Il y avait eu du sexe, du soleil, des drogues récréatives, et on lui avait même fait miroiter la possibilité de diriger un film fondé sur la vie d’une photographe pas très éloignée de ce qu’elle était (on avait parlé de Debra Winger pour le rôle principal), mais ça n’avait rien donné, comme tant de choses dans ce Fata Morgana urbain. Deux années avaient passé, nébuleuses et ensoleillées, ç’avait été sympa, mais un jour, elle en avait eu marre, était revenue à New York, et, bien que n’ayant jamais complètement cessé de prendre en photo des rock stars, des comédiens et des acteurs, elle s’était sentie inexorablement attirée vers les lieux de conflit et de lutte.
Elle n’avait pas de temps à perdre avec l’émotion. Son unique objectif était de clamer sa vérité. Et si ça ne lui était plus possible, elle avait l’intention d’affronter sa mort avec dignité. Pas de larmes. Pas de suppliques. Pas de sortie théâtrale. Elle vivait, pour autant que les conditions le lui permettaient, comme elle l’entendait, et c’est ainsi qu’elle mourrait – et cela nécessitait vigilance, concentration et attention.
Elle était passée maître dans l’art de vivre au présent, et le peu de souvenirs qui lui restaient de sa famille au Kansas et de son mari maintenant à Los Angeles (c’était du Rick tout craché de surfer sur la vague d’attention médiatique pour quitter la convenable Lawrence et s’installer sur la festive côte Ouest) étaient depuis longtemps oubliés et très, très loin.
Lorsqu’elle avait commencé à coucher avec Pete Town, plus d’une décennie plus tard, et avait découvert qu’il travaillait pour la CIA, elle avait eu l’impression délirante qu’il la pourchassait, que la séduire n’était qu’une ruse, et avait attendu le retour de flamme. Mais rien n’était venu et elle avait accepté la vérité avec joie : elle n’avait été que du menu fretin, trop insignifiant pour apparaître sur les radars de la CIA, et, après leur mariage et la retraite de Pete, elle avait laissé s’envoler les derniers vestiges d’anxiété en voyant son mari s’éloigner de ce monde de secrets qui l’avait si longtemps tenu captif.
Cette comédie, cette escroquerie, cette tentative pour faire croire qu’elle est encore en vie, je les comprends, j’applaudis même, étant donné qu’elles vont dans le sens d’un accord de paix que je soutiens, que j’ai toujours soutenu. Mais si ça échoue, si la supercherie est mise au jour, cela va causer un immense préjudice. Un retour en arrière. De dizaines d’années. Ça va détruire le peu de confiance dont bénéficient encore les États-Unis et, après tout, ton pays est toujours le ciment qui fait que ces trêves fonctionnent, non ?
L’histoire, comme si elle se répétait à l’infini, avait perdu de son lustre, comme un thon rouge qu’on sort de la mer et dont la couleur passe déjà au soleil, tandis qu’il bat des nageoires avant de s’immobiliser.
L’hystérie qui ne manquerait pas de se déclencher lorsque la fausse vidéo de Catherine Finch arriverait sur YouTube n’avait pas encore fait son apparition. Joe Go l’avait prévenu qu’étant donné la nature illégale des connexions Internet en Syrie, cela pourrait prendre des heures.