De faibles lumières dans les ténèbres
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Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2021, écrits par
Scott Snyder, dessinés et encrés par
Tony S. Daniel, et mis en couleurs par
Tomeu Morey. Les couvertures sont de Daniel.
Il y a quelques années de cela, dans une école élémentaire à Denver dans le Colorado, les enfants d'une classe de CM2 sont en train de dessiner, alors que Val Riggs, surnommée Sundog, repense à cette époque. La même question revient toujours : où étiez-vous quand c'est arrivé ? Quand la nuit s'est abattue ? Elle repense qu'elle-même était en train de faire un dessin de sa famille avec elle, ses parents adoptifs Miguel & Catherine, et son petit frère Emory, également adopté. Elle avait passé les quatre premières années de sa vie aveugle, jusqu'au jour de son opération qui lui avait permis d'acquérir une vue normale. Il avait fallu vingt-trois minutes pour que le ciel s'obscurcisse complètement. Les parents étaient venus chercher les enfants pour les ramener chez eux. Il n'y avait pas d'information concrète à la radio sur le phénomène. À l'arrière de la voiture, son petit frère Emory avait gribouillé de noir le soleil sur le dessin de Val. Au temps présent à dix miles à l'est de Luxville, l'avant-poste du Colorado, Sundog conduit son semi-remorque, avec ses passagers assis dans la remorque, des guirlandes lumineuses un peu partout. Parmi eux, se trouvent Augustus McCray et Bailey. Dans les écouteurs de son casque, Val reçoit les recommandations d'Emory.
Par la radio, Sundog avertit ses passagers qu'il y a des ombres sur la route. Dans son micro-casque, elle indique à Emory qu'elle les a repérés. Au dernier moment, elle active ses puissants phares ce qui rend vulnérables les oiseaux-ombres. Mais dans la remorque, une femme panique, se lève, et ouvre le rideau arrière. Une griffe s'abat incontinent sur son visage et elle est happée à l'extérieur par un oiseau-ombre. Ayant constaté sur son tableau de bord l'ouverture du rideau, Sundog a engagé le pilote automatique et est sortie sur le toit de la remorque pour abattre elle-même ces créatures. le combat est rude, mais elle parvient enfin à l'intérieur de la remorque. Elle y découvre une des créatures prête à s'abattre sur les passagers. Elle attire son attention et la créature se jette sur elle, l'expulsant de la remorque et tombant sur la route avec elle. À nouveau, elle attend le dernier moment pour déclencher son arme lumineuse afin d'occasionner le maximum de dégâts. Enfin, les sentinelles de Luxville actionnent les puissants projecteurs de remparts, créant ainsi un chemin parfaitement éclairé et sûr. Val peut remettre son casque et terminer son voyage tranquille. Une fois dans la ville, elle se rend chez Bellwether, celle qui distribue les missions aux passeurs. En chemin, une connaissance lui apprend que la ville de Tipton a été envahie par les ombres, ce qui impacte fortement Val qi voulait s'y rendre car elle avait affaire à faire avec Hill Dill. Elle arrive enfin au comptoir de Bellwether qui lui confirme la mauvaise nouvelle, et qui en plus l'informe que les gardes lui ont interdit de lui confier une nouvelle route, tant qu'ils ne seront pas venus inspecter l'appartement de Val.
Après avoir écrit Batman, Justice League et Dark Knights Death Metal pour DC Comics,
Scott Snyder décide de reprendre son indépendance, d'ajouter un nouveau chapitre à American Vampire, et d'écrire une nouvelle série dont il conserve la propriété intellectuelle, avec l'artiste cocréateur. Il s'associe avec un autre artiste ayant réalisé des histoires de Batman, d'abord comme dessinateur, puis également comme scénariste. Cette nouvelle série dispose donc d'un fort capital d'attraction a priori, pour les lecteurs de comics. Les auteurs ont concocté un mélange d'anticipation et d'aventures spectaculaires. La nuit est tombée sur la Terre, une nuit éternelle dans laquelle rôdent des créatures agressives dont seule la lumière protège, la protection étant proportionnelle à l'intensité lumineuse. le lecteur peut y voir les ténèbres qui menacent d'engloutir le monde, en les assimilant à une métaphore de l'inconnu, plus que d'un danger social ou culturel. À ce stade du récit, il s'agit surtout d'un danger assez générique. En cours de route, le scénariste apporte un début d'explication à ce qui a pu provoquer cette catastrophe, assez similaire dans l'esprit à celle de la série Oblivion Song de
Robert Kirkman &
Lorenzo de Felici. Dans cet environnement postapocalyptique, le scénariste ne s'intéresse guère, voire pas du tout, aux conséquences de l'absence de lumière, par exemple l'impossibilité de la photosynthèse. Il se focalise sur la route à faire par Val Riggs et son frère Emory, pour amener à bon port Augustus McCray et Bailey, jusqu'à un sanctuaire.
Sans grande surprise, les auteurs ont choisi une héroïne qui aime s'habiller avec un costume moulant mettant ses courbes en valeurs. La couverture joue énormément sur cet aspect-là. Bonne surprise : à l'intérieur, la plastique de Val n'est pas mise en avant dans des plans racoleurs, ou dans des cadrages suggestifs. de son côté, le scénariste met en évidence qu'elle a dû assumer le fait qu'il n'y aurait pas de sauveur providentiel pour son frère et elle. L'artiste met sa silhouette en valeur à quelques reprises, sans donner l'impression de faire une fixette, l'affublant même d'une courte cape qui masque souvent sa poitrine. En la regardant le lecteur se dit que Val Riggs semble très jeune, peut-être même pas vingt ans. Il éprouve même des difficultés à rétablir la chronologie : elle semble être trop jeune pour pouvoir ainsi prendre en charge son frère quand ils finissent par quitter le domicile familial pour essayer de rejoindre un centre par leurs propres moyens. du coup, cette forme de jeunisme sied mieux à Emory, effectivement moins âgé que sa soeur, et tout juste adolescent. Encore que là aussi il soit difficile de concilier cette jeunesse apparente avec ses capacités à créer des armes d'une technologie avancée. Bailey semble elle aussi à peine entrée dans l'adolescence. Les deux frères McCray apparaissent plus crédibles en individus d'une cinquantaine d'années. Pour le reste des tenues vestimentaires, il s'agit d'habits vaguement futuristes, mais sans réelle volonté de concevoir une mode qui refléterait une technologie, ou une évolution de société.
Très rapidement, le lecteur se dit que les dessins sont particulièrement consistants, donnant une impression de forte densité. Il finit par se rendre compte que cet aspect est généré par les couleurs saturées, par les effets de sculpture des surfaces par le biais d'un jeu de nuances sophistiqué.
Tomeu Morey sait déployer des camaïeux en fond de case pour masquer l'absence d'éléments dessinés, en instillant ainsi une ambiance particulière, avec des tons orangés, ou des tons bleutés. Son expertise en effets spéciaux se voit à chaque page, à commencer par la matérialisation des faisceaux lumineux créés par les phares des bahuts, mais aussi toutes les nombreuses autres sources lumineuses, les effets de lumière sur le casque de Sundog, sans oublier les inévitables explosions. Grâce à l'apport de l'artiste coloriste, les pages apparaissent toutes aussi consistantes, même si la densité d'informations visuelles dessinées peut fortement varier d'une case à l'autre.
Tony S. Daniel reste fortement influencé par Jim Lee et marc Silvestri, avec une bonne maîtrise de ces influences qui ne supplantent pas tout. Il a conservé l'aspect de surface, avec des silhouettes fines et élancées, un sens du spectacle épatant, des cases dynamiques lors des séquences d'action. Il sait revenir à un registre plus posé lors des scènes de dialogue, ou de celles en civil sans course-poursuite, sans combat physique.
De séquence en séquence, le lecteur se rend compte que l'histoire repose sur une intrigue effectivement classique, avec une dynamique de course-poursuite, basique mais toujours aussi efficace. Il relève quelques éléments plus originaux de ci de là : les différentes armes à base de lumière, la provenance des ténèbres, l'analogie de la route avec la mer. Pour les premières, le scénariste commence par faire mine de les rattacher vaguement à une technologie futuriste, puis il passe en mode épate, peu importe leur origine ou leur mode de fonctionnement, du moment qu'elles soient cool. Pour les ténèbres, il expose le principe de Terre parallèles, appelées Terra (d'où le titre de la série), chacune avec leur type d'énergie. le lecteur relève qu'elles semblent être au nombre de neuf, ce qui lui évoque vaguement une version déformée et simpliste de la théorie des cordes, mais cet aspect-là n'est pas développé dans les présents épisodes. Pour la notion de mer et de passeurs, l'image est bien trouvée, mais elle n'apporte pas grand-chose à l'intrigue. Au fil des pages, il apparaît également que la narration est très centrée sur l'héroïne. Elle est accompagnée de deux seconds rôles, son jeune frère adoptif Emory (comme une forme tronquée du mot mEmory), et de la jeune Bailey qui prendre le nom de Piper d'une certaine manière, Snyder fait le nécessaire pour montrer le solide caractère de son héroïne et expliquer comment elle l'a développé. Il s'amuse également à montrer en quoi elle est particulièrement apte à affronter les ténèbres, ayant souffert de cécité durant ses premières années. Sans être totalement interchangeables, les autres personnages ne sont définis que par leurs actions et leurs motivations, sans réelle épaisseur psychologique.
Il est possible que le lecteur ait quelques a priori sur cette histoire en fonction de sa relation avec l'écriture de
Scott Snyder, et de son appétence pour le style Lee / Silvestri des dessins. Il commence dont peut-être précautionneusement sa lecture et se laisse emmener dans ce récit d'anticipation à base de ténèbres ayant recouvert la terre, et d'épidémie qui transforme les individus en monstres. Il recherche un second degré, la métaphore contenue dans ces ténèbres, puis arrête de se creuser la tête et apprécie cette aventure au premier degré, spectaculaire et traditionnelle avec quelques surprises.