Sur le Bout de la langue, les souvenirs boomerang s'accrochent et sanglent la trachée exsangue, d' un passé qui continue à saigner du nez
«
Sur le bout de la langue », c'est cette expression idiomatique évoquant cette impression de vide linguistique, voire fantomatique qui nous maintient dans les abîmes du verbatim …oriente notre locution latine, en sourdine, vers une direction, jamais anodine.
Réfugiés dans leur palais buccal, après avoir été ravalés, s'être tant faits désirés, les mots n'aspirent qu'à être expulsés par gorgées, pour servir de torche d'exploration d'une vérité qui ne peut pas passer.
Dans les grands ensembles assimilés aux cités dortoirs ostracisées, là où ceux qui cultivent l'état de légitime différence camouflée par une capuche fièrement arborée, rêvent plus d'ascension à la Cassius Clay que de parachute doré, tout n'est que relégation et complexe d'infériorité intériorisés.
Qu'est ce qui pousse le natif d'une cité recroquevillée sur ses clichés à rester emmuré dans le parpaing urbain de son quotidien malgré la félicité du gain?
Issu de ces territoires perdus de la réplique qui sacralisent la novlangue du prêt-à-parler, comme le sésame incontournable du mode de communication mal embouché des périphéries désoeuvrées, Lubin n'en aspire pas moins à s'éloigner des "Wesh Wesh"de son quartier, pour enfin vivre de grand amour et d'eau fraiche .
Qu'est ce qui motive un transfuge social, pur produit de la méritocratie républicaine, à détacher ses harnais de sécurité amnésique ?
Des conflits intérieurs d'une cadre sup, frappée par un de ses moments de clairvoyance accrus qui font quitter un statut procurant l'aisance d'une sécurité de parvenue ? Lequel aura convaincu le mal être de Blanche de faire sa mue quant au bénéfice d'inventaire de ses illusions perdues ?
e dénominateur commun de ces deux trajectoires sociales à front renversé, réside sans doute dans ce partage d'expérience de la sidération, cette aptitude à se confronter au chaos intérieur qui vous prend à défaut pour mieux vous sortir du ghetto et vous tirer vers le haut.
Mais cette nébuleuse, cet entre-deux de l'impossible identité coincée entre le milieu de départ et le milieu d'arrivée les conduit irrémédiablement à la croisée de ce tremplin où chacun est parvenu à se prouver qu'il pouvait dépasser les déterminismes sociaux érigés en Loi d'AIRAIN, sans pour autant interrompre le va-et-vient de la boussole des repères traumatiques d'où l'on vient.
Dans ce roman, aussi intense qu'un rite de passage où tout doit renaître, les flux de conscience du narrateur s'entremêlent activement au récit d'un drame annoncé trop amnésique pour être halluciné, et dont la trame charpentée autour d'une enfance mémorielle à jamais figée, fournit l'occasion de dépeindre les frondaisons inextricables des désirs d'en finir avec les postures du repentir et les envies de vomir, à la croisée des caps à franchir .
La plume énigmaire d'
Olivier Sorin, s'attache à montrer que nos certitudes linéaires reposent sur du sable éphémère.
Et quoique douloureux, un retour aux sources de la déflagration est la condition d'une régénération pour de bon.
Les personnages secondaires hauts en couleur sont ingénieusement mis en scène afin de servir un verbe introspectif tout autant filmique qu'harmonique .
Chaque page est l'occasion de goûter au nectar de cette captivante écriture sonore qui explore, sans relâche, les potentialités d'une réconciliation avec soi-même dès qu'il s'agit d'honorer ce « Il n'est jamais trop tard » du bout des lèvres.