d'identités superposées et mouvantes, avait pris la tête de la Maison Blanche. « La plupart d'entre nous ont des histoires compliquées, des histoires désordonnées, des récits multiples. Pour Obama, c'était une stratégie de haute voltige que d'invoquer notre désordre humain collectif. Ses ennemis s'accrochaient à son imprécision, soulignant le caractère exotique et anti-américain de Dream City, cet endroit mal défini où l'on pouvait être à la fois Hawaï et Kenya, Kansas et Indonésie, où l'on pouvait bavarder comme un arnaqueur de rue et orateur comme un sénateur ».
Cet essai « Speaking in Tongues», est adapté d'un discours qu'elle a prononcé peu après l'élection d'Obama en 2008. Elle se délecte de l'émergence d'un président pour qui il était nécessaire de « traverser les frontières et parler différentes langues », c'est à dire s'exprimer pour montrer la multiplicité de ses expériences. Avoir de nombreuses voix différentes peut être le résultat de l'imitation de langues d'autres cultures.
Mais ces avantages et inconvénients de parler à plusieurs voix, peut soit offrir une flexibilité pour les choses de la vie, soit paraître peu authentique pour l'orateur. Quelqu'un occupant un poste aussi élevé qu'Obama doit utiliser des voix différentes lorsqu'il converse avec les autres pour que les gens se sentent pertinents dans leur communauté. Les voix d'Obama viennent d'un monde appelé « Dream City » où tout est doublé. On n'a pas d'autre choix que de parler en langues. Ce serait pour Obama une stratégie visant à paraître ouvert à tous les citoyens américains. Il est vrai qu'elle décrit les différentes voix d'Obama en disant : « Il dit une chose mais il en pense une autre ». Il dit qu'il est capitaliste, mais il répartira votre richesse. Il dit, avec l‘accent local, « tarte aux patates douces à Philadelphie et Main Street dans l'Iowa ». Voulant simplement rassembler tout le monde, il s'abstient donc de partager une opinion unilatérale sur un sujet particulier.
Dans la partie suivante, « Être », elle brosse le métier d'écrivain, de sa discipline et des faits qui peuvent s'introduire dans la fiction.
Un chapitre est consacré à un voyage au Libéria en avril 2007, puis paru dans « The Guardian ». Pays où les enfants soldats traumatisés, les travailleurs du caoutchouc sont en difficulté et les enfants désespérés de pouvoir apprendre. « Même selon les normes qu'elle s'impose, le Libéria est exceptionnel ». Tout n'y est pas rose, le pays est relativement stable et démocratique. Son économie est toujours dévastée par les deux guerres civiles (1989-1997) et (1999-2003). « Les trois quarts de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté – soit un dollar américain par jour – et la moitié gagne moins de cinquante cents par jour. Les infrastructures qui existaient ont été détruites – routes, ports, électricité municipale, eau, assainissement, écoles, hôpitaux – toutes manquant cruellement ou inexistantes ; 86 % de chômage, pas d'éclairage public ». Les rares bons emplois sont soit au gouvernement, soit chez Firestone, la compagnie américaine de caoutchouc. En effet, le pays compte parmi les vingt pays les moins développés du monde. Ceci dit, dans l'avion, le contraste est déjà choquant. « La clientèle est majoritairement africaine, habillée comme pour l'église. Les chapeaux formels, les zirconiums et les fourre-tout Louis Vuitton sont populaires. Un enfant en bas âge se dandine dans l'allée en costume trois pièces et noeud papillon. Seuls les non-Africains sont habillés pour « l'Afrique », en kaki, sandales, T-shirts froissés ». « À la fin des années 1820, une petite colonie de trois mille âmes survivait. Au Libéria, ils ont construit une vie semblable à celle des maisons de style plantation, des églises aux flèches blanches ». Maintenant ce sont « les bagages d'un peuple nomade ». Les « Soon- Comes », « Ils viennent, ils repartent bientôt. Leurs familles pensent qu'ils sont riches – ils essaient d'être à la hauteur de cette idée ». C'est « l'Afrique de l'imagination ». Ceci dit, le reste du pays, la nature, sont splendides. « le pays des Bongs est magnifique. Forêt verdoyante, une douce brise. Il y a ici des hippopotames pygmées et des singes ; une idée des possibilités du Libéria. Riche en ressources naturelles, frais dans les collines, chaud sur la plage ».
Elle évoque ensuite sa manière de travailler et de l'angoisse du romancier quand il est seul devant la page blanche, face à des personnages qui lui résistent. « Si le ton est là, tout le reste suit. C'est ce dont parlent les décorateurs d'intérieur lorsqu'ils discutent d'une nuance de peinture ».
Puis, elle s'intéresse au cinéma, chose qu'elle fait depuis son adolescence où elle s'entichait de jeunes premiers et où du le visage de ses héroïnes, avant d'évoquer ses relations avec ses proches avec son humour un peu décalé. On y retrouve Z ou E.T. et Spielberg, ou Mark Zuckerberg pour lequel elle introduit un faux Mark en l'acteur Jesse Eisenberg.
La dernière partie « Remembering » traduite en « Se souvenir » est la plus hermétique de l'ouvrage, ne serait-ce que par son attirance pour l'écrivain David Foster Wallace (DFW). Pour ce dernier qui s'est suicidé récemment (1962-2008) après avoir écrit de nombreux livres devenus cultes depuis « The Broom of the System » (1987) traduit par Charles Recoursé en « La Fonction du Balai », puis « Infinite Jest » (1996) et le très attendu « The Pale King » (2011) traduit par Charles Recoursé en « le Roi Pale ». Des titres, on le constate, assez hermétiques, tout comme le texte d'ailleurs. Des essais, aussi dont « Consider the Lobster » (2005) dont le titre a été repris à plusieurs occasions, malgré une traduction sibyliine « Considérations sur le Homard ».
Selon une critique de « Brief Interviews » (Brefs Entretiens) avec DFW, ce serait « comme le contrepoids du caractère narcotique de la vie contemporaine ». Et cela se poursuit avec « Comment faire preuve d'acuité lorsqu'on vous apprend à être passif ? Comment déterminer une valeur réelle quand tout à un prix ? Comment être responsable lorsque vous êtes, par définition, toujours la victime infantilisée ? Comment vivre dans le monde lorsque le monde s'est effondré en langage ? ». On dirait par moments, que le critique a emprunté du maitre.
Dans son éloge critique de DFW, Zadie Smith écrit « L'opinion populaire de Wallace était celle d'un écrivain calmement cérébral qui craignait le lien émotionnel de la fiction. Mais ce n'est pas de cela qu'il avait peur. Ses histoires racontent l'inverse : ils sont terrifiés à l'idée de l'absence de lien émotionnel ».
Ses remarques sur le choix délibéré de DFW de rendre son écriture difficile pour le lecteur sont plus intelligentes que presque tout ce que j'ai lu sur le sujet. Il y a eu d'autres cas d'écriture où l'idée était d'écrire différemment pour obliger le lecteur à réfléchir sur les mots et leur signification dans une société distopique. Par exemple « Enig Marcheur » de Russell Hoban traduit par Nicolas Richard (2012, Monsieur Toussaint Louverture, 288 p.) ou de Will Self « le Livre de Dave » traduit par Robert Davreu (2010, Editions De l'Olivier, 539 p.). Pas sûr que ces essais d'écriture aient apporté un complément de compréhension lors de leur lecture. Tout comme le « Infinite Jest » (2015, Editions De l'Olivier, 1488 p.) de DFW comporte 388 notes de bas de page pour revenir sur un point de l'histoire. C'est une méthode de perturbation du texte linéaire tout en conservant un certain sens de la cohésion narrative.
On pourra lire, de DFW en parallèle « Brefs entretiens avec des hommes hideux » (2005, Au Diable Vauvert, 439 p.), un recueil de 23 nouvelles plus abordables.
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