C'était l'été de la mort de Coltrane. L'été de "Crystal ship". Les enfants fleurs levaient leurs bras vides et la Chine faisait exploser la bombe H. A Monterey, Jimi Hendrix mettait le feu à sa guitare. "Ode to Billie Joe" passait en boucle sur les grandes ondes. Des émeutes éclataient à Newark, Milwaukee et Detroit. C'était l'été d'Elvira Madigan, l'été de l'amour. Et dans cette atmosphère instable, inhospitalière, le hasard d'une rencontre a changé le cours de ma vie.
C'est l'été où j'ai rencontré Robert Mapplethorpe.
Où est-ce que ça mène, tout ça ? Que va-t-il advenir de nous ? Telles étaient nos jeunes questions, et de jeunes réponses nous furent révélées.
Cela nous mène l’un à l’autre. Nous devenons nous-mêmes.
Nous aussi, nous allions prendre les armes, les armes de notre génération-la guitare électrique et le microphone.
Pourquoi ne puis-je écrire des mots qui réveilleraient les morts ?
Le romantisme ne suffisait pas tout à fait à apaiser mes besoins de nourriture. Même Baudelaire devait manger. Ses lettres contenaient de nombreux cris de désespoir dus à son manque de viande et de bière brune.
La lune était sur la couverture du magazine Life, mais sur la couverture de tous les quotidiens c'était le brutal assassinat de Sharon Tate et de ses compagnons qui s'étalait. Les meurtres de Manson na cadraient pas du tout avec ma vision du crime empruntée aux films noirs, mais c'était le genre de nouvelle à enflammer l'imagination des habitants de l'hôtel. Pratiquement tout le monde était obsédé par Charles Manson. Au début, Robert a passé en revue le moindre détail de l'affaire avec Harry et Peggy, en revanche je ne supportais pas d'en parler. Les derniers instants de Sharon Tate me hantaient, j'imaginais son horreur quand elle avait su qu'ils s'apprêtaient à massacrer son enfant à naître. Je me suis réfugiée dans les poèmes que je gribouillais dans un cahier orange. En matière de tragédie, l'image de Brian Jones flottant sur le ventre dans une piscine était suffisamment insoutenable pour moi.
Ma réaction à cet aveu a été plus viscérale que je ne l'avais prévu….
Dans mon imagination livresque, l'homosexualité était une malédiction poétique - j'avais glané ces idées dans Mishima, Gide, Genet. Je ne savais rien de la réalité de l'homosexualité. Je pensais qu'elle allait irrévocablement de pair avec l'affectation et l'extravagance. Je m'enorgueillissais de ne pas porter de jugement, mais j'en avais une conception étroite et provinciale. Même en lisant Genet, je voyais ses hommes comme une race mystique de poètes et de marins. Je ne comprenais pas pleinement leur univers. Si j'aimais Genet, c'était en tant que poète.
Nous restions fidèles à notre serment, Robert et moi. Aucun de nous deux ne quitterait l'autre. Je ne l'ai jamais vu par le prisme de sa sexualité. Mon image de lui est demeurée intacte. Il était l'artiste de ma vie.
La contradiction est souvent la voie la plus évidente vers la vérité.
Nous sommes rentrés chez nous, main dans la main. Pendant un instant, je suis restée en arrière pour le regarder marcher. Sa démarche chaloupée de marin m'avait toujours touchée. Je savais qu'un jour je m'arreterais et qu'il poursuivrait sa route, mais jusque-là rien ne pouvait nous séparer.